Marchés publics chez les pompiers : les avocats hors la loi
Marchés publics chez les pompiers : les avocats hors la loi
Nul n'est censé ignorer la loi. Même si l'adage est galvaudé jusqu'à la corde, le justiciable moyen est en droit de penser que les institutions publiques et a fortiori les avocats qui travaillent pour elles connaissent parfaitement les tréfonds du droit. Ce n'est pourtant pas ce qui ressort du rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion du service départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (SDIS 13). En effet, le chapitre 3 de ce rapport est consacré aux marchés publics passés par le SDIS 13 et, en particulier ceux ayant trait "aux prestations de services juridiques", autrement dit les avocats des pompiers.
Le premier paragraphe de ce chapitre est limpide :
Le SDIS a versé en 2009 149 661,20 euros d'honoraires à trois cabinets d'avocats en l'absence de marchés passés après consultation et mise en concurrence. (…) Le SDIS n'a pas respecté le code des marchés publics pour les prestations juridiques qu'il a payées aux trois cabinets en cause.
Comme à l'accoutumée, la chambre ne mentionne pas le nom des avocats, ni ceux des cabinets qui les emploient. Mais, à titre d'exemple, elle mentionne qu'un de ces cabinets a été payés 17 222,40 euros au titre d'une convention d'assistance juridique "conclue pour trois ans, [et] présentée au bureau du conseil d'administration du SDIS en sa séance du 3 avril 2007". Or, la lecture du procès-verbal de cette réunion nous renseigne sur l'identité de l'avocat concerné. Il s'agit de François-Noël Bernardi, bien connu des Marseillais comme conseiller municipal et vice-président de la communauté urbaine. Dans cette collectivité, il préside également le groupe socialiste et… la commission d'appel d'offres qui est chargée de valider les marchés publics.
Dans le procès-verbal du conseil d'administration de 2007, on peut lire ce commentaire du colonel Jorda :
Maître François-Noël BERNARDI a donné pleinement satisfaction dans ce rôle qui conduit naturellement à envisager de pérenniser sa collaboration et de l’organiser au mieux sous forme d’une convention.
Le très satisfaisant Me Bernardi a donc commencé à travailler pour le SDIS bien avant la date citée par la chambre et dans des conditions bien particulières. En effet, si l'on en croit un autre procès-verbal tombé sous nos yeux, cette fois-ci du 6 juin 2006, c'est à la demande du colonel Jorda, que le recours à ses services est décidé.
Contre son camp
Lors de cette réunion, le président du conseil d'administration, Jean-Pierre Maggi, évoque "le contentieux qui oppose le SDIS à la communauté urbaine de Marseille au sujet du dernier acompte de la contribution 2002". Cette contribution financière est censée être acquittée par les collectivités couvertes par le SDIS 13. Or, le torchon brûle à ce sujet entre institutions publiques et le différend vire au contentieux.
En réponse à la remarque du président Maggi, Luc Jorda propose de continuer à confier la défense du SDIS au cabinet d'avocats De Castelnau, comme "en première instance" en y associant "un cabinet d'avocat local, maître Bernardi, […] pour multiplier les chances de succès". La proposition est accueillie favorablement par le président et le reste du bureau. Personne ne semble tiquer sur le fait qu'à cette date François-Noël Bernardi est le président du groupe socialiste à la communauté urbaine. Même s'il est dans l'opposition, la double casquette élu et avocat pose un évident conflit d'intérêt.
En effet, le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat est très clair :
L'avocat investi d'un mandat de conseiller municipal ne peut accomplir aucun acte de la profession, directement ou indirectement, contre la commune et les établissements publics communaux en relevant.
Cela ne semble chagriner personne, pas plus que l'absence renouvelée de marché public. Couverte par la convention qui lie les deux parties, la collaboration se poursuit jusqu'en 2010. Le rapport de la CRC précise même les conditions financières :
Le cabinet percevait à cet effet un forfait mensuel de 1200 euros hors taxe correspondant à six heures d'activité professionnelle (…). Aucun détail n'a pu être fourni par le SDIS sur les services rendus en contrepartie du forfait mensuel précité.
Dans sa réponse, le président Maggi concède que le SDIS "n'a pas appliqué jusqu'en 2010 le code des marchés publics à ces prestations" mais pour mieux se cacher derrière une note de la direction des affaires juridiques du Ministère des finances d'octobre 2012 spécifiant "désormais (…) ces marchés de prestations intellectuelles sont soumis aux règles de la commande publique". L'ancien président du SDIS a tout de même été un peu hâtif dans ses recherches. Des décisions du conseil d'Etat en 2003, 2006 et 2007 faisaient déjà la clarté sur cette règle des marchés.
Mémoire de cinq lignes
Quant à la coopération avec François-Noël Bernardi, en mars 2010, le bureau entérine la reconduction de la convention à un tarif légèrement plus élevée : 1500 euros par mois. Une décision de courte durée puisqu'en juillet de la même année, la délibération est retirée au titre que ladite convention est litigieuse. "Ce type de convention ne peut être conclue que pour une durée d'un an. Une procédure conforme au code des marchés publics va être lancée", mentionne un conseiller technique du président.
Effectivement, la chambre note qu'un appel d'offres est lancé en septembre 2010 "pour les prestations d'assistance juridique auprès de la direction des dossiers ayant un caractère stratégique". Des courriers sont envoyés à cinq cabinets marseillais précisant le montant du marché (25 000 euros) d'une durée d'un an, "renouvelable une fois". "Trois cabinets répondent à cette consultation. Une offre étant parvenue au SDIS hors délai, elle n'a pu être retenue", précise la chambre. Une autre est déclarée "irrégulière", "car il manquait le mémoire technique et le profil de l'intervenant pressenti". Tout naturellement, c'est donc le cabinet de Me Bernardi qui est retenu car "seul à présenter une offre valable". Cerise sur le gâteau, le rapport indique : "Son mémoire technique ne fait apparaître aucun élément de méthode : note : 5/20". Le magistrat de la chambre note alors :
Dans ce mémoire technique d'environ cinq lignes, le candidat se contentait d'indiquer qu'il répondrait aux demandes du SDIS 24 heures sur 24.
Convaincu par un tel zèle, le SDIS signe pour un an même si le marché n'est pas renouvelé au terme de ce délai. Contacté par nos soins, François-Noël Bernardi n'a pas souhaité apporter de commentaire au contenu de ce rapport.
Sept avocats, combien de marchés ?
Parmi les autres cabinets d'avocats évoqués par la chambre, certains noms sont bien connus de la chronique judiciaire. En effet, l'avocat du SDIS contre MPM (que l'on retrouve également comme avocat de MPM dans d'autres affaires) Régis de Castelnau a été entendu comme témoin assisté par le juge Duchaine en janvier 2012 dans l'affaire Guérini. Il est souvent présenté comme un proche du frère du président du CG13. Dans les transcriptions d'écoutes qui ont fuité dans la presse, on apprend qu'Alexandre Guérini a tenté de placer son ami Castelnau comme avocat de la communauté d'agglomération de Salon alors que le patron de décharges était en bisbille avec la collectivité et ce pour faciliter les négociations futures.
Dans des affaires plus récentes qui ont mené le colonel Jorda devant les tribunaux (pour des faits de harcèlement moral dont il a été relaxés), un autre avocat a fait son apparition : Jean-Louis Tixier. Ce dernier est conseiller communautaire en tant qu'élu de La Ciotat. Une commune qui est représentée – par son maire – au conseil d'administration du SDIS. En tant qu'avocat, Tixier est mis en examen dans une affaire présumée de favoritisme "pour recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics". Il s'agit là encore de prestations confiées sans marchés publics, cette fois-ci par le logeur social de la Ville de Marseille, Habitat Marseille Provence.
Choisir son avocat "comme son médecin"
Or, nous n'avons pas trouvé trace dans les comptes rendus du conseil d'administration du SDIS 13 d'appel d'offres dont il serait sorti vainqueur. En revanche, sur les documents comptables du SDIS que nous avons pu consulter, il apparaît qu'il a perçu 73 494, 20 euros en 2011 correspondant à une ligne budgétaire intitulée "dépenses hors formalités préalables (hors marchés…)".
Joint par nos soins, Jean-Louis Tixier tombe des nues : "Je n'ai jamais été alerté de problèmes de ce type, ni par mon client, ni par la chambre régionale des comptes". L'avocat marseillais dit travailler pour le SDIS depuis 1996, essentiellement au pénal dans la défense des sapeurs-pompiers. "Je me souviens qu'il y avait eu une sorte de consultation et j'avais fait une offre. Depuis, cela a été reconduit de manière tacite. Mais à l'époque, on était loin de se soucier de ce type de problème. On considérait que l'on pouvait choisir son avocat un peu comme son médecin". Il reconnaît que, depuis, "sous la pression de l'Europe", le problème est devenu plus sensible. D'après lui, ils seraient sept cabinets à travailler pour le SDIS avec chacun son domaine d'activité. "Vous savez, récemment, c'est devenu une affaire parce qu'on a voulu emmerder Renaud Muselier, explique-t-il en référence à la procédure dans laquelle il est mis en examen. Mais vous savez ce sont des dispositions très controversées. D'ailleurs, il n'existe pas de jurisprudence. De temps en temps, les chambres régionales des comptes recommandent que l'on passe par des appels d'offres et les institutions s'y plient".
Reste à vérifier si le SDIS 13 suivra les recommandations de la chambre, ce qui n'est pas vraiment dans ses habitudes. Lors d'un précédent rapport, en 2005, la chambre avait rappelé que la coopération internationale "prévues pour les seules collectivités locales" ne concernait pas les SDIS. Une observation dédaignée par le SDIS jusqu'à ces derniers mois.
Commentaires
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Quelle pourriture ! Maggi, Bernardi, Tixier, Guérini…
Franchement, si on ne veut pas le FN, il faut changer tout ça, faire venir des gens nouveaux, intègres, visionnaires, qui ne regardent pas leur portefeuille.
La société civile plutôt que le FN, oui, c’est possible !
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Je vous donne volontiers acte de votre appel téléphonique et de ce que vous ai indiqué n’avoir aucun commentaire à faire. En effet le respect du secret professionnel est plus important pour moi que la défense de mes intérêts.
Vous pensez que j’ai méconnu les dispositions du décret du 27 novembre 1991 régissant la profession d’avocat et vous le citez: “L’avocat investi d’un mandat de conseiller municipal ne peut accomplir aucun acte de la profession, directement ou indirectement, contre la commune et les établissements publics communaux en relevant.” et vous le faites savoir à vos lecteurs.
Cette disposition ne s’applique pas à la situation car MPM n’est manifestement pas une commune et pas plus “un établissement public communal” relevant de la Commune de Marseille.
Il est dommage que vous n’ayez pas consulté un spécialiste de droit public avant d’affirmer que j’aurai violé une règle alors qu’elle ne s’applique pas et que d’ailleurs la Chambre n’a pas retenue.
De plus en contribuant à rétablir la sincérité des comptes de MPM, où sa dette vis à vis du SDIS n’était pas inscrite, je ne pense pas avoir contrevenu aux intérêts de MPM, bien au contraire: La sincérité des comptes est un objectif républicain commun. Loin de jouer contre mon “camps”, je pense avoir contribué à la manifestation de la vérité.
J’ai d’ailleurs à une autre occasion obtenu avec 2 collègues l’annulation d’un budget complet de MPM pour défaut de sincérité sans que le jugement n’ai provoqué quelque émoi!
Pour le reste de votre analyse qui me concerne je ne puis aller au delà en raison des règles de ma profession, croyez bien que je le regrette.
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quand vous lancer un article avec “pompiers” pourriez-vous préciser tout de suite “sapeurs pompiers des bdr” ou “sdis13”? n’oubliez pas qu’à Marseille nos Pompiers sont des Marins, des militaires eux aussi nommés pompiers. cela porte à confusion dans l’esprit de certains, je l’ai malheureusement trop entendu depuis votre 1er article?
c’est important de ne pas confondre “sapeurs pompiers des bdr” et “marin pompiers de marseille”
merci de bien vouloir en tenir compte
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est ce qu’un jour, on parlerais des vacations touchées par les officiers superieurs?
de la nomination de certains?
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il serait intéressant de connaître:
– la position du Parquet dans ce dossier
– celle de l’Ordre des Avocats…
bon, concernant l’Ordre, peu de chance qu’il en sorte quelque chose…ils vont s’arrange entre eux. Pas de vague!!
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“s’arranger”
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Ne pas respecter le Code des marchés publics pour des prestations de service juridique (conseil ou représentation en justice) pour un pouvoir adjudicateur (ce qu’est sans conteste un SDIS) constitue un délit de favoritisme pour les responsables du SDIS et un recel de délit de favoritisme pour les avocats bénéficiaires des prestations passés sans publicité ni mise en concurrence.
Depuis le Nouveau Code des Marchés Publics de 2006 …
Le fait que des avocats spécialistes de droit public puissent le nier et s’abriter derrière des conventions conclues intuitu personae apparaît hallucinant !
Il faudrait alors qu’ils expliquent pourquoi les grandes collectivités s’épuisent à passer des marchés à bons de commande ou des accords-cadres avec des dizaines de candidats à départager. Il suffit de taper ces mots clés sur un moteur de recherche et vous verrez, les résultats sont édifiants…
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François_noel Bernardi n’était-il pas également un des nombreux avocats de Sylvie Andrieux par le plus curieux des hasards ?
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La religion, étymologiquement, désigne tout ce qui relie les hommes. C’est aussi bien la foi que le militantisme politique ce genre de concussion désunit et tend à condamner la démocratie
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Bernardi?le soutien de Caselli?
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La justice devrait aussi jeter un œil sur d’autres choses comme par exemple les véhicules de fonction, le matériel de sonorisation acheté par le SDIS et utilisé exclusivement par un officier pour animer des mariages à titre perso. Voir aussi du côté des notes de frais et autres choses en rapport
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Vu comme le filon des marchés publics d’avocats est bon (mises en cause des offices d’HLM du CG 13 et de la Ville, maintenant le SDIS), je pense que les journalistes de Marsactu pourraient nous pondre une petite enquête sur les pratiques des grandes collectivités de la Région (Ville, MPM, CG, Région).
Comment passent-elles leurs marchés et avec qui (retrouvera-t-on toujours les mêmes noms sans cesse cités dans les articles) ?
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Eloignons-nous de la délation,cette pratique ne grandit pas la citoyenneté. D’ailleurs des foyers ardents se cachent sous les cendres de notre histoire. Aujourd’hui, alors que tous les résistants ont quasiment disparus,les relents de la dénonciation exhalent des odeurs nauséabondes qui rappellent dangereusement une période sombre au cours de laquelle l’on pouvait se débarrasser de son concurrent.
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a lire la reaction du SDIS sur leur site :sdis13.fr
sans commentaires
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Enfin un article qui jette une pierre dans la mare. félicitations au journaliste.
La CRC pourrait relever la même anomalie de non mise en concurrence d’avocats à MPM jusqu’à 2012 !
On attend les prochaines élections pour faire le ménage à MPM ???
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