Marché informel de Gèze : le statu quo faute d’accord politique

Décryptage
le 27 Mar 2023
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La rénovation de l'avenue Cap-Pinède (15e) avance à grands pas mais les alentours de la station Gèze restent encombrés par un marché sauvage, mettant en danger vendeurs et clients. Depuis des années, les pouvoirs publics tentent de le réguler… sans résultat. Une solution associative se dessine mais la situation reste bloquée politiquement.

Le marché sauvage s
Le marché sauvage s'étend sur le boulevard Capitaine-Gèze, à côté du métro, entre les voitures et les travaux d'Euroméditerranée. (Photo : LG)

Le marché sauvage s'étend sur le boulevard Capitaine-Gèze, à côté du métro, entre les voitures et les travaux d'Euroméditerranée. (Photo : LG)

Télécommandes, peluches, DVD, services à thé… Les draps qui s’étalent sur les trottoirs, à la sortie du métro Gèze (15e), ressemblent presque à un vide-grenier ordinaire. Sauf que ces brocantes informelles ont lieu à même le bitume, tous les jours, sans autorisation. Les montagnes de chaussures et de vaisselle occupent même le terre-plein du boulevard avenant : les clients et les vendeurs y font leur marché entre les bus et les poids-lourds en marche.

Depuis des années, le plus grand “marché informel de France” tient résidence à Capitaine-Gèze. Pantalon à un euro, chargeur à trois euros… Les prix défient toute concurrence, car la plupart des objets proviennent des poubelles de Marseille. Les “biffins” ou “chiffonniers”, en grande précarité et souvent sans-papier, collectent, trient et nettoient. Les bus qui entrent et sortent du pôle d’échanges de la RTM doivent prendre garde à ne pas renverser des vendeurs ou leurs clients. Les piétons slaloment entre les chaussures alignées sur le trottoir et les barrières de chantier. Car les travaux de rénovation du quartier, menés par Euroméditerranée, viennent de démarrer.

Un trouble à l’ordre public bien installé

D’ici 2025, l’avenue Cap-Pinède, à côté du métro, doit devenir un “boulevard urbain apaisé et végétalisé”. Mais force est de constater que les arbres et les pistes cyclables sont encore loin. “La rénovation est en cours, mais les espaces publics sont régulièrement occupés”, admet Laure-Agnès Caradec, présidente d’Euroméditerranée. En plus des vendeurs en grande précarité, le marché de plein air attire d’autres trafics illicites – cigarettes, médicaments – qui créent des problèmes sanitaires et sécuritaires.

Et la problématique ne date pas d’hier. “C’est un sujet récurrent, sur lequel l’ensemble des acteurs sont mobilisés pour tenter de trouver une solution durable”, assure l’élue LR. Pas facile pour les pouvoirs publics de régler le problème : si le maintien de l’ordre revient à l’État, le nettoyage de la voirie doit être pris en charge par la métropole. La mairie entend aussi jouer un rôle en matière de tranquillité publique, de solidarité et d’insertion professionnelle. Quant à Euroméditerranée, l’établissement public est censé offrir un nouveau visage au quartier en mettant autour de la table tous les acteurs.

À l’heure actuelle, les travaux avancent au gré des opérations de dispersion. Mais ceux-ci ne font que repousser les stands de brocanteurs un peu plus loin.

À l’heure actuelle, les travaux avancent au gré des opérations de dispersion. Mais ceux-ci ne font que repousser les stands improvisés un peu plus loin. “On part quand la police nous le demande, mais on est toujours obligés de revenir, explique Ibrahim Thiaw, vendeur de produits électroniques. C’est ici qu’on gagne notre vie”. Originaire du Sénégal, il empoche une dizaine d’euros par jour. Assez pour manger et, des fois, pour envoyer un peu d’argent à ses filles.

Vers un encadrement légal du marché ?

“Ce sont des marchands comme les autres”, abonde Stéphanie Fernandez Recatala, porte-parole de l’Amélior, association qui cherche à “fédérer le travail des biffins”, partout en France. Il y a près de 10 ans, cette équipe a créé un marché à Montreuil où se retrouvent 200 vendeurs, et une ressourcerie qui voit passer près de 100 tonnes de marchandises par mois : textile, ferrailles, livres… “On fait le pari de l’insertion par le travail”, explique Stéphanie. Pour nous, c’est la première marche qui permet d’accéder au logement, à la santé, à la vie sociale.”

La travailleuse associative, désormais bien connue des biffins, fréquente le marché depuis deux ans. “Ce sont des vrais recycleurs et vendeurs, avec leur propre savoir-faire, continue-t-elle. Mais sans local ou reconnaissance légale, ils n’ont pas les conditions de travail nécessaires pour exercer leur métier.”

D’abord active à Paris, Bordeaux ou Montpellier, l’association Amélior s’implante à Marseille en 2021. Leur première étude de terrain décompte alors un millier de biffins à Gèze. Dont 500, aujourd’hui, qui ont adhéré à l’association. Ibrahim et son voisin de stand, Tonton, montrent fièrement leur carte d’adhérent, à un euro. “Pour l’instant, elle ne nous donne accès à rien, mais la police est plus compréhensive quand elle voit qu’on l’a, car ils voient qu’on ne vend rien d’illégal, raconte Tonton. Et surtout, on en aura besoin pour accéder au marché, quand il existera.”

Le rêve d’une brocante sans trafic(s)

Car les deux vendeurs n’ont qu’une hâte : voir naître le projet d’Amélior. S’inspirant de sa réussite à Montreuil, l’association veut créer un “marché aux biffins” dans un lieu dédié. Une manière de libérer les rues de Gèze, tout en permettant aux vendeurs et clients de continuer à se rencontrer loin des trafics, qu’ils soient routiers ou médicamenteux. Encadrés par une dizaine de salariés, eux-mêmes biffins, les vendeurs pourraient y vendre leurs marchandises dans des stands bien délimités : vêtements, électronique, réparation.

“Si j’avais un espace pour laisser mes marchandises, je n’aurais pas à transporter 5 kg tous les jours.”

Ibrahim, biffin à gèze

La solution enthousiasme les vendeurs. “Si j’avais un espace pour laisser mes marchandises, je n’aurais pas à transporter cinq kilos tous les jours”, soupire Ibrahim, qui précise qu’il est diabétique et souffre de problème de dos. Louer le mètre de stand à un euro la journée ne les dérange pas : “on se ferait plus d’argent sur un marché bien organisé, relativise Tonton, qui espère avant tout être en sécurité. Ici, on se fait souvent insulter, agresser, arnaquer.”

Amélior contacte les pouvoirs publics dès le printemps 2021, après une énième dispersion très médiatisée, pour leur faire part de leur solution. Et son projet semble séduire. Petit à petit, les rendez-vous avec les acteurs publics s’enchainent. Audrey Garino, adjointe du maire à la solidarité, se déclare publiquement en faveur du projet à l’été 2021. La maire de secteur des 15/16, Nadia Boulainseur, se prononce aussi pour le projet au printemps 2022. Ne reste qu’à trouver un local adapté. L’été dernier, la mairie en fait visiter un, situé à un kilomètre de Gèze, à l’association et certains des biffins adhérents. Jackpot : le lieu est adapté, les interlocuteurs évoquent la signature prochaine d’une convention d’occupation précaire. Puis c’est le silence radio.

Le verrou Ghali

Pourquoi un arrêt en si bon chemin ? Plusieurs acteurs regrettent à voix basse un blocage au sein de la majorité municipale. Et pas de n’importe qui : la maire adjointe, Samia Ghali. “J’assume complètement”, martèle-t-elle. L’ancienne maire de secteur craint que les trafics illicites s’installent à côté des activités légales pour profiter du passage de clients, comme ils l’avaient fait au marché aux puces du Cap-Pinède“Si le marché s’installe un kilomètre plus loin, les trafiquants vont suivre. Ça créera un nouveau problème là où il n’y en a pas encore.”

Les acteurs associatifs n’abondent pas. “Il n’y a pas de raison de penser que les vendeurs de cigarettes quitteront Gèze, où il y a beaucoup de passage, pour suivre un marché dans une rue isolée”, estime Stéphanie Fernandez Recatala, dépitée par ce blocage si près du but. Le directeur d’Amélior, Samuel Lecœur, renchérit : “on cherche juste à faire une expérimentation, la mairie peut révoquer notre convention à tout moment si ça se passe mal.”

Les anciens entrepôts Casino, en fond, sont juste à côté des emplacements habituels des biffins. (Photo : LG)

À la place, Samia Ghali propose un projet de ressourcerie juste à côté de Gèze, dans les anciens entrepôts Casino, propriété publique. Les biffins pourraient y vendre leurs trouvailles au kilo. Le sujet, évoqué, depuis un an, est “en cours d’étude”. Pour l’heure, il en est encore à l’état de discussions entre élus.

Pour Amélior, le projet est vertueux, mais risque de tarder. “On ne veut pas le projet parfait dans des années, on veut que les biffins puissent travailler en sécurité dès maintenant, explique Samuel Lecoeur. On est déjà organisés : les biffins, l’encadrement, les plans du lieu. On est prêts à commencer dès qu’on a les clés, au moins comme solution transitoire.” Pas sûre que cela convainque la maire-adjointe, qui semble avoir tordu le bras à l’ensemble des élus qui s’étaient prononcés pour le marché aux biffins.

Alors, à Gèze, l’incertitude continue de planer sur l’économie informelle qui assure la survie d’une grande partie des habitants. “C’est pas toujours très propre, mais c’est bien pratique, surtout avec l’inflation”, sourit Nadia, 45 ans, habitante de la Cabucelle. L’aidante de personnes âgées se réjouit d’avoir trouvé des baskets presque neuves à un euro. “Contre 40 euros en boutique !”, s’exclame-t-elle. Il manque désormais une décision politique pour que le marché informel devienne enfin une aubaine.

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Commentaires

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  1. Stéphane Coppey Stéphane Coppey

    Est-ce si compliqué de mettre ce sujet en débat au sein de l’équipe municipale, avec une méthode d’écoute et de décision consensuelle dite “gestion par consentement” (GPC) et de trancher ainsi collectivement ?

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    • vékiya vékiya

      connaissez-vous la madone des quartiers nord ? avec elle rien est simple.

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    • julijo julijo

      oui c’est compliqué, et on se demande bien pourquoi, (ou pas) !
      sauf, comme le dit vékiya, à tenir compte de la “madone des quartiers nord” qui, si elle y est née, n’y habite plus depuis longtemps, et au roucas, il n’y a pas de marché de la sorte, donc, cqfd, ça ne la gène pas plus que ça….

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  2. Mireille Urbain Mireille Urbain

    Pourquoi ne pas lancer cet “essai”? La “madone des quartiers Nord” qu’elle a désertés sauf pour jouer les troubles-fêtes n’est pas l’oracle du lieu. Il est temps de donner leur chance aux biffins. Ce sont les meilleurs recycleurs, entre autres, existants. Et en ces temps où les poubelles des nantis débordent et la seconde main a la côte, l’époque est vraiment favorable. Perso, je donne directement ce qui peut être recyclé, réparé dont je n’ai plus l’usage. Autre argument: quand on sait que la plupart des vêtements ou autres textiles qui sont déposés dans les “Relais” sont débarqués en Afrique qui ne sait plus qu’en faire et où ils pourrissent l’environnement, refuser la vente de récupération et en seconde main est un signe évident de sottise.

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    • leb leb

      Effectivement, d’autant plus que l’expérience montreuilloise dont j’avais déjà connaissance est plutôt vertueuse. Donner un cadre légal et sécurisé à cette pratique permettrait de la réguler tout en donnant aux marchands de meilleures conditions d’exercice. Cela ne coûterait pas un bras. Idem pour Noailles, le marché à la sauvette dans le bas de la rue d’Aubagne pourrait être autorisé sous la la Halle Puget quelques jours dans la semaine.

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  3. kukulkan kukulkan

    ghali quelle honte cette femme…

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  4. polipola polipola

    je plussoie kukulkan.
    samia cata
    ghali dépit

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  5. Pascal L Pascal L

    Le problème c’est que, comme c’est informel, le nettoyage après coup n’est pas fait et les riverains doivent traverser une zone qu’on peut qualifier de “dégueulasse” pour se rendre au métro. Quand vous devez y passer tous les jours, il est logique que vous préféreriez que ce marché se déroule sur Sakakini, sur la rue du Prado ou sur la Corniche.

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  6. Marc13016 Marc13016

    Étrange en effet, le “blocage Ghali”. “C’est pour éviter que des activités illicites ne s’installent à côté du nouveau site …”, dit elle. Elle préfère donc que ces activités illicites soient confinées à Geze. Mouais … A la place de la municipalité, je foncerais sur la première opportunité et je travaillerai aussi sur la deuxième, ces fameux entrepôts Casino qui ont la faveur de “la Madona”.
    Au point où on en est, autant voir les choses en grand et exploiter tous les potentiels qui se présentent. Les activités illicites, en principe il y a d’autres moyens pour les neutraliser.
    J’espère que “la Madona” ne joue pas trop tactique et qu’elle se polarise plus sur le ballon que sur son désir d’exister au prochain tournoi municipal …

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