Manifesta expose l’habitat précaire dans les salons du musée Grobet-Labadié

Échappée
le 29 Août 2020
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La biennale d'art contemporain Manifesta a officiellement ouvert vendredi. Le musée Grobet-Labadié est le premier lieu à accueillir une exposition sur la question sensible de l'habitat.

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Photographie d'un appartement déserté de la rue de la République par Martine Derain, exposée au musée Grobet-Labadié. (Image LC)

Photographie d'un appartement déserté de la rue de la République par Martine Derain, exposée au musée Grobet-Labadié. (Image LC)

La grande biennale européenne annoncée depuis plusieurs années à Marseille a ouvert ses portes vendredi. Ou plutôt, a ouvert des portes, à commencer par celles du musée Grobet-Labadié. La demeure cossue de la fin du 19e accueille en effet depuis vendredi dans ses pièces à hauts plafonds et parquet lustré les premières œuvres de Traits d’union, la programmation officielle de Manifesta. Le petit musée méconnu des Marseillais et souvent fermé pour des raisons diverses se retrouve premier maillon du premier chapitre intitulé “La Maison” d’une programmation qui s’étirera jusqu’au 29 novembre.

(Re)lire notre interview de la coordinatrice générale de Manifesta

Une belle demeure pour parler du concept de “Maison”, certes. Mais avec comme fil conducteur l’idée de bousculer le paisible hôtel particulier par des pichenettes bien senties.

Ce n’est pas la première fois que Grobet-Labadié est ainsi investi par des artistes contemporains. En 2019, Sophie Calle s’y était essayée, aussi lors d’une exposition multi-sites à travers la ville, glissant un peu de son histoire personnelle entre la vaisselle en porcelaine et le mobilier vernis. Cette fois-ci, plusieurs artistes internationaux aux envergures diverses ont contribué au détournement des lieux avec des installations tournant autour de la question de l’habitat.

“Parler de ce qu’est une maison aujourd’hui”

“On trouve ça normal, quand on parle d’histoire de voir des maisons comme celles-ci, alors que ce sont des conditions que la plupart des gens ici n’auraient jamais connues. C’est comme regarder des bijoux qu’on ne peut pas se payer, développe l’allemand Stefan Kalmár, un des commissaires artistiques de la programmation Traits d’union. Cela affecte notre vision de l’histoire. Donc on insère précautionneusement des œuvres qui viennent détourner la narration, et qui parlent de ce que signifie une maison, aujourd’hui”.

La visite, pièce après pièce, donne donc à voir des aperçus d’habitats plus complexes,  précaires, conflictuels que le décor qui les accueille. Dans le grand escalier central, entre deux portraits de notables, l’artiste marseillaise Martine Derain, la locale de l’étape, a glissé des photographies issues de sa série consacrée aux appartement inhabités de la rue de la République, réalisées au début des années 2000. Des captures austères de locaux délabrés, malmenés, et surtout désertés par leurs habitants. “Des portraits d’appartements au milieu de portraits de personnages”, sourit l’artiste qui mêle dans sa pratique photographie, vidéo, travail d’archives, édition, sans jamais se départir de sa casquette de militante, longtemps impliquée au sein de l’association Un centre-ville pour tous.

Une des photographies de Martine Derain consacrées aux appartements vides de la rue de la République. (Image LC)

Les photographies exposées donne donc à voir “une représentation du peuple, sauf que là, il était parti”, au gré des nombreuses opérations immobilières et crises qu’a connu l’artère marseillaise. Des paradoxes que l’artiste se plaît à exposer à Grobet-Labadié. “On présente toujours Labadié comme issu de la grande bourgeoisie, mais il a travaillé à 14 ans, il a bâti sa fortune, ce n’était pas un col blanc, c’était un personnage complexe. À la fin de sa vie, il a défendu les meneurs de la commune de Marseille. Ramener quelque chose de populaire dans la maison de ce mec qui a défendu la commune, ça me va.” Au premier étage, elle investit aussi une pièce pour évoquer l’histoire des “vieux travailleurs” immigrés, mettant en regard pièces d’archives et images filmées de mobilisations pour les droits de ces précaires du centre de Marseille. Des pièces qu’elles avait d’abord présentées au Tiers QG, pointe avancée de la biennale en centre-ville ouvert au public depuis plusieurs mois déjà.

De Marseille aux États-Unis en passant par l’Uruguay

De l’autre côté du hall, le collectif américain Black Quantum futurism propose aux visiteurs de dire avec leurs voix ce que signifie pour eux la “Maison” et d’enregistrer ces témoignages. Le collectif est “par ailleurs investi dans des projets d’habitat social”, souligne Stefan Kalmár, dans la lignée du propos général de Manifesta, qui met en avant un art fermement imbriqué dans la société dans laquelle il évolue. La biennale fait de la notion de citoyenneté un pivot central.

L’installation “Behavioral intervention” par Cameron Rowland évoque les détenus américains libérés sous conditionnelle et confinés à domicile. (Image LC)

Au dernier étage, un étrange téléphone a été fixé au mur nu de la salle des sculptures. Il s’agit en fait d’un outil de contrôle des détenus américains en liberté conditionnelle, installé là par l’artiste Cameron Rowland, qui met ainsi en scène le logement électroniquement contrôlé, confiné. Une installation à lire en écho avec le travail de l’artiste, qui creuse la question des inégalités raciales. Dans la salle suivante, retour à Marseille. Une chaîne métallique familière a été placée sous verre. Il s’agit de l’objet symbolique choisi par le collectif Noailles debout pour représenter la crise du logement : une chaîne placée sur un immeuble en péril.

Derrière d’autres portes, on croisera une installation vidéo, un portrait pop du président Uruguayen Pepe Mujico glissé entre deux portraits de notables en perruque, un message Telegram imprimé sur plusieurs mètres ou une immense toile aux couleurs un brin criardes figurant deux chameaux posant devant la Cité radieuse du Corbusier, accolée à une tapisserie qui apparaît en comparaison, bien terne.

Le tableau “Radieuse” par Jana Euler est exposé dans les escaliers du musée. (Image LC)

S’installer dans l’institution

Des ajouts par touches, légers, plutôt qu’un grand chamboule-tout qui aurait donné des sueurs froides au services des musées de la Ville. “On ne voulait pas imposer, ou infiltrer le lieu, il s’agit surtout de laisser découvrir. Et il y a aussi une part de choix esthétiques, avec la signification de chaque œuvre pour elle-même”, justifie le commissaire artistique qui ajoute que Grobet-Labadié est “une pièce parmi toutes les autres” qui constituent le cycle autour de “La Maison”.

Le choix de Manifesta de s’installer dans les musées municipaux existants est par ailleurs mûrement réfléchi. “On ne veut pas s’installer dans des bâtiments vides qui ensuite prendraient de la valeur et participeraient à la gentrification”, insiste Stefan Kalmár, qui précise passer du temps à Marseille depuis une dizaine d’années. Ce qui lui permet d’avoir un regard acéré sur la relation distante entre les Marseillais et leurs musées :

“Les musées marseillais sont souvent vides, pas parce qu’ils ne sont pas bons, mais ils n’abordent pas les problèmes d’une large majorité de la population. Ce n’est pas aussi simple que ça, mais on le sait, à Marseille la culture de rue, la culture orale, sont importantes. Les musées peuvent donner l’impression d’opérer dans un monde parallèle plutôt petit bourgeois”.

Manifesta, en s’installant dans ces institutions entend donc recréer du lien, créer les fameux “Traits d’union” et “revenir à la fonction civique de l’institution”. Une gageure en temps de crise sanitaire. Alors que les précédentes éditions ont pu attirer 200 000 visiteurs, les organisateurs ne tablent que sur la moitié pour 2020, en raison du faible nombre de visiteurs étrangers espérés. Raison de plus pour cibler particulièrement le public local, avec d’autres chapitres intitulés L’École ou encore le Parc.

Manifesta n’aura certainement pas l’ampleur annoncée mais les organisateurs s’enorgueillissent d’avoir maintenu l’édition et d’y être parvenu avec des collaborateurs et des artistes éparpillés aux quatre coins de l’Europe et du monde. Sans perdre espoir d’une embellie. “La programmation va se dévoiler par étapes, précise Mathilde Rubinstein, coordinatrice générale de la biennale. C’est une bonne chose à la fois pour le public marseillais qui pourra revenir pour chaque nouvelle ouverture, pour les artistes qui pourront peut-être progressivement venir sur place installer leurs travaux, et pour les visiteurs étrangers qui auront peut-être la possibilité de venir plus tard”. Et qui sait, d’avoir la surprise de pousser le portail lourd et grinçant du musée Grobet-Labadié pour une dose d’art contemporain.

Le musée Grobet-Labadié et l’exposition “La Maison : loyer, expérience, lieux” sont ouverts du mardi au dimanche, de 9h à 18h, plus d’informations ici.

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Commentaires

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  1. thierry lassimouillas thierry lassimouillas

    Ce qu’il y a de plus indigne dans cette histoire ce n’est pas l’habitat mais l’exposition.

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    • Noelle Noelle

      C’est ce qui m’indigne aussi. Vouloir faire de l’art sur le misère, ce n’est pas de l’art mais de la récupération.

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