Malgré le projet de pipeline à Fos, la révolution de l’hydrogène vert attendra
Emmanuel Macron a annoncé la création d'une connexion entre Barcelone et Fos-sur-Mer pour acheminer de l'hydrogène vert à partir de 2030. Un projet qui aura encore besoin de temps et de volonté de la part des décideurs politiques et économiques.
Vue aérienne Cavaou. (Photo : Altivue)
Hydrogène par ci, hydrogène par là… Il est impossible de passer à côté de ce que la France et l’Europe désignent depuis plusieurs mois comme l’énergie du futur. Forcément, les projets de petites ou grandes ampleurs fleurissent. L’un des plus importants est celui de pipeline entre l’Espagne et la France officialisé en décembre et dont le tracé arrive à Fos-sur-Mer. Un corridor sous-marin de 455 kilomètres depuis le port de Barcelone baptisé H2med, mais aussi connu sous le nom de BarMar (Barcelone-Marseille).
Dans la pratique, il doit permettre au tout début de la prochaine décennie -pour les plus optimistes- de connecter la production d’hydrogène en théorie vert, c’est-à-dire à partir d’énergie solaire ou éolien, de la péninsule ibérique au cœur de l’Europe. “La capacité de ce pipeline devrait être de deux millions de tonnes d’hydrogène par an, c’est un dixième de l’objectif européen de production et d’importation pour 2030. C’est énorme !”, présente Simon Pujau, chargé de relations institutionnelles au sein de l’association de lobbying France Hydrogène. L’objectif étant à terme d’approvisionner la vallée de la chimie, dans le Rhône, et l’Allemagne.
Sur la zone industrialo-portuaire fosséenne, l’annonce n’a pas vraiment entraîné de réaction officielle. C’est en Occitanie que les voix s’élèvent car BarMar remplace le MidCat (Midi-Catalogne) prévu dans l’Aude et évite soigneusement la région pour l’instant (voir encadré). “Ma crainte est de passer à côté d’une opportunité historique”, lance Sébastien Pla, sénateur socialiste dans ce département. “C’est important d’avoir une telle infrastructure car pour développer des usages, il faut s’approvisionner au plus près. H2Med permet d’avoir assez d’hydrogène pour alimenter notre industrie, alors que notre production ne peut soutenir que le transport, et à un prix compétitif”, détaille l’élu du pays Cathare.
Un tracé encore indécisAnnoncé le 9 décembre à Alicante par Emmanuel Macron, le projet H2Med n’est aujourd’hui qu’à “un stade très préliminaire“, souligne Patrice Geoffron, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) de l’Université Paris-Dauphine. “Durant les premières années, la problématique est surtout de déterminer le tracé précis“, développe-t-il. Pour l’instant, les points de départ et d’arrivée sont connus : Barcelone et Fos. Sur les bassins Ouest du port, “le point de connexion initialement retenu serait sur le terminal de Fos Cavaou“, avance Elengy, qui exploite le terminal méthanier mais “n’a pas encore étudié” cette solution.
Du côté de l’Occitanie, on espère toujours réussir à rapatrier une partie de ce pipeline à partir de Port-La-Nouvelle pour le reconnecter à Fos via une voie terrestre. “Il existe plusieurs tracés”, confirme Simon Pujau. Certains passent en mer, plus ou moins au large, mais une option serait mixte, en rejoignant le département de l’Aude. “Passer au large est le plus évident mais ce cheminement pose des questions aussi bien techniques que sécuritaires“, expose Simon Pujau. Peu importe le trajet emprunté, Fos sera bien le point d’arrivée.
Objectif : neutralité carbone en 2050
Le projet s’adresse avant tout aux grands consommateurs d’énergie. “Ce pipeline montre que l’hydrogène est promis à devenir l’énergie de l’industrie”, juge Philippe Stefanini, directeur général de l’agence de développement économique Provence Promotion. “Un industriel regarde les ressources stables d’un territoire. S’appuyer sur ce type d’infrastructure est très rassurant et attractif”, développe-t-il.
Cette promesse d’hydrogène vert à portée de main fait écho à l’objectif de la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Bernard Kleynhoff, président de la commission développement économique et digital, industrie, export et attractivité à la région, estime d’ailleurs que les industriels “sont intéressés car ils sont obligés de décarboner leur activité”.
L’hydrogène est déjà présent dans plusieurs projets sur les bassins Ouest du port.
Sur les bassins Ouest, de nombreux projets carburent déjà à l’hydrogène, dont le plus emblématique est GravitHy et ses deux millions de tonnes d’acier décarboné prévu à partir de 2027. Pour résumer, la start-up, dont le capital se compose en partie d’Engie et de l’incubateur européen InnoEnergy, remplace le charbon utilisé lors de la fabrication d’acier par de l’hydrogène fabriqué sur place grâce à l’électricité nucléaire française. Un processus que l’un des plus gros pollueurs du département ArcelorMittal prévoit également d’utiliser en partie dans sa fabrication d’acier.
Une unité de production d’hydrogène doit aussi s’implanter sur le territoire entre 2026 et 2031. Il s’agit de H2V dont le grand port est actionnaire, avec 165 emplois directs à la clef. Un projet qui permettrait de coupler production et distribution, “intéressant dans l’optique de devenir un hub autour de l’hydrogène vert”, estime Patrice Geoffron, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) de l’Université Paris-Dauphine.
Le risque d’un “gazoduc déguisé”
Au-delà de la zone industrialo-portuaire, Bernard Kleynhoff veut que les collectivités poussent les projets autour de l’hydrogène. “Nous travaillons sur une gigafactory dans la métropole pour fabriquer des produits de base“, glisse-t-il. “Mais nous pouvons réaliser beaucoup de choses sur les transports et les réseaux de distribution pour développer les usages des particuliers“, embraie-t-il.
L’usage massif de l’hydrogène dépend de la volonté des pouvoirs publics de pousser cette énergie, mais il faut également se montrer patient, pondère Patrice Geoffron. L’universitaire rappelle qu’il s’agit de “long terme et qu’il ne faut pas attendre de révolution de l’hydrogène vert en Europe dans cette décennie… y compris à Fos”. Ni au début de la prochaine. Dans son calendrier actuel, H2Med prévoit en effet d’acheminer du gaz naturel liquéfié (GNL) dans un premier temps.
Car pour l’instant l’hydrogène dit vert ne représente que 1% de la demande mondiale en 2021 selon l’Agence internationale de l’énergie. L’hydrogène actuel, “principalement utilisé dans les secteurs de la chimie et de la pétrochimie est responsable de plus de 900 mégatonnes d’émissions de CO2“. Un chiffre qui représente plus du double des émissions totales de la France. Dans son rapport annuel, l’organisation pointe également le coût trop élevé de cette énergie verte par rapport aux fossiles. Pour y remédier, l’organisation recommande des mesures politiques comme exiger dans les marchés publics l’usage d’hydrogène.
De quoi craindre un “gazoduc déguisé“, écrit dans une tribune aux Echos Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste énergie pour l’Europe à l’Institut d’analyse de l’économie et de la finance de l’énergie (IEEFA). Elle décrit un projet coûteux, environ 2,5 milliards d’euros, dont une partie repose sur un éventuel financement européen, basé sur une consommation de gaz incertaine. Pour Patrice Geoffron au contraire, le coût fait “qu’il n’y aurait pas un grand intérêt à investir pour transporter du gaz naturel”. On n’a pas fini d’entendre parler d’hydrogène.
Commentaires
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“deux millions de tonnes d’hydrogène par an c’est un dixième de l’objectif européen de production et d’importation pour 2030. C’est énorme !”, présente Simon Pujau, chargé de relations institutionnelles au sein de l’association de lobbying France Hydrogène. ”
Ah oui ! Car pour produire ces 2 millions de tonnes (le dihydrogène, il n’y en a pas à l’état naturel) il faut à peu près 100 TWh d’électricité pour l’électrolyse soit presque le quart de la production annuelle des centrales nucléaires françaises.
Donc tant qu’il n’y aura pas un parc d’énergies propres capable de produire ces 100 TWh “en surplus” de ce qui sera utilisé directement, c’est une vue de l’esprit.
Mais les lobbyistes font leur boulot et les chasseurs de primes sont à l’affut.
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projet du 20ème siècle…
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Quand on parle d’hydrogène vert, on a l’impression d’une nouvelle source d’énergie. Mais il ne s’agit que d’un moyen de transporter l’énergie produite autrement, un complément de l’électricité. Et sauf utilisation très spécifique c’est plus cher : par exemple pour un camion fonctionnant ainsi il faut franchir 7 étapes quand 4 suffisent s’il fonctionne directement à l’électricité(https://patricefaliph.wordpress.com/2021/09/16/poids-lourds-electrification-des-tir/ ).
De plus l’hydrogène diffusant très facilement (très petite molécule), il y a un risque important de fuite et d’explosion tout au long de la filière, beaucoup plus qu’avec le gaz naturel.
Il vaudrait mieux consacrer son temps et son argent à autre chose.
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Totalement en phase avec vous !
En complément, le rendement de la production d’hydrogène à partir d’électricité (électrolyse) est de 70%.
En comptant le rendement des moteurs à hydrogène qui est lui aussi assez mauvais, le rendement de bout en bout pour les voitures à hydrogène est estimé par l’ADEME à 22-23% contre 70-80% pour des véhicules électriques.
Les impacts écologique de l’occupation des sols par les fermes photovoltaïques et la construction du gazoduc ne sont pas négligeables.
Bref, il vaut mieux électrifier le transport et l’industrie et éviter d’écouter les lobbyistes de l’hydrogène qui sont souvent des pétroliers cherchant à se reconvertir au moindre effort.
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Étonnant qu’on songe à transporter de l’Hydrogène sur de telles distances. J’aurais pensé que la première chose à faire, c’était de le produire …
J’imagine que si les espagnols produisent de l’hydrogène, ils voudront d’abord le consommer eux même ? ils ont une industrie à faire tourner, eux aussi.
Ma foi, il y a quelque chose qui m’échappe, dans l’idée d’un gazoduc à hydrogène. Dans 50 ans, quand on en produira partout (et du “vert”), peut être. Mais pour le moment je vois pas l’intérêt de dépenser 2,5 milliards pour le transporter sur des kilomètres. Implanter les centres de production près des industries, ça prend plus de sens. Comme dit Pascal L, les lobbys ont bien vendu l’idée. Mais qui donc l’a achetée ?!
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