Ma fille, son école maternelle, les déceptions et moi

Échappée
le 20 Nov 2021
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C'est une école maternelle parmi d'autres à Marseille. Un an après un premier article témoignage, le journaliste Jean-Baptiste Mouttet revient sur son quotidien de parent d'élèves dans une école du 4e arrondissement. Malgré le changement de mairie, les difficultés demeurent. Et le sentiment d'impuissance gagne du terrain.

Une entrée de l
Une entrée de l'école se fait par le parking d'une résidence. (Photo : JBM)

Une entrée de l'école se fait par le parking d'une résidence. (Photo : JBM)

Le réveil sonne. Le téléphone vibre instantanément. “Un petit mot pour vous dire que malheureusement je ne pourrai pas revenir tout de suite en classe, car l’école de mes enfants est fermée“. Il est 7 heures. La journée débute bien. Une institutrice de ma fille est absente. Heureusement, sa classe de grande section de l’école maternelle Chutes Lavie HLM Méditerranée, classée REP+, compte deux maitresses. Devant les grilles de l’école, un peu plus tard, des parents ont moins de chance que nous. Ils hèlent leurs enfants : “On rentre !“. Ce 18 novembre, 4 professeures des écoles sont absentes sur 9. Elles ne sont pour le moment pas remplacées. La directrice devrait l’être la semaine prochaine. En raison du principe de “non-brassage” des élèves dû à la crise sanitaire, la répartition des élèves des instituteurs absents dans les autres classes n’est plus autorisée.

Depuis cinq ans que nos enfants sont scolarisés à Marseille, ces non-remplacements ne nous étonnent plus. Nous avons notre propre protocole de garde d’urgence, du Plan A, garde à tour de rôle chez nous, relais avec la baby-sitter en Plan B, au Plan C, appels désespérés aux voisins et amis dans la même galère, pour le plus grand bonheur de ma fille qui retrouve ses copines. Depuis ma première chronique “Ma fille, son école maternelle, Roselyne et moi”, l’an passé, les difficultés rencontrées se répètent.

Une mère d’élève a été absente de son travail 14 jours depuis la rentrée pour garder ses enfants.

En tant que parents d’élèves nos moyens d’action sont limités pour répondre aux besoins des enfants et parents. Nous sommes un groupe de pression qui envoyons des mails, des courriers et passons des coups de fils en tentant de trouver le bon interlocuteur. Nous bricolons. Dimanche 14 novembre, sur notre fil WhatsApp de parents, une mère alertait l’une d’entre nous. À cause de ses absences répétées pour garder ses enfants, (14 jours depuis la rentrée dont 8 pour cas de COVID) elle risque de perdre son emploi. Nous avons jeté une bouteille à la mer en écrivant à l’académie.

Les déceptions s’accumulent. Nous pensions avoir vaincu Roselyne, le surnom donné par ma fille aux rats qui s’invitaient dans l’école. Les appels répétés de Sandrine Fathi, à la fois parent délégué et présidente d’une association de locataires des résidences voisines a fini par pousser la société immobilière ICF Habitat à nettoyer les environs des poubelles, déposer des graviers et ériger un grillage pour éviter les dépôts sauvages qui attiraient les rongeurs. Mais le grillage est aujourd’hui éventré. Des étagères pourrissent au pied des poubelles. Roselyne peut repointer le bout de son museau.

Des avancées timides

L’arrivée de la nouvelle municipalité aux responsabilités amenait l’espoir du changement. Au cours de l’année scolaire précédente, des rénovations ont certes été réalisées : un des portails d’entrée a fait peau neuve avec un brise-vue, les marches des escaliers menant à une classe ont été en partie réparées, les fenêtres ont été remises en état alors qu’il ne s’agissait pas d’une demande… Mais les toilettes vieillissantes qui devaient être rénovées lors des vacances de la Toussaint ne l’ont pas été. Les enfants chercheront toujours un peu d’ombre dans une cour amputée par erreur d’un arbre sous la précédente mandature. Deux classes demeurent dans des préfabriqués mal isolés alors qu’un T4, qui hébergeait le directeur ou la directrice est toujours vacant.

L’adjointe en charge des affaires scolaires de la mairie des 4e et 5e, Odile Tagawa (voir “Odile Tagawa, la guerrière sage-femme”) est cette année encore présente lors du conseil d’école du 19 octobre. Cette fois, elle ne découvre pas l’ampleur des difficultés. Sa proximité avec la directrice qu’elle nomme par son prénom démontre d’échanges fréquents. Elle écoute, esquisse des pistes de solutions et se heurte aux moues dubitatives des parents d’élèves qui attendent des changements concrets. Dans notre école, les Atsem (pour agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) sont bien 7 pour 8 classes. Mais d’après l’équipe enseignante, qui note dans un cahier les “tatas” présentes, “Deux Atsem sont déplacées chaque jour (…) Elles se retrouvent souvent à 3 Atsem pour surveiller 90 élèves lors de la pause méridienne.” Ces déplacements répétés les usent et les stressent, relèvent les institutrices. Les autorisations spéciales d’absence (ASA) en raison de la pandémie aggravent la situation. Les enfants pâtissent de la situation. Le climat est dégradé. Trois parents vont assister à des pauses méridiennes à deux reprises. Pendant ce même conseil, l’adjointe nous rappelle que la mairie travaille à renforcer les temps périscolaires lors de la pause méridienne afin que ce temps soit l’occasion d’activités intéressantes pour les enfants.

L’impuissance de la mairie n’est pas toujours comprise. Sur un autre sujet délicat, les parents se plaignent des repas délivrés par la Sodexo. “Personne ne voudrait manger leurs œufs décongelés“, lance une mère devant le conseil. Mais le contrat avec la multinationale signé par la précédente mairie court jusqu’en 2026.

Une école dans un espace privé

Le matin, les familles se pressent par cet accès qui mord sur le domaine d’une résidence. (Photo : JBM)

L’accès à l’école, lui, n’est pas de la compétence de la mairie, mais il suscite toujours de fortes inquiétudes. C’est une rue étroite, où deux voitures ne peuvent se croiser, en pente forte et sans trottoir ni délimitation de passage pour les piétons. À 8 h 20 et 16 h 20 les piétons tentent de se frayer un chemin entre les véhicules qui bouchonnent. Parfois des coups de klaxons se font entendre quand une dispute n’éclate pas. Les parents, eux, serrent fort la main de leurs enfants.

Mais qui on est nous ? On n’est personne.

L’école, enclavée, est adossée à une colline. Face à elle, le parking privé que les piétons sont autorisés à traverser et les barres d’immeubles d’ICF. La mer se devine au loin. Une partie de l’aménagement de la voie est de la responsabilité de la métropole, l’autre de la filiale immobilière de la SNCF, propriétaire de la résidence. “Chacun se renvoie la patate chaude“, note Sandrine Fathi habituée à interpeller les deux organismes. “L’aménagement autour des poubelles pour éviter la présence des rats nous est facturé“, note celle qui habite aussi la résidence. Si ICF prend en charge l’aménagement de l’accès, les locataires verront leurs charges augmenter. L’entretien de la rue empruntée par les parents, enfants et citoyens allant voter coûte 702 euros mensuels TTC à l’ensemble des locataires selon Sandrine. Quand Odile Tagawa propose aux parents d’écrire à la métropole et ICF, elle provoque quelques haussements de sourcils. Une mère lâche : “Mais qui on est nous ? On n’est personne. La mairie, par contre…

Continuer le lobbying

L’espoir d’un bouleversement avec la nouvelle mairie est retombé. Quelques semaines après le conseil, non loin de l’école, nous partageons nos sentiments. Une mère note que “nous arrivons mieux à communiquer. Il y a une écoute. Des travaux sont faits. Ils sont insuffisants, mais c’est seulement un commencement“, quand une autre n’y voit que de la “communication”, “des avancements qui restent sur le papier.” Chacun espère secrètement que parmi les 254 millions d’euros pour la rénovation des écoles marseillaises approuvés par les députés le 27 octobre dans le projet de budget 2022, quelques euros iront à l’école maternelle Chutes-Lavie.

Pour le moment, nous allons chercher l’argent avec nos petites mains en emballant des cadeaux dans un magasin de jouets pour financer des activités. Et bien entendu, nous continuons notre travail d’apprentis lobbyistes pour voir le cadre d’enseignement de nos enfants enfin devenir épanouissant. Cette année l’école a perdu des élèves, elle en compte 154 contre 173 l’année précédente. La fermeture d’une classe a été évitée de justesse.

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Les coulisses de Marsactu
Marsactu a demandé une nouvelle fois à Jean-Baptiste Mouttet d'utiliser le "je". Pas celui du journaliste, mais du parent d'élève. Une façon de raconter la réalité depuis un récit individuel, dans une ville où les écoles sont un des dossiers les plus brûlants pour la municipalité.
Jean-Baptiste Mouttet

Commentaires

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  1. Christelle Christelle

    Vous devriez demander à ICF de rétrocéder la voie d’accès à la Métropole. Cela se fait fréquemment. Cela clarifiera les compétences, mettra la collectivité face à ses responsabilités et évitera la refacturation aux locataires !

    Christelle

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  2. le piéton de Marseille le piéton de Marseille

    La difficulté c est que parent d’élève on ne le reste que quelques années.
    Alors les années passent, les problèmes restent.
    Épuisant et décevant effectivement.

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  3. Stéphane Coppey Stéphane Coppey

    Et si l’on commençait par fermer ce court bout de rue aux voitures, qu’on y plantait quelques arbres de haute tige, quelques bancs et autres appuis-velos ?

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