La lutte contre les dépôts illégaux du BTP encore en chantier
Nouvel épisode de notre enquête sur les déchets du BTP dans le département. Maires, procureurs ou préfet, les pouvoirs publics se sont saisis de ce phénomène. Mais cette lutte bénéficie de peu de moyens face à l'ampleur des dépôts illégaux.
Un merlon non autorisé en bordure de l'A55, à Gignac-la-Nerthe.
Quand le bâtiment va tout va. La maxime est célèbre. Elle a un revers moins glorieux, dans les Bouches-du-Rhône, quand les grues fleurissent, les gravats poussent illégalement sur les terres agricoles et naturelles. Depuis plusieurs mois, Marsactu enquête sur ces ballets de camions qui investissent les interstices de l’espace périurbain. Vous pensez peut-être n’avoir jamais croisé ces imposantes buttes où la terre excavée par les terrassiers se mélange parfois aux restes de démolition voire à l’amiante ? Ouvrez l’œil sur l’A55, dans le train entre Marseille et Miramas, comme sur les chemins de traverse. Vous serez surpris.
“Les merlons fleurissent sur les bords des routes et des autoroutes de façon étonnante”, confirme Dominique Moyal, la procureure d’Aix-en-Provence qui suit de près ce dossier. Depuis novembre 2012, les infractions à l’urbanisme et à l’environnement font l’objet d’un comité opérationnel – le Colaen 13 – lancé par les trois parquets du département. “Dans un contexte de grands travaux dans les Bouches-du-Rhône et plus particulièrement à Marseille”, rappelle Dominique Moyal, les déchets du BTP font figure de sujet phare.
Merlon
Pour le néophyte le terme n’évoque pas grand chose, à part peut-être les fortifications médiévales. Mais on l’entend partout de la bouche des professionnels du secteur, dans les courriers de plainte des associations de défense de l’environnement, dans les PV d’infractions des communes. Lorsqu’ils sont autorisés, ils sont qualifiés de “paysagers”, car la végétation est censée y reprendre ses droits, ou font office de protection acoustique, comme le long de l’A8 à Rousset.
La raison est évidente : “C’est plus économique de décharger illégalement.” Pour autant, il ne s’agit pas là de dépôts sauvages, comme quand un particulier abandonne discrètement dans une clairière le contenu d’une remorque. “Les entreprises qui répondent à des marchés sur Marseille vont ensuite voir des propriétaires de terrains pour négocier un dépôt à une dizaine d’euros la tonne, bien moins que dans une décharge autorisée”, résume Christian Amiraty, le maire de Gignac-la-Nerthe, particulièrement touchée. “Cette plaine de Châteauneuf – Gignac est un vrai scandale, ça s’étend jusqu’aux Pennes-Mirabeau”, se désole-t-il.
Gignac a même fait l’objet d’un “traitement hors normes”, dixit Dominique Moyal, qui y a mis en place un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD déjà évoqué par Marsactu) entre mai 2013 et l’été 2014. “Je suis venue sur place à la demande du maire, j’ai vu la catastrophe.” Mais la tâche est bien plus vaste. “Pertuis est aussi touchée que nous, signale Christian Amiraty. Le maire a embauché une personne qui ne s’occupe que de ça. J’ai proposé que les maires se regroupent au sein de la métropole pour faire de l’échange d’expériences et faire pression de manière concertée sur les services de la préfecture.”
Appel à la vigilance des maires
Cette mission de lutte contre les sites illégaux revient à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). “Nous avons deux actions en parallèle. Côté administratif, nous proposons au préfet de faire une demande de régularisation ou de cessation d’activité. Côté pénal, nous passons le relais au procureur via un procès-verbal”, détaille Patrick Couturier, chef de l’unité territoriale Bouches-du-Rhône de la Dreal. Une quinzaine de cas ont été traités en deux ans, mais la tâche est lourde, d’autant plus qu’elle est aussi chargée de surveiller les 14 sites autorisés. “Ça nous prend beaucoup de temps, on fait au maximum avec la personne qui a été recrutée pour suivre tous les signalements.”
D’où le courrier envoyé aux maires en juillet 2014 par le préfet Michel Cadot. Il leur demandait “la plus extrême vigilance” face à “une recrudescence d’affaire” qui lui était signalée “dans tout le département”.
Contrairement aux obligations imposées en la matière, il semblerait qu’un nombre croissant de producteurs de déchets (…) se contentent d’accumuler des matériaux, sans aucun tri préalable, sous forme de remblais ou merlon dans des zones qui, de surcroît, bénéficient d’une protection particulière (zone agricole, zone naturelle).
Courrier du préfet Cadot aux maires des Bouches-du-Rhône
L’idée était de “mettre les maires devant leurs responsabilités”, commente aujourd’hui Patrick Couturier. Car, à côté de la Dreal, ceux-ci disposent de pouvoirs de police pour des aménagements de type merlon non autorisés. Les procès-verbaux aboutissent là encore sur le bureau du procureur.
Si l’on en croit Dominique Moyal, cette consigne a produit un effet somme toute variable : “On a tous les cas de figure, du laisser-aller total – aucun PV – jusqu’à des quantités importantes de signalements pour la moindre lucarne qui ne va pas sur une maison. Je tâche donc de sensibiliser les maires, de leur dire de m’alerter sur ces questions d’urbanisme mais pas pour des affaires courantes.”
À Gignac, la longue chaîne de la justice
À la Dreal, Patrick Couturier veut croire à l’effet “d’une répression efficace” pour “calmer les uns et les autres” et ainsi limiter l’ampleur de la tâche. Mais vue de Gignac, cette politique de l’exemple ne saute pas aux yeux. Certes, deux ans après le GLTD, Dominique Moyal dresse un bilan positif de l’opération : “Sur 10 cibles, on est allés au bout du bout.” Parmi celles-ci, la société BSP 13, condamnée en appel à 15 000 euros d’amende et l’obligation de remettre le site en état avec une astreinte de 100 euros par jour. Non loin de la zone d’activité des Florides, un terrain voisin du site de l’entreprise a été saccagé. “Il y en a pour un million d’euros de dépollution”, assure Christian Amiraty. Le problème, c’est que le bourbier est toujours là, malgré le délai de six mois laissé par le jugement d’octobre 2015.
Idem plus au Sud, le long de l’avenue de la Méditerranée entre Gignac et Châteauneuf. Le groupement foncier agricole Bayon a fait tout autre chose que du maraîchage : une grande villa et beaucoup de gravats. 11 000 euros d’amende cumulés et remise en état sous 6 mois avec astreinte de 50 euros par jour. Les photos de Marsactu sont là pour témoigner de l’inexécution du jugement. En attendant, de nouveaux sites apparaissent, qui nous donnent droit à une visite guidée en voiture par le maire.
“On a affaire à des professionnels”
Face à une réponse qu’il juge trop modeste, Christian Amiraty avance une explication culturelle : “La saisie des biens, on sait faire pour les trafiquants, pas pour l’urbanisme. D’ailleurs le terme « délinquant de l’urbanisme » n’existe pas vraiment…”
Commentaires
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La carrière de granulats de Lafarge à Cassis (au quartier du Bregadan) doit être remplie de gravats comme stipulé par la législation. Le décor est conséquent depuis Marseille mais au moins le tarif de gravats est dérisoire : 10 eur la tonne. Pour info !
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Très intéressant.
S’il est bien de voir la justice et les mairies se mobiliser, je suis étonné de ne voir que le versant répressif mentionné… car au delà de la répression des producteurs de déchets comme ils sont nommés il aurait été intéressant de mettre en cause – tout du moins d’évoquer – la façon dont se font les attributions de marché dans la construction, et dont sont menés des politiques d’aménagement inconséquentes de ci de là.
Force est de constater que la métropole ne sera pas une institution qui s’attaquera à ce sujet vu la coquille vide qui a été pondue, en particulier sur les questions d’aménagement et d’urbanisme ($$)
Savez vous s’il y a moyen d’avoir un inventaire de ces lieux de dépôt dans le périmètre métropolitain, même partiel ?
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Bonjour, je travaille actuellement à un nouveau volet sur ces questions. A bientôt.
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