Liliana, mère d’une victime du 5 novembre : “ma crainte, c’est que les gens oublient”
Liliana Lalonde était la mère de Julien, l'un des huit disparus de la rue d'Aubagne. Malgré le deuil, elle est aujourd'hui déterminée à faire vivre la mémoire des victimes et à s'exprimer tant que les coupables n'auront pas été désignés.
Rue d'Aubagne, un panneau rend hommage aux huit victimes des effondrements du 5 novembre. (Image LC)
Le 5 novembre dernier, Liliana Lalonde a perdu son fils aîné âgé de trente ans, Julien, dans l’effondrement du 65, rue d’Aubagne. Depuis, elle et sa famille sont immergés dans un deuil immensément douloureux. Ils se sont retrouvés propulsés dans un contexte social et politique marseillais dont ils ignoraient tout, eux qui ont toujours vécu entre France et Pérou. Entourée de son époux et de sa fille, elle est revenue la semaine dernière à Marseille pour la première fois afin de rencontrer l’un des juges d’instruction chargés de l’enquête. L’occasion pour eux de rencontrer les membres du collectif du cinq-novembre avec qui ils sont en contact étroit et dont ils soutiennent le combat. Par-delà la tristesse, Liliana Lalonde est décidée à prendre la parole tant qu’il le faudra et à “maintenir la pression” pour obtenir des réponses. Elle confie ses espoirs et ses inquiétudes.
Marsactu : Quelles nouvelles avez-vous de l’enquête en cours ?
Liliana Lalonde : Nous venons de rencontrer le juge. Nous sommes très satisfaits de l’entretien avec lui, il nous a expliqué de façon très claire les actions entreprises, et ce qu’il reste à faire. Nous avons senti énormément d’empathie et de sincérité de sa part. On sait qu’il a rencontré toutes les familles, et qu’il y tenait absolument pour pouvoir expliquer précisément, pour qu’on soit rassurés. Avec mon époux et ma fille, nous nous sommes portés partie civile. Pour la suite, comme le juge nous l’a expliqué, ça prendra le temps que ça prendra. Il n’est pour le moment pas possible de savoir combien de temps durera l’enquête en cours, mais nous sommes conscients que cela risque de durer plusieurs années. Arrêter une date pour les conclusions de l’enquête, ce n’est pas possible, mais on lui fait confiance pour que ce travail soit fait de façon droite et honnête. Plusieurs expertises sont en cours. Nous sommes dans l’attente des résultats d’un rapport d’expertise attendu pour la fin de l’année. Nous retournerons à Marseille en octobre.
La question s’est posée de pouvoir récupérer des effets personnels de votre fils…
Oui, je suis déçue de ne pas pouvoir récupérer ses affaires. On aimerait pouvoir le faire. Comme il a fait le tour du monde deux fois, il avait de toutes petites choses, il n’accumulait pas d’affaires, et c’est vrai que cela nous aurait un peu consolé de pouvoir les récupérer, comme le disque dur de son ordinateur… On l’a mentionné à la mairie, mais on n’a pas eu de réponse. On s’est permis d’en parler au juge qui a promis qu’il ferait de son mieux. Quand ils n’auront plus besoin des gravats, ils verront ce qu’ils peuvent faire. Mais cela représente des travaux énormes de recherche, c’est très onéreux.
Quelles sont vos inquiétudes pour la suite ?
Je veux que justice soit faite. Et pour que justice soit faite, il faut maintenir une pression, qu’il y ait toujours de l’information, des discussions, le plus possible. Mon souhait est de maintenir cette tragédie à l’ordre du jour. Pour le procès, on est obligés d’attendre, c’est dans la durée que cela se fait. Que ce soit la presse, les parties civiles, on est obligés d’attendre. Ma crainte, c’est que les gens oublient et que cette pression baisse. Mon intérêt est de maintenir et d’entretenir l’information. Pour l’instant ce n’est “que” six mois, il y a encore beaucoup de choses à chercher, à gratter, à trouver.
Et par la suite, quand les conclusions des experts vont commencer à tomber, j’espère que les coupables petit à petit seront identifiés par la justice, qu’elle jouera son rôle et fera le nécessaire pour que ces personnes soient mises face à leurs responsabilité, punies, afin que cela ne se reproduise jamais.
Avez-vous été frappée par la vague d’évacuations qui a suivi ?
C’est incroyable. Quand ça a commencé, j’étais dans la douleur. Mais quel choc de voir qu’il y avait d’autres familles dans ces situations [de mal logement, ndlr]. On dirait qu’ils ont attendu qu’il y ait un malheur de la sorte pour bouger. Tout de suite après il y a eu des évacuations. Au moindre doute, on a fait sortir les gens, les enfants, sans rien pratiquement dans leurs bras. Ce sont des victimes de l’irresponsabilité incroyable de la part de ceux qui avaient la possibilité d’améliorer cet habitat, de changer la vie de ces personnes. Et aujourd’hui, ces centaines de personnes payent les conséquences.
J’essaie de me dire que ces huit victimes, ont certainement sauvé des personnes, des habitants de Marseille. Bien évidemment, j’extrapole un peu. Mais vu la situation quand on se promène un peu dans les rues de Marseille, on voit sans trop avoir à chercher qu’il y a beaucoup d’immeubles en piteux état.
Avez-vous eu des nouvelles de la Ville de Marseille depuis le drame ?
Aucune. La mairie a présenté ses condoléances un mois après, mais c’est tout.
En avez-vous eu de la part du propriétaire de l’appartement de votre fils ?
Non, on n’a rien reçu.
Pour vous qu’est-ce qui est à l’origine de ces silences ?
Je ne cherche pas à l’identifier, je souhaite me concentrer mon énergie à comprendre l’origine du drame. Et puis, nous avons reçu tellement de sympathie et de solidarité de la part de la famille, de nos amis, des amis de notre fils, des collectifs et des Marseillaises et des Marseillais qui ne nous connaissent pas… Toute cette aide et accompagnement nous a portés et encore aujourd’hui nous porte.
À vos yeux, la mairie de Marseille est-elle responsable ?
J’ai confiance en la justice et nous suivons de près les investigations, donc pour l’instant je ne peux pas répondre à votre question.
Êtes vous en colère ?
Ma colère elle est envers l’inconscience humaine. Quand on réfléchit à toutes les choses qui ont dû se passer pour que notre fils soit là. Il avait décidé de changer d’appartement, mais il se préoccupait de trouver un nouveau locataire pour le remplacer, il ne voulait pas laisser le propriétaire comme ça et il avait trouvé juste cinq jours avant… On est en colère contre tout ça. Comment est-ce possible que cela arrive à un jeune homme de trente ans ? Il n’y a pas un jour où je ne l’imagine assis dans son appartement et qui voit que tout lui tombe dessus. Il a vécu au Pérou, il a vécu de nombreux tremblements de terre, de nombreuses aventures, il ne lui est jamais rien arrivé. Il aura fallu qu’un immeuble habité s’effondre à Marseille pour nous l’arracher… C’est cette fatalité incroyable qui nous donne la rage. On se demande pourquoi lui et pourquoi pas nous. Des phrases classiques mais inévitables.
On vous sent décidée à prendre la parole, comptez-vous continuer à vous exprimer ?
Oui, absolument, tous les mois si c’est possible, tout le temps, si on veut m’entendre. Il est certain qu’il n’y a que la presse et les collectifs de soutien qui peuvent faire entendre notre voix, la voix des familles des victimes. Je le ferai jusqu’au bout, jusqu’à ce que les responsables soient identifiés.
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