L'hôpital européen se cherche un territoire

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le 29 Août 2013
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L'hôpital européen se cherche un territoire
L'hôpital européen se cherche un territoire

L'hôpital européen se cherche un territoire

Avec ses lignes modernes, l'hôpital européen rend encore plus obsolète la silhouette massive de l'hôpital nord. A un an près, cinquante ans séparent les deux bâtiments. Situé avenue Roger Salengro, à la lisière entre les immeubles flambant neufs d'Euromed et les rues plus populaires de La Villette, ce nouvel hôpital privé est le fruit de la fusion entre les deux hôpitaux Ambroise Paré et Paul Desbief. Si ce dernier était déjà dans le quartier, Euroméditerranée se voit doté d'un établissement d'une capacité totale de 600 lits, contre 160 à l'origine.

Privé mais à but non-lucratif (à distinguer d'un établissement privé à but lucratif), il a accueilli ses premiers patients il y a quelques semaines. Sur le papier, ce nouveau bâtiment devrait pallier un manque en offre hospitalière dans le secteur. "La localisation de l'hôpital européen au nord de Marseille résulte d'une volonté commune de notre fondation et des pouvoirs publics, explique son directeur Jean-Luc Dalmas, l'établissement est situé dans une zone très urbaine dans laquelle aucun établissement de santé n'est présent. Par le passé, il existait une offre de soins, publique notamment, mais celle-ci a désormais disparu".

Un rôle de proximité

Pour lui, l'hôpital Européen doit d'abord remplir une mission de proximité au centre d'un triangle constitué de trois établissements aujourd'hui fermés : Houphouët Boigny au nord, la maternité de la Belle de Mai et même l'Hôtel Dieu, au Panier. Les urgences ouvriront quant à elles mi-septembre. L'objectif de l'établissement est d'atteindre au moins le même nombre de personnes accueillies que ses deux prédécesseurs soit environ 29 000 par an. "L'hôpital européen n'accueillera pas pour autant la même population qu'avant avec Paré et Desbief puisqu'il couvre des arrondissements différents" commente-t-on à l'Observatoire régional des urgences.

Certains attendent de le voir fonctionner pour juger du caractère de proximité de ce nouvel hôpital. L'anesthésiste Bertrand Mas-Fraissinet "pense qu'il y a beaucoup d'affichage". Le praticien – ayant par ailleurs participé à la réflexion sur la santé du candidat aux primaires socialistes Patrick Mennucci –  émet quelques doutes sur la réalité de cet engagement. Sous statut d'établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), l'hôpital européen devrait bannir tout dépassement d'honoraire. Mais, aux dires de Bertrand Mas-Fraissinet, "cela n'empêchera pas les chirurgiens, qui font généralement leurs consultations en dehors, de pratiquer des tarifs plus élevés que la normale. Ainsi, tout dépendra de leur politique tarifaire".

L'épisode du transfert d'activité de la clinique Beauregard – finalement annulé – est de nature à nourrir les craintes : il était initialement prévu de créer "une nouvelle structure à but lucratif sur le site", avant que l'Agence régionale de santé (ARS) rappelle que la construction ayant été "financée par des crédits publics", il n'était pas question d'un tel montage dans ses murs. Plus simplement, l'aspect privé peut constituer une barrière pour des patients modestes, même si les tarifs ne devraient théoriquement pas être différent d'un établissement public.

Au nord du centre-ville, au sud du 15e

Présenté comme ultramoderne, label haute qualité environnementale à l'appui, l'établissement vient répondre à un autre constat : celui du déséquilibre entre le Nord et le Sud en termes d'offre médicale. Selon l'ARS, alors que le Sud de l'agglomération compte 46% de la population, il dispose de 75% des lits d'hôpitaux. Ce rééquilibrage de l'offre de soins à Marseille est l'une des priorités du schéma régional d'organisation des soins porté par l'ARS. Consciente du chemin qui reste encore à parcourir, la direction de l'hôpital européen admet toutefois : "Notre opération ne suffira pas à elle seule à rétablir cet équilibre, mais elle y contribue fortement".

Si effectivement la nouvelle structure vient combler une diagonale du vide, elle ne résout pas le problème de l'accès à un établissement de santé d'une partie de la population. Une étude de l'Insee de 2012 montre que plus de 165 000 Marseillais – soit 18,6% de la population – mettent entre 30 à 40 minutes en transports collectifs pour rejoindre l'établissement de santé le plus proche. Et 9% des Marseillais sont à plus de 40 minutes d'un hôpital. Parmi les zones rouges, on trouve tout l'Est non desservi par les transports en commun.

Dans le domaine de la santé aussi, les transports en commun sont un vecteur démultiplicateur des inégalités territoriales, et pas uniquement sur la base d'une limite nord-sud. L'accessibilité de l'établissement flambant neuf est un de ses arguments de promotion : une station de métro à 30 mètres, une station de tramway à 300 mètres, et les sorties d'autoroutes. Pour y aller du centre-ville, effectivement, la localisation est idéale. Mais la desserte par le nord en transport en commun reste très insuffisante, l'hôpital ne pouvant aller plus vite que l'extension des lignes de métro. Il y a bien le bus 70 pour le relier à la Canebière d'une part et le lycée Saint Exupéry de l'autre. On connaît son confort. Cette desserte asymétrique, dont il n'est pas responsable, laisse penser que l'hôpital européen regarde plus le centre-ville que le nord.

"Un concurrent pour l'hôpital nord"

Loin de venir renforcer l'offre hospitalière de la ville, cette nouvelle structure privée représente une menace aux yeux de certains. Jean-Marc Coppola, conseiller régional communiste siégeant au conseil de surveillance de l'AP-HM, considère qu'il sera "compte tenu de sa situation géographique et de ses facilités d'accès, en concurrence avec Lavéran et l'hôpital nord". Déplorant "l'aide de 56 millions d'euros de l'Etat pour cet hôpital privé", il l'oppose à la situation de l'hôpital nord qui lui manque de moyens.

Non seulement l'hôpital européen va accroître les inégalités d'accès aux soins mais en plus, il va conduire à la mort de l'hôpital nord d'ici quelques années.

L'ouverture de ce nouvel hôpital soulève également une autre problématique : celle de l'égalité et universalité de l'accès aux soins, même pour les plus démunis. La part des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et de l'aide médicale d'État (AME) est dans ce secteur plus du double de la moyenne départementale. Pour Bertrand Mas-Fraissinet, les mesures d'accompagnement que mettra en place l'hôpital seront déterminantes : "S'ils ne mettent pas en place une vraie politique d'accessibilité notamment l'aide à l'ouverture des droits, les populations défavorisées du nord de la ville n'iront pas dans cet établissement." A la direction de l'hôpital, on répond que la "mission sociale de la fondation est traditionnellement connue et reconnue". A Médecins du Monde, qui tient une permanence sanitaire à quelques rues de là, l'engagement de cet hôpital tout neuf mais finalement pas si nouveau laisse perplexe.

Nombre de passages aux urgences en 2012 (source ARS – ORU)

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Commentaires

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  1. Céhère Céhère

    “Selon l’ARS, alors que le Sud de l’agglomération compte 46% de la population, il dispose de 75% des lits d’hôpitaux. Ce rééquilibrage de l’offre de soins à Marseille est l’une des priorités du schéma régional d’organisation des soins porté par l’ARS.”
    Ah, c’est donc pour ça qu’ils ont complètement sacrifié l’hôpital Ste-Marguerite, qui n’est plus qu’un centre de soins de suite complètement mort le week-end et guère plus actif en semaine par rapport à ce qu’il était il y a encore cinq ans.

    L’infographie s’arrête au boulevard Baille, c’est bien gentil mais ça aurait intéressant d’en faire une concernant tout Marseille, qu’on puisse juger sur pièce, et pas seulement sur les affirmations de l’ARS dont on voit qu’elles ne convainquent pas grand monde.
    Que reste-t-il dans le sud ? St-Joseph (et encore, c’est plus la la fin de l’hypercentre). Et la clinique Bonneveine qui vivote.
    Sans parler du fait que ce découpage nord/sud de Marseille ne correspond à rien, et n’est qu’une facilité de langage politicienne et journalistique. Conception/Timone ce n’est pas le sud, c’est le centre.

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  2. Nonyma Nonyma

    Il semble bien évident qu’un tel hôpital à statut privé va trier sa clientèle. Les patients devant faire l’avance de leurs frais contineront d’aller sur l’Hôpital Nord, même si l’attente est longue. Deplus, seront surtout réalisées les opérations qui rapportent financièrement, les autres soins étant renvoyés sur l’hôpital nord.
    Voilà comment les choses vont se passer.

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  3. SauverleSecteurAssociatif SauverleSecteurAssociatif

    C’est un établissement privé mais non lucratif type loi 1901 accessible à tous ! Ce nouvel établissement permettra sûrement de tirer les établissements sanitaires de Marseille vers le haut !

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