L’État reprend la ronde sans fin des expulsions de squats au parc Kalliste

Reportage
le 10 Mai 2022
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La préfecture a procédé ce mardi matin à l'expulsion de 36 appartements du parc Kalliste, squattés par des migrants, souvent demandeurs d'asile. La semaine dernière, de graves tensions avaient poussé des locataires à quitter les lieux en demandant un relogement immédiat.

Une occupante du G32 s
Une occupante du G32 s'apprête à rejoindre les bus affrétés par la Ville sous les yeux des CRS. photo : B.G.

Une occupante du G32 s'apprête à rejoindre les bus affrétés par la Ville sous les yeux des CRS. photo : B.G.

Le décor est légèrement différent, la scène et les acteurs identiques. Ce mardi, dans la matinée, la préfecture procédait à une opération d’expulsion des squats du bâtiment G du parc Kalliste. Cinq ans auparavant, en plein hiver, c’est le bâtiment H qui était évacué. Le prélude d’une longue série d’expulsions d’année en année, de la caserne Masséna au bâtiment A du parc Corot, en passant par la cité du petit Séminaire et le bâtiment A des Flamants. Avant de revenir à Kalliste.

“You are welcome ! We are ready to go !”, hurlent des jeunes gens depuis les fenêtres du G 32. Il est huit heures et des poussières quand les premiers cars de CRS font leur apparition sur le parvis défoncé du bâtiment G. Vendredi 6 mai, la préfecture avait publié un communiqué annonçant une accélération des procédures d’expulsion “avec concours de la force publique”. Ce jour-là, 36 appartements, propriétés de la société publique Marseille habitat, sont concernés dans le bâtiment G principalement, et de manière plus anecdotique dans les bâtiments I et A.

104 occupants sans titre

Arrivé sur place un peu plus tard, le préfet de région, Christophe Mirmand se félicite d’une opération “délicate qui se déroule dans le calme alors que les bâtiments sont toujours occupés par des habitants titrés“. “Il s’agit ici de rendre plus sereine la situation qu’elle ne l’était pour eux”, explique-t-il, rappelant que le bâtiment doit être démoli dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine. Le préfet évalue à 108 personnes les occupants sans droit, ni titre. Une fois expulsés, les appartements doivent être “dévitalisés”. “Les cloisons seront détruites et les gravats laissés sur place”, détaille Laurent Carrié, le préfet délégué pour l’égalité des chances qui l’accompagne.

La présidente de Marseille Habitat, Audrey Gatian se disait plutôt opposée à cette méthode : “Nous avons évolué notamment parce que les appartements seront dotées d’alarme anti-intrusion permettant à la police d’intervenir en flagrance et d’éviter que des personnes s’installent dans des logements dangereux pour elles”.

Avertis par les forces de police la veille, beaucoup d’occupants avaient déjà plié bagage.

La veille, les forces de police ont fait le tour des bâtiments pour informer les habitants sans droit ni titre de l’opération du lendemain. “Beaucoup ont fait leurs valises et sont partis à ce moment-là”, raconte un jeune migrant d’origine ghanéenne qui, lui aussi prend le chemin du départ en tirant sa valise. Lui parle un français plutôt courant, du fait des origines sénégalaises de sa mère. Il vit dans une chambre d’un appartement de l’entrée G32, marquée d’une peinture “welcome in the dark side” et du portrait de Dark Vador. La fresque se poursuit dans l’entrée du “dark coffee” de la cité. Une odeur nauséabonde hante le hall, en provenance des caves utilisées comme lieux d’aisance. Les uns après les autres, les résidents sortent en tirant leurs valises, télé, poussettes et parfois gros pots de peintures.

Les occupants expulsés dénoncent une situation d’insécurité dont ils se disent victimes. (Photo : B.G.)

En attendant l’huissier

Les premières escouades de CRS pénètrent dans les bâtiments. “Pour l’heure, il s’agit d’informer les habitants et de libérer les parties communes”, lâche un CRS en s’engouffrant dans l’escalier. À l’extérieur, des agents de Marseille habitat partagent de grandes feuilles qui répertorient les appartements du G colorés selon la nature de leur occupation. Les expulsions proprement dites débuteront avec l’arrivée de l’huissier, seul habilité à signifier aux occupants qu’ils doivent quitter les lieux. Dans une ambiance surréelle, des mamans amènent leurs enfants à l’école. Ils jettent des regards intimidés vers les fourgons de police et les CRS disséminés.

En entrant sur les talons des forces de l’ordre au bâtiment G32, on découvre des appartements quittés à la hâte, avec des vestiges de repas dans la cuisine, des jouets à terre, des lits défaits, comme si leurs occupants s’étaient brusquement volatilisés. La plupart d’entre eux étaient équipés d’une porte métallique, dite “antisquat”, qui a été forcée.

Un des appartements précipitamment vidés. (Photo : BG)

Le réseau omniprésent

Dans l’escalier faiblement éclairé par les loupiotes des éclairages de sortie de secours, Saido* dit à mots comptés son soulagement. Il vit et a grandi là avec ses cinq frères et sœurs et sa maman. “Mon père ne vit plus avec nous”, ajoute-t-il dans un souffle. “On doit partir d’ici deux semaines pour un appartement dans le 3e, raconte le jeune homme de 21 ans, toujours scolarisé dans un lycée de Saint-Henri (16e). C’était devenu impossible de vivre ici. Les migrants sont là depuis deux ou trois ans. Avant cela, ils étaient au bâtiment H et quand ils l’ont évacué, ils sont venus au G.

Peu à peu, la situation s’est dégradée avant de prendre un tour violent “il y a deux mois”. Pour lui, les choses se sont mises à dégénérer à partir du moment où le réseau de narco-trafic a embauché des réfugiés. “Je crois qu’ils ne les ont pas payés et que c’est parti de là”, suppose le jeune homme. Difficile d’avoir une idée précise de la nature de l’étincelle, mais ses conséquences sont bien réelles. Marsactu a raconté comment plusieurs incendies volontaires déclenchés le week-end du 1er mai ont poussé une soixantaine de personnes à demander leur évacuation immédiate des lieux à leur bailleur.

Les réfugiés très majoritairement d’origine nigériane se massent au pied des immeubles. Les travailleurs sociaux de l’Addap 13 interviennent pour expliquer la suite des évènements dans un anglais parfois hésitant. Quand on les interroge, les expulsés racontent tous la violence des relations avec “les trafiquants de drogue, de shit et de cocaïne” qui n’ont de cesse de les harceler.

Avoir un toit, travailler, attendre ses papiers

“Nous, on est là pour avoir un toit et aller travailler, explique un dénommé God’s time qui fait de la peinture en bâtiment sur des chantiers. Tout ce que je veux c’est vivre en paix avec ma famille. Le problème est qu’on est harcelés par les trafiquants de drogues”. Il dit qu’appeler la police ne sert à rien. “Ils font un tour en bas puis repartent”, laissant les uns et les autres face à face, dans d’infernales représailles.

J’ai fui mon pays parce qu’il n’y avait pas de paix, je me réfugie ici et il n’y a pas de paix.

Haruna, réfugié

Un peu à l’écart de l’entrée, Haruna et Friday secouent la tête, l’air navré. L’un et l’autre sont demandeurs d’asile. Calot brodé sur le crâne, Haruna arrive du Nord du Nigeria alors que Sunday vient de la région d’Edo dans le sud. “J’ai fui mon pays parce qu’il n’y avait pas de paix, je me réfugie ici et il n’y a pas de paix”, se désole-t-il. Il a débarqué en Italie en 2020, en France l’année suivante. Il a atterri à Kalliste en novembre dernier, en payant 450 euros pour obtenir l’accès à une chambre en colocation. Sunday est arrivé durant l’été. Il a payé deux fois 250 euros pour deux chambres successives. Une situation qui découle de la carence du dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile : les Bouches-du-Rhône disposent de 3138 places quand 6590 demandeurs d’asile sont enregistrés à la structure de premier accueil des demandeurs d’asile de Marseille.

Le cycle sans fin de la mise à l’abri

Encadré par des travailleurs sociaux, un couple avec deux enfants, dont un nourrisson, écoute avec méfiance le déroulé de l’hébergement qu’on leur promet : dormir dans un gymnase, répondre à une enquête sociale, être mis à l’abri à l’hôtel durant un temps indéfini. Le père de famille affirme avoir été logé avec sa famille pendant “deux ans et trois mois” par une association. “Ce sont eux qui nous ont amenés ici parce qu’ils n’avaient plus d’argent pour financer notre logement”, poursuit-il. Ils finiront par rejoindre le bus spécial affrété par la RTM, sans conviction.

Beaucoup d’occupants protestent contre un délogement qui n’apporte pas de vraie solution. (Photo : BG)

Un peu plus loin, les esprits s’échauffent. Des femmes crient, pointent les voisins, “arabic people”, trafiquants de drogue qu’elles accusent de tous les maux. “Moi, je ne veux pas dormir dans un hôtel où on ne peut même pas se faire à manger”, s’insurge une jeune femme intégralement vêtue de mauve qui passe d’un groupe à l’autre en vitupérant.

Au pied du G28, investis à son tour par la police, de jeunes gens protestent avec vigueur devant les caméras de télé. L’un d’eux tient à nous montrer les multiples cicatrices de coups de couteau qu’il dit avoir subis depuis qu’il vit ici.

Soudain un jeune homme s’en prend à lui à grands éclats de voix. “Il l’accuse d’avoir été de ceux qui ont envenimé la situation avec les autres habitants”, explique Grace Inegbeze, une militante qui suit les différentes communautés nigérianes de la ville. Elle-même se démène de l’un à l’autre pour apaiser, expliquer, convaincre. Alors que les cars se remplissent peu à peu, d’autres réfugiés traînent leurs valises jusqu’à l’arrêt de bus. Elles disent avoir leur propre solution de logement “à Saint-Charles”.

Dans le bus B2 bondé, une jeune femme juchée sur sa valise joue sur son smartphone. Boulevard Oddo, un compatriote la salue alors qu’il quitte le bus, un écran plat et un ventilateur sous le bras. Kalliste pour lui c’est fini, mais il reste toujours les Rosiers, Corot ou ailleurs.

Actualisation le 10 mai à 17 h 50 : Ajout des propos d’Audrey Gatian, présidente de Marseille Habitat.

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Commentaires

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  1. Lewis Lewis

    « des réfugiés, souvent demandeurs d’asile »
    Ça ne veut rien dire. Quand on est réfugié on n’est plus demandeur d’asile…

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  2. Benoît Gilles Benoît Gilles

    Oui, effectivement. Nous corrigeons.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Carence du Département dont c’est la responsabilité, carence à plusieurs niveaux administratifs, et une situation inhumaine s’installe.

    Le respect de la dignité et des droits fondamentaux de toute personne humaine est ici bafoué.

    Logement, sécurité, accès aux soins, emploi, et suivi administratif devraient être assurés.
    Comme dans d’autres pays européens, pas forcément plus riches. Et qui ont plus de demandeurs d’asile que la France.

    La situation est mieux gérée dans certains départements ; dans les Bouches-du-Rhône on est en dessous de tout. Or il n’y a pas forcément plus de migrants ici contrairement à ce que certains affirment. 6 000 personnes ce n’est pas ingérable. Ça le devient parce qu’il n’y a ni les moyens (préfecture, justice, police, services sociaux, écoles, logement social), ni la volonté d’agir.
    Avec les conséquences sociales et politiques que l’on connaît.
    Mais aussi les drames humains que l’on ne veut pas voir en face.

    Merci Marsactu d’être présent sur ces lieux et d’interroger diverses personnes à ce sujet.

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    • Avicenne Avicenne

      Tous des saints évidemment ! La France est un pays raciste, violent, inhumain, c’est bien connu à travers le monde, toutefois, nous pourrions signer le même accord que la GB avec le Rwanda ou tout autre pays pour expulser nos indésirables étrangers, ou comme l’Australie avec la Papouasie.
      Mais, il est vrai que aujourd’hui, des personnes s’installent dans notre pays de force, après tout, pourquoi pas à partir du moment où vous pouvez partir en vacances et à votre retour, découvrir que votre lieu d’habitation est squatté !
      De l’infiniment grand à l’infiniment petit.

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