A Marseille, les lycéens passent leur brevet de manif sous état d’urgence
Depuis le début des manifestations contre la loi El Khomri, destinée à réformer le droit du travail, les lycéens sont nombreux à se mobiliser et à descendre dans la rue. A Marseille, malgré un climat de violence latent que certains dénoncent, la mobilisation s'organise et ne faiblit pas.
A Marseille, les lycéens passent leur brevet de manif sous état d’urgence
On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans, écrivait Arthur Rimbaud. Sont-ils seulement insouciants et frondeurs, les quelques milliers de lycéens qui foulent l’asphalte marseillais depuis le début des manifestations contre la loi El Khomri ? S’il est difficile de préjuger de la profondeur des convictions de quiconque, la présence diffuse de ces jeunes est manifeste. Pour la plupart, il s’agit là de leurs premières manifestations et leurs premiers pas dans la politique. Ils sont moins nombreux qu’ailleurs en France, mais de tous les rassemblements. Et comme ailleurs en France, un climat de violence latent les accompagne, tout autant. Ce samedi, ils devraient encore battre le pavé avec le cortège qui doit partir à 14 H 30 de la place du général de Gaulle.
Mardi matin, ils étaient présents par petits groupes sur cette même place. Ils sont venus malgré les vacances de printemps. Les mains chargées de tracts demandant le retrait intégral de la loi, Nathan, tout juste majeur, mais “militant depuis trois ans”, lycéen à Denis Diderot, clame son appartenance à “Jeunesse révolution”. Un mouvement né il y a un mois, “révolutionnaire et plus radical que les syndicaux classiques comme FO ou la CGT, qui sabotent la grève avec leur manifestation à saute-moutons. Nous voulons la grève générale”, présente-t-il, flanqué d’un masque Anonymous derrière la tête. “Même si on ne travaille pas encore, la loi va nous toucher très vite, elle va nous pourrir. On ne veut pas travailler 60 heures par semaine, ou pouvoir être licencié à tout moment.” Peu importe si les médias, dans leur ensemble, “nous présentent soit comme des casseurs, soit ne nous considèrent pas du tout”.
Nicolas Sueur, enseignant au lycée Saint-Charles et membre du FSU-SNES l’assure, “les lycéens analysent la façon dont ils sont perçus dans les médias, souvent infantilisés”. Et ce n’est pas Clara Jaboulay, membre de l’équipe nationale du syndicat lycéen UNL qui le contredirait : “On essaie de nous décrédibiliser, on nous demande en quoi tout cela nous concerne. Pour nous qui n’avons pas le droit de vote, la rue est le seul moyen de faire entendre notre voix”. Étudiant à la faculté de Saint-Charles et membre de la coordination des étudiants en lutte, Jules se montre catégorique : “Les lycéens sont parfois plus engagés que nous, ils sont nombreux. Il ne faut pas croire que les étudiants les instrumentalisent”.
Reste que cette déconsidération peut être en partie due au fait que les syndicats lycéens tel que la FIDL, par ailleurs actif à Paris, sont peu représentés à Marseille. Du côté de l’UNL, Clara Jaboulay affirme tout de même qu’“il y a un peu plus d’une centaine de lycéens syndiqués à Marseille, un chiffre croissant en cette période de mobilisation”. Mais généralement, les mouvements lycéens semblent plus diffus, organisés par établissement, sans mot d’ordre global. “Les lycéens sont nombreux mais s’organisent moins que les étudiants”, observe Nathan.
Service d’ordre
Si le degré d’organisation des lycéens n’atteint pas celui des étudiants, il semble toutefois loin d’être nul d’après un certain nombre d’observateurs, enseignants en première ligne. Pour Rémy Reynaud, professeur de sciences économiques et sociales au lycée Pierre-Mendès de Vitrolles, également co-secrétaire général à la CGT éducation, “quand ils partent manifester, les lycéens mettent en place un service d’ordre pour organiser la circulation et faire en sorte de ne jamais laisser un camarade à la traîne”.
Des tracts circulent également entre les lycéens, sorte de code de conduite à tenir en cas de souci. “Sur ces tracts ou même lors de discussions, ils apprennent comment se comporter en cas d’interpellation, quels numéros d’avocats appeler, le fait de refuser la comparution immédiate”, rapporte Nicolas Sueur, membre du FSU-SNES. Une cellule marseillaise de la Legal team, organisation chargée d’accompagner les mouvements sociaux et de lutter contre “la répression policière et judiciaire” – fortement mobilisée sur la ZAD contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – prodigue la plupart de ces conseils légaux.
Des informations qui ne sont pas superflues dans un contexte de fortes tensions avec les forces de l’ordre. Lycéens, étudiants, professeurs, tous rapportent un sentiment de malaise vis-à-vis de la réaction policière. Tout le monde garde en tête les images du lycéen de Bergson frappé le 24 mars à Paris. L’affaire a donné suite à une enquête de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale).
Des parents remontés
À Marseille, le ton était donné dès le 17 mars. Croisé ce vendredi lors d’un enterrement symbolique du code du travail Jules nous raconte l’histoire d’Amine Hammouche, qu’il a vu interpeller. “Ce jour-là, la voiture des policiers a fendu le cortège pour remonter jusqu’à lui, explique-t-il. Visiblement, il a été ciblé. Après les versions divergent : certains disent qu’il aurait frappé un policier, d’autres qu’il les aurait insultés ou qu’il aurait abîmé un abribus. Les policiers lui sont tombés dessus. Depuis ses parents sont de toutes les manifestations. Ils nous soutiennent depuis que leur fils a été placé en garde à vue.”
Mediapart a publié la vidéo de son arrestation, recueillie auprès d’un manifestant :
Grand gaillard au visage poupin, inscrit au lycée Victor Hugo, Amine suit le cercueil ce vendredi. Il ne dit rien. Il répond par un oui timide quand on lui demande s’il a été frappé en garde à vue. Ses parents, en revanche, sont remontés. Sa mère a pris un avocat et porté plainte. Son fils a vu un médecin avec ITT reconnue. Le père ne donne pas plus de détails sur les constations du médecin. “Ce n’est pas normal ce qui s’est passé. Si un jeune entre dans un commissariat avec les menottes au poignet, il ne doit même pas lui toucher un cheveu. C’est la République, ils sont censés les protéger, pas le contraire. Qu’est ce qu’ils sont en train de mettre dans la tête de mon fils”. La maman tente de contacter tous les parents de lycéens pour monter un collectif et organiser une conférence de presse pour dénoncer cette situation. La FSU se pose en relais pour l’aider à rassembler “les familles de jeunes victimes d’intimidations, de violences, et de gardes à vue abusives et traumatisantes”.
“Pas de plainte, pas d’avis”
Au cours de nos échanges avec les manifestants, nous avons recueilli de nombreux témoignages qui révèlent un climat général tendu avec des débordements tous azimuts. Partout en France, des policiers ont été blessés dans les manifestations. Les jets de pierre ne sont pas rares. De l’autre côté, les jeunes rencontrés racontent qu’ils connaissent tous plusieurs camarades qui auraient subi des violences. Des témoignages difficiles à recouper par manque de témoins, justement. Là, une jeune fille qui se prend un projectile de flashball dans le sein et la cuisse, un adolescent qui se prend du gaz lacrymogène à bout portant dans le visage, un autre encore rapporte avoir été frappé au ventre et à l’entrejambe par plusieurs policiers qui l’accusaient de jet de pierres…
Face à ces accusations, la police se montre peu diserte. David-Olivier Reverdy, secrétaire départemental du syndicat Alliance police nationale affirme ne pas avoir eu connaissance de violences particulières. “Je n’ai pas de réaction à apporter. S’il n’y a pas de plainte, je n’ai pas d’avis à donner. J’ai bien vu des histoires de ce style circuler sur le net mais de cas particuliers, non”.
Du côté de la direction départementale de la sécurité publique, l’agacement n’est pas feint face à des témoignages jugés peu sérieux, voire calomnieux envers les policiers, mobilisés depuis des mois dans le cadre de l’état d’urgence et dans un état de stress élevé. “Nous intervenons de façon extrêmement mesurée, technique et carrée à l’égard des lycéens. Nous identifions les fauteurs de trouble, choisissons le moment opportun pour procéder à une interpellation dans la position la plus sécurisante, pour que personne ne soit blessé. C’est extrêmement rare que cela arrive.”
Le siège de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, rue Montgrand (6e).
Mais en marge des affrontements, les gardes-à-vue se multiplient. Jeudi 31 mars, un groupe de lycéens s’est réuni pour protester contre celles-ci. La semaine précédente, France 3 Provence rapportait qu’une jeune fille de 17 ans devait être présentée à un juge pour enfants pour outrage et rébellion contre des CRS. Des camarades et des professeurs s’étaient rendus devant le commissariat Noailles pour réclamer sa libération. “Au total, 5 personnes ont été interpellées autour de cette manifestation, 3 mineurs et 2 majeurs”, précise la chaîne.
Batte de baseball en plastique
Ilana, elle, a été interpellée à 8 h 30 ce même jour devant son lycée Montgrand. D’après une élève de première, Manuel, ce jour-là une vingtaine de lycéens sont postés à proximité d’un groupe de policiers. “Les baqueux [en argot, policier en civil de la brigade anti-criminalité, ndlr] sont venus nous parler. Au début ils étaient très compréhensifs et nous ont même conseillé de faire attention cet après-midi à cause des gaz lacrymogènes. Mon amie, Ilana, avait une batte de baseball en plastique, un jouet qu’on trouve à deux euros à la Grande récré. Ils ont dit, ça par contre, on n’en veut pas.”
Quelques instants plus tard, la scène dérape. “Le temps de tourner la tête, je vois Ilana menottée, entourée de six baqueux. Deux ont sorti les tasers pour nous tenir à distance parce qu’on criait et qu’on essayait de la tirer de là. Un lycéen a été poussé par terre. Quand on a vu les tasers, on a reculé mais on a continué à crier. Là, un policier nous a gazés avec une lacrymo”. D’après plusieurs témoins, la jeune fille se serait débattue et aurait insulté les policiers qui l’emmènent alors pour “rébellion et outrage à agents”.
“Rébellion et outrage à agents”, “ce sont souvent les motifs invoqués, relève Jules, étudiant à Saint-Charles qui souligne qu’on se rebelle contre les agents une fois qu’on est arrêté et donc que le motif premier d’interpellation reste indéterminé. “Pour moi il s’agit d’arrestations arbitraires, et les lycéens, cibles de premier choix, font souvent l’objet de garde à vue de 48 heures alors qu’à côté les étudiants sont relâchés de suite”. Clara Jaboulay, porte-parole de l’UNL confirme ce traitement différencié : “Sur l’ensemble des manifestations, depuis le 9 mars, on a bien vu que les CRS et les policiers agissaient en priorité sur les lycéens, pour leur faire peur”.
“Provocations policières”
Le malaise autour des arrestations lycéennes est partagé par Rémy Reynaud, co-secrétaire départemental à la CGT éducation qui a pourtant assisté à plusieurs manifestations. Notamment celles contre le CPE en 2006, d’après lui sans commune mesure : “Il y avait beaucoup d’interpellations et d’accrochages, mais la différence c’est qu’il y avait de la casse. Là, c’est caractéristique, les interpellations ont souvent lieu en amont des manifestations, devant les lycées, ou en fin de manif. Et on voit clairement des provocations policières, comme le 17 mars où une voiture de police a frôlé le cortège et a pilé au dernier moment. Forcément, ça a dérapé. L’état d’urgence n’est certainement pas totalement étranger à cette situation”. Nicolas Sueur partage ce sentiment : “Pendant le CPE, il y avait des débordements mais ils intervenaient par épisodes. Là, nous sommes face à quelque chose de plus général, qui a changé avec l’état d’urgence”.
D’autant que pour le syndicaliste enseignant Rémy Reynaud, les rapports sont souvent déjà complexes par nature entre les jeunes de certains lycées et la police : “Une partie des gamins des lycées de centre-ville comme Victor-Hugo ou encore Colbert sont des enfants des quartiers Nord. Il y a une opposition viscérale entre eux et la police, il suffit donc parfois de rien pour que cela dégénère des deux côtés”. Même constat alarmant du côté l’enseignant Nicolas Sueur, qui se dit choqué de ces gardes à vue, qui, même légales et quel que soit le motif, “restent sur le casier de ces mineurs”.
D’après lui, une dizaine d’enseignants se sont rendus au commissariat de Noailles afin de s’enquérir du sort de deux lycéens arrêtés dont les parents ne parvenaient pas à obtenir des nouvelles. “Il est pour le moins étonnant que les parents soient obligés de passer par le chef d’établissement avant de voir un inspecteur au sujet de leur enfant placé en garde à vue”, comme il a pu le constater. “Face à cela les lycéens sont perturbés, certains hésitent à retourner dans la rue. Il faut dire qu’il existe aussi des collectifs plus ou moins autonomes qui poussent à la radicalisation, au coup de poing, mais on ne sait pas trop qui ils sont, s’ils sont lycéens ou non”.
Face à cette situation, les enseignants se mobilisent. Avec des collègues enseignants, Nicolas Sueur prépare un courrier pour le recteur. “On veut lui faire remarquer qu’il y a une légère contradiction dans le fait de nous demander de donner des cours d’EMC (Enseignement moral et civique) à des adolescents présentés comme étant en capacité de réfléchir et leur mettre un coup de matraque dès qu’ils descendent dans la rue”.
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