Les profs de ZEP veulent que leurs lycées restent prioritaires

Reportage
le 18 Nov 2016
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Les enseignants des lycées situés en zone d'éducation prioritaire étaient en grève ce jeudi pour réclamer le maintien de ce statut et des avantages qu'il permet.

Le cortège des profs de ZEP en colère comptait jusqu
Le cortège des profs de ZEP en colère comptait jusqu'à 300 grévistes et soutiens.

Le cortège des profs de ZEP en colère comptait jusqu'à 300 grévistes et soutiens.

“Ça y est ! On l’a eu !” Deux professeures de lycée hilares se claquent dans la main. Pendant que le cortège des enseignants grévistes des lycées en zones d’éducation prioritaire scande ses slogans devant l’inspection d’académie, une délégation est partie en opération commando pour tenter de “coincer” Emmanuel Macron, ex-ministre de l’économie. Le tout nouveau candidat à l’élection présidentielle qui dire vouloir faire de “l’éducation, une priorité” est attendue en gare Saint-Charles. Que leur a-t-il dit ? “On s’en fout, répond l’une d’elles. L’important est que toutes les caméras et les micros se sont braqués sur nous.”

Ce jeudi, les enseignants des lycées marseillais situés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) tentent d’attirer un maximum de feux médiatiques sur leur mouvement. Comme dans les établissements de banlieue parisienne où le mouvement “Touche pas à ma ZEP” prend de l’ampleur, les profs marseillais veulent obtenir l’assurance que leur statut d’établissement prioritaire soit reconnu avant les élections de 2017. À Marseille, place forte des ZEP, cela concerne trois lycées d’enseignements général et technique (LGT) et une dizaine de lycées professionnels.

Dispositif transitoire jusqu’en 2019

En 2014, la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a lancé une grande réforme de l’éducation prioritaire en commençant par les écoles et les collèges. Elle s’est arrêtée aux lycées pour lesquels elle n’a rien fait, explique Caroline Chevé, déléguée SNES-FSU et enseignante au lycée Saint-Exupéry. Elle a ensuite mis en place un dispositif transitoire jusqu’en 2019 mais que se passera-t-il ensuite ? Nous ne pouvons pas attendre cette date pour savoir si notre statut sera conservé avec les moyens qui vont avec. Elle ne peut pas nous dire que ça sera l’affaire du prochain quinquennat. C’est une trahison.”

En clair, le dispositif ZEP (qui n’existe plus sous ce nom mais sous diverses appellations successives et entrecroisées) offre des moyens supplémentaires aux établissements. “Cela veut dire très concrètement 30 élèves par classe maximum, la possibilité de dédoubler des classes, des moyens pour la vie scolaire, l’accompagnement, le tutorat, énumère la syndicaliste. Ça, c’est pour le côté élèves. Côté enseignants, cela correspond à une indemnité de 1000 euros par an qui est la reconnaissance de la spécificité de nos conditions d’exercice.” S’ajoutent à cela des avantages liés à l’avancement qui permettent d’accélérer un brin les carrières et de faciliter les mutations.

“Le plus de difficultés, le plus de besoins”

Cela n’a pas incité Christian Beltra à quitter le lycée Saint-Ex, où il enseigne les sciences économiques et sociales depuis 21 ans. Il aurait pu depuis longtemps rejoindre les lycées d’Aix où il habite. “C’est un choix, c’est ici qu’il faut travailler parce qu’il y a le plus de difficultés, le plus de besoins”, explique-t-il attablé dans la salle des profs, entre pique-nique et atelier pancartes. L’ancien lycée Nord est le seul établissement marseillais décrété “lycée mort” ce jeudi. 100% de grévistes ou presque. Les autres font semblant d’attendre des élèves qui ne viendront pas. Ce matin ils ont trouvé piquet de grève et portes closes. Certains d’entre eux se sont joint aux enseignants et découpent des petites mains noires “Touche pas à ma ZEP”.

Des élèves de Saint-Exupéry aident à la confection de pancartes. (Photo : B.G.)

Des élèves de Saint-Exupéry aident à la confection de pancartes. (Photo : B.G.)

C’est d’ailleurs ce lien fort qui lie profs et élèves que Christian Beltra met en avant : “Il y a ici une reconnaissance et une confiance de la part des élèves qu’on ne voit pas ailleurs. Nous sommes très loin des idées reçues sur les quartiers populaires. Les élèves comme les parents sont en attente d’éducation.” À côté de ça, personne ne nie les difficultés : l’infirmerie qui ne désemplit pas, l’assistance sociale débordée, les 90% d’élèves boursiers, les parents largués… “C’est dur mais on se bat, reprend l’enseignant. Mais si on perd les avantages et surtout les 30 élèves par classe, c’est sûr, je me barre.”

Du banc au bureau

Cette confiance dont parle l’enseignant prend les traits d’un collègue qui prépare un cercueil “Mort de la ZEP ? Non”. Fabien a 30 ans et enseigne également l’économie. Il y a un peu plus de 10 ans, il était sur les bancs face à son collègue. Lui, l’enfant de la Calade est de retour au lycée. “Comme beaucoup des élèves, j’ai d’abord choisi des études courtes pour quitter la maison, être indépendant, se détacher de l’environnement, raconte-t-il. Je suis parti en BTS puis j’ai travaillé dans une banque au service recouvrement.”

L’expérience ne dure guère. Il décide de reprendre des études et fait du soutien scolaire dans son quartier d’origine. “C’est ce qui m’a donné goût de l’enseignement et envie de rendre ce qu’on m’a apporté.” En passant derrière le bureau de prof, il dit avoir pris conscience de l’investissement nécessaire. “On peut discuter du fonctionnement, supprimer le statut mais il y a une réalité des moyens à mettre en œuvre pour l’éducation dans ces quartiers”, explique-t-il, avant d’embarquer pour la manifestation qui démarre depuis le lycée Le Chatelier (3e).

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Toutes les étiquettes

Ce lycée professionnel possède toutes les étiquettes possibles : “prévention violence”, “réseau éducation prioritaire”, “zone sensible”… Mais elles ne figurent pas sur le haut portail aux allures de mirador. Derrière celui-ci, la situation est encore plus dure que dans les lycées d’enseignement général. Les équipes y sont réduites, la mobilisation plus difficile. 30 à 50 % de grévistes contre 75 à 90 % dans les lycées généraux selon le SNES-FSU.

Pourtant, là encore, si le statut de ZEP tombe, les conséquences seront lourdes. “Aujourd’hui, en bac pro, nous avons des classes à 24 et c’est déjà compliqué, explique Christophe, enseignant en maths et sciences. Cela va devenir ingérable si les élèves sont plus nombreux. Déjà que nous avons du mal à attirer les élèves vers des filières qui recrutent comme la chimie, alors comment ça va être ?” L’enseignement professionnel souffre déjà d’une image dégradée, elle le sera encore plus si les moyens se réduisent, estiment les profs qui débattent alors que le cortège s’ébranle.

“Il y a aussi tous les postes de surveillants et d’assistants pédagogiques qui sont extrêmement importants, explique une enseignante du lycée Colbert. Ce sont eux qui font le lien social, qui aident les élèves qui parlent mal français. Si on les perd, on perd ce lien fort qui fait partie du travail éducatif et qui sort du rapport maître/élève.”

Certains de ces élèves sont là, au côté des profs en colère. Rassemblés devant l’inspection d’académie, les syndicats ont lancé “un ultimatum à la ministre de l’éducation nationale”, avec pour date butoir le lundi 28 novembre. Najat Valaud-Belkacem serait en déplacement à Marseille, ce jour-là. Le lendemain, la grève pourrait repartir de plus belle.

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