Les profanateurs de la stèle de Manouchian "au garde-à-vous" de la bêtise

Les profanateurs de la stèle de Manouchian "au garde-à-vous" de la bêtise

Crânes rasés façon skinhead, blousons en cuir noir : la "tête de l'emploi", serait-on tenté de dire, si le délit de sale gueule n'en était pas un. Mais c'est bel et bien drapés de leur crétinerie que deux prévenus ont comparu ce matin devant le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir profané le buste du résistant communiste Missak Manouchian, fusillé au Mont-Valérien par les nazis avec ses camarades FTP-MOI (Francs tireurs partisans-main d'oeuvre immigrée). Olivier Bianciotto, 30 ans, responsable incendie au casier judiciaire encore vierge, et son ami David Guichard, 42 ans, gardien d'immeuble, militant d'extrême droite connu des services de police pour avoir effectué des saluts nazis et condamné pour divers faits de violence, comparaissaient pour "violation ou profanation par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts".

Le 6 septembre 2014, les deux hommes se rendent ainsi au square Manouchian pour se joindre à une manifestation organisée par le groupe d'extrême droite Mouvement populaire Nouvelle Aurore (MPNA), formé dans les premiers mois de l'année 2014 et non déclaré en préfecture. Sur une vidéo autoproduite et diffusée sur Internet, on aperçoit une dizaine de personnes, vêtues de tee-shirts à l'effigie du mouvement. Tandis qu'un drap blanc est jeté sur le buste du résistant – déjà dégradé par une croix gammée le 27 juin 2014 -, un homme bafouille laborieusement un texte révisionniste affligeant, ponctué d'éructations : "Manouchian grosse merde !", "c'est une balance, on ne veut pas de ça à Marseille", ou encore "Manouchian, c'est le terrorisme rouge".

Rien de très étonnant lorsque l'on visite les sites du mouvement. Dans une interview, un responsable anonyme présente l'identité politique du MPNA et ses filiations : "nous avons une vision nationale du socialisme et sommes ethnodifférentialistes […] notre parti est proche de presque tous les groupes classés à l'extrême droite." Sur la page facebook de MPNA jeunesse de Marseille, des entraînements sportifs au parc Borély et dans les calanques sont illustrés en images accompagnées de textes édifiants : "Aujourd'hui, quatre militants du MPNA jeunesse se sont réunis à Marseille sous une chaleur torride pour faire une randonnée nationaliste".

"Traqué par les antifas"

À la barre, la défense des deux acolytes est gênée. "Je ne connaissais pas l'histoire de Manouchian, c'était tout à fait bête de ma part," concède l'un. "J'étais juste là au garde-à-vous" raconte l'autre, mais je n'ai pas de haine contre la communauté arménienne". Les deux se posent en victimes, comme Olivier Bianciotto, qui ne nie pas ses idées "proches de l'extrême droite" : "Ce milieu, quand vous y mettez les pieds, vous n'en sortez plus. Je suis traqué par les antifas [anti-fascistes – ndlr]. Ce n'est pas la fête tous les jours, je suis obligé de regarder à droite, à gauche, derrière moi…" Et lorsqu'on lui demande s'il a bien fait un salut nazi, l'homme qui assume peu ses actes lance un "apparemment oui" désinvolte qui fait tonner l'un des avocats des parties civiles.

Justement, les avocats des parties civiles, des associations arméniennes dont Jeunesse Arménienne de France montent ensuite au créneau. Me Alain Lhote fustige leurs actes et qualifie les deux hommes de "pantins de la bêtise absolue, de lâches qui ne connaissent rien à l'histoire. Vous avez jeté un drap blanc sur une stèle pour l'avillir, mais c'est vous qui vous êtes souillés" plaide-t-il. Avant de déclamer l'Affiche Rouge, le poème d'Aragon écrit en hommage aux résistants exécutés du groupe Manouchian. Un peu de hauteur dans une affaire où les faits en manquent singulièrement.

"Procès de la bêtise"

Assis au premier rang, les deux prévenus restent têtes baissés, le dos légèrement voûté. Les reniflements de l'un se font entendre. Tic nerveux ou rhume, donnant l'impression d'assister à l'engueulade de deux sales gosses dans le bureau du proviseur. Prenant la parole ensuite, le procureur Anne Lezer enchérit, avant de requérir des travaux d'intérêts général : "C'est le procès de la bêtise et c'est ce qui fait peur. Agir ainsi parce qu'on "se sent seul", à 18 ans, pourquoi pas. Mais à 30 et 40 ans ? Je ne veux pas faire offense à votre intelligence, mais là on n'en voit guère."

Alors que dans la salle le public commente bruyamment, l'avocat de la défense, Me Julien Cazères rappelle que "convertir n'est pas un combat judiciaire et qu'il faut rester indépendant de toutes considérations idéologiques", sachant que "c'est à la demande d'élus locaux" que le parquet a pris l'initiative des poursuites. "Je demande que la peine soit proportionnée à la matérialité des faits. Je pense qu'il est préférable de voir un drap blanc plutôt que des tombes profanées par exemple". Après quelques minutes de délibérations, le tribunal déclare les deux prévenus coupables et les condamne à 100 heures d'intérêt général, à effectuer dans un délai de 18 mois sous peine de voir cette sanction commuée en deux mois d'emprisonnement.

Conformément à sa demande, Olivier Bianciotto ne verra pas sa peine inscrite sur son casier judiciaire, afin de ne pas lui faire prendre le risque de perdre son emploi. A ceux qui semblent s'émouvoir à la sortie de l'audience d'une peine jugée légère, Serge Tavitian, l'avocat de l'association Jeunesse arménienne de France tempère : "C'est déjà une bonne chose que ce procès ait eu lieu". La vidéo mettant en scène la profanation, diffusée sur la page Facebook du groupuscule Nouvelle Aurore, n'est elle plus visible.