Les étudiants de la porte d’Aix prennent leurs marques dans un quartier en tension

Reportage
le 8 Juin 2024
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Il y a quelques semaines, l’Institut méditerranéen de la ville et du territoire (IMVT) officialisait la fin de ses travaux et donc son installation porte d'Aix. Pour l'occasion, des animations ouvertes sur le quartier ont été menées et les étudiants affichent leur volonté de créer du lien, malgré des frictions évidentes.

Devant le campus de l
Devant le campus de l'Institut méditerranéen de la ville et du territoire, la place de la Porte d'Aix, occupé par de nombreuses personnes issues de parcours migratoires et en grandes précarité. (Photo : OB)

Devant le campus de l'Institut méditerranéen de la ville et du territoire, la place de la Porte d'Aix, occupé par de nombreuses personnes issues de parcours migratoires et en grandes précarité. (Photo : OB)

“C’est sympa aujourd’hui, ici. On joue au foot depuis 17 heures. C’est comme au bled. Ils ont dessiné un terrain à la craie”. Originaire de la Côte d’Ivoire, et installé à Marseille depuis deux ans, Adam arbitre un match sur la place de la porte d’Aix. Ce jeune qui travaille dans le bâtiment fréquente la place tous les jours avec ses amis quand il est libre. Vendredi 24 mai dernier, l’Institut méditerranéen de la ville et du territoire (IMVT), qui rassemble l’école d’architecture de Marseille, l’École nationale de paysage et l’Institut d’aménagement et d’urbanisme régional, célèbre la fin des travaux de construction de l’école où vont évoluer 1300 étudiants. Et l’enlèvement des dernières barrières qui sépare l’établissement du vaste espace de la porte d’Aix, dont tout l’espace a été remodelé ces dernières années.

Pour l’occasion, l’institut organise une après-midi conviviale sur le thème “les étudiants à la rencontre du quartier”, avec la participation de l’école d’informatique voisine, Epitech. Un moyen pour les nouveaux arrivants, installés depuis septembre 2023, de mieux s’intégrer dans l’espace public et de créer du lien avec les divers acteurs du quartier.

Un peu plus loin des lignes blanches du terrain de foot, s’est établi un atelier de construction avec plusieurs outils. Isis, bénévole de l’association Yes we camp, dirige l’animation avec le sourire. Attirés par le stand, deux jeunes hommes se sont joints à elle et construisent, sous sa supervision, des bancs en bois. Couper, poncer, assembler : le but est de créer du mobilier pour “l’espace urbain”, explique Isis. Un atelier ping-pong, une buvette avec distribution de crêpes, un atelier confection de vêtements, un concert, des visites de l’IMVT : le tout, tenu par des étudiants et des professeurs bénévoles. En ce lieu aux usages multiples et à la croisée de différents univers, les étudiants tentent de s’insérer dans le paysage urbain du quartier. Sans ignorer les tensions existantes.

Un lieu de squat

Même si l’ambiance est bonne, Adam, qui assiste à des contrôles de polices et des dispersions matin et soir, pense que cela ne va pas durer. Et dans le quartier, le jeune homme de 19 ans confirme qu’il ne voit jamais d’évènement participatif comme ce jour-là. Il faut dire que sur cette place se retrouvent souvent des personnes migrantes, dont de nombreux hommes qui errent quotidiennement. Ce jour-là, certains sont allongés sur les bancs en pierre, un autre est debout face à un coin du monument pour uriner. Ils vivent ici dans la misère. Ils sont sans-abris, sans profession, parfois sous l’emprise de drogues ou de l’alcool, et pour la plupart, livrés à eux-mêmes. Face à cette fréquentation, Hélène Corset-Maillard, directrice de l’école d’architecture au sein de l’Institut méditerranéen, ne détourne pas les yeux :“Il y a pleins de personnes qui sont là, sur cette place, c’est leur lieu de vie. Il n’est pas question de les chasser.”

Espace tantôt traversé et tantôt occupé, la place qui accueille l’Arc de Triomphe marseillais est devenue en quelques mois un lieu de vie étudiante. Un environnement qui fait débat chez les jeunes, de toutes filières confondues. Le vice-président du bureau des étudiants (BDE) d’Epitech, Éric*, a recensé quelques incidents arrivés au début l’année à des personnes de son école. “La secrétaire s’est fait poursuivre par un SDF sur la place. Mais il n’y a rien eu de grave”, se rappelle-t-il. Il raconte qu’à la même période, un étudiant a quitté l’école peu après s’être fait insulter par des hommes aux abords du campus. Le constat n’est “pas terrible” et encore moins “agréable” pour le vice-président du BDE. “Tu fais toujours un peu gaffe. Tu ne mets pas de montre ou quoi”, assure-t-il. En février 2024, un groupe de jeunes rassemblés sous la bannière du “collectif des étudiants de la porte d’Aix”, s’était rendu sous l’arche pour manifester contre l’insécurité qui règne selon eux sur la place. Une pétition, regroupant aujourd’hui plus de 1700 signatures, a même été lancée.

“Une question d’habitude”

Lisa, étudiante en master 2 à l’École nationale supérieure du paysage Versailles-Marseille, estime quant à elle que l’implantation de son école sur cette place est une façon“dapporter une mixité sociale” et, avec elle, “la question de la gentrification”. Avec un campus anciennement situé boulevard d’Athènes, à 4 minutes de la gare Saint-Charles, Lisa a l’habitude de voir des personnes “squatter”, de la même façon que porte d’Aix, où la situation “n’est pas particulièrement négative”. Un avis à l’inverse d’autres étudiants, dont elle comprend les réticences. “Au début, ça fait un choc. Mais c’est juste une question d’habitude”, dit-elle.

Il y a des choses qui relèvent des chocs culturels. Le fait qu’il y ait beaucoup de migrants, ça a pu effrayer quelques étudiants.

Une enseignante

Parmi les étudiants des deux campus, certains ne sont pas originaires de Marseille. Beaucoup vivent leur première expérience d’étude, loin de chez eux, et leur première expérience dans un autre milieu culturel. Comme le relève Delphine de Monrozies, enseignante en arts plastiques à l’IMVT. “Il y a des choses qui relèvent des chocs culturels. Le fait qu’il y ait beaucoup de migrants, ça a pu en effrayer quelques-uns”, analyse-t-elle. Pour l’enseignante,“certains étudiants ont découvert la précarité”, en arrivant dans le quartier.

Vue de la place de la Porte d’Aix depuis l’Institut méditerranéen de la ville et du territoire. (Photo : OB)

Le paysage n’est pourtant pas nouveau. Mathieu, étudiant en troisième année à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille, préfère, lui, rappeler que la porte d’Aix est connue historiquement pour son mélange de populations. Angevin d’origine, le jeune homme considère qu’il ne faut pas se laisser envahir par “des peurs infondées”. Pour lui, ce climat de tension, souligné par certains de ses camarades, est “une forme de xénophobie”, qui prend racine dans la méconnaissance du centre-ville.

Auparavant, les étudiants en architecture étudiaient sur le campus de Luminy, au milieu de la pinède et du parc national des Calanques. “Il y en a qui ne connaissaient pas Marseille”, appuie celui qui est également président du bureau des arts. Depuis le début de l’année, Matthieu n’a eu vent d’aucun incident avec les habitués de la place. À l’instar de trois étudiantes du même cursus, membres de l’association sportive, qui se joignent à la discussion. “On n’a jamais été embêtées”, pose l’une d’elles. Eulalie, de son côté, confie que l’emplacement actuel de l’école est “mieux qu’avant” : “Ce n’est pas pire que Luminy où l’on était dans la forêt, perdus”. Et non loin des sangliers !

Une place qui doit encore trouver son équilibre

Présente à l’après-midi de rencontres, Hélène Corset-Maillard, la directrice de l’école d’architecture, insiste sur la nécessité de placer les écoles au cœur des villes pour faire naître ce qu’elle décrit comme un “écosystème”. “Il ne faut surtout pas que l’on reste murés. Si on arrive à créer du lien et une vie pacifique, on aura gagné le pari”, s’enthousiasme-t-elle. Au-delà de son optimisme, elle se dit consciente d’une réalité qu’elle ne souhaite pas occulter : “Ça nous semble important que les élèves se sentent en sécurité. Il ne faut pas idéaliser la situation”. C’est pourquoi depuis le début de l’année, un à deux agents de sécurité effectuent un contrôle strict des entrées et sorties de l’établissement, dès l’arrivée des étudiants tôt le matin jusqu’à leur départ, tard le soir. Le vigile, en poste depuis trois mois, confie qu’il n’a connu aucun problème depuis sa prise de fonction.

Sur l’insécurité, le directeur de d’Epitech, Laurent Freund, voit déjà un changement. “Je suis ravi du travail du sous-préfet [le directeur de cabinet du préfet de police, Yannis Bouzar] qui a pris en considération ce sujet. Ils ont doublé les rondes de police”. Une évolution qui doit continuer d’être soutenue par l’intervention journalière de “plusieurs CRS toute la journée, comme à Colbert, non loin de là, insiste le directeur, qui ne veut pas non plus que la sécurité occulte tout le reste. Lors de la journée “Les étudiants à la rencontre du quartier”, Laurent Freund a pour sa part joué au ping-pong. Il prolonge : “C’est super ce qu’a fait l’IMVT. Je suis 100% d’accord avec eux sur leur discours inclusif. On ne peut pas être que répressif”. 

On n’est pas encore sur une place qui a trouvé son rythme de croisière.

Étienne Ballan, professeur à l’école du paysage

Reste à savoir quelles seront les prochaines évolutions qui façonneront cet espace. Bientôt, un café devrait s’installer sur la place, ce qui impulserait un peu plus de vie, aux côtés de l’étal de fruits et légumes déjà existant, indique Laurent Freund. “On préférerait une place pour prendre un café qu’un endroit qui sent l’urine et la drogue”, ironise-t-il. Le parvis, qui est la plupart du temps vide, ne correspond pas à “un espace étudiant”, pose le directeur. Un point sur lequel, Etienne Ballan, professeur à l’école du paysage, s’accorde :“À ce stade, on n’est pas encore sur une place qui a trouvé son rythme de croisière”. “La vie urbaine de ce quartier ne se résumera pas aux étudiants versus les immigrés”, espère le sociologue et urbaniste.

Pour Matthieu, étudiant en 3ᵉ année d’architecture, outre l’urbanisme de cette place, le travail d’aménagement et d’appropriation de l’espace, devra aussi venir de la part des étudiants. En plus de la journée du 24 mai, depuis le début de l’année universitaire, chaque mercredi, un petit groupe composé d’enseignants et d’étudiants de l’IMVT tient un point cafés-rencontres devant l’entrée de l’institut. Un exemple d’action que l’ensemble des acteurs pédagogiques promettent de conserver à la rentrée prochaine. 

*Le prénom a été modifié. 

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Commentaires

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  1. Nathalie Ferri Nathalie Ferri

    L’arrivée de l’école va donc amener un peu de “normalité”à cette place qui avait été mal conçue.
    J’ai toujours été choquée de voir les retraités qui s’y rassemblent assis par terre.
    Des bancs et des poubelles sont un minimum à lui apporter.

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  2. LOU GABIAN LOU GABIAN

    voir place de lenche

    10 bancs enlevés

    La mairie n aime pas les vieux ni les piétons d’ailleurs on ne peut plus y accéder, place aux touristes méme quand y en a pas

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    • Alceste. Alceste.

      Cette soit disant nouvelle politique municipale promise il y a quatre années qui devait tant faire me fait penser à celle menée par un maire qui a géré cette ville pendant 25 années. C’est la politique du pizzaoiolo et du bistroquet.

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  3. Forza Forza

    Merci @Oceane et @Marsactu pour cet excellent reportage. A mon avis ce qu’on a écrit de mieux jusqu’ici sur ce sujet de l’arrivée des étudiants, en prenant le temps non seulement de réaliser de nombreuses interviews mais de les mettre en cohérence. Cela montre bien l’importance de commencer par comprendre la perception que chacun peut avoir d’un nouvel environnement selon qui il est et d’où il vient. Puis à partir de là de tracer un chemin qui ne cède ni à l’idéalisme, ni à l’hystérisation sécuritaire collective.

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  4. Marc13016 Marc13016

    Ma foi, comme ça les étudiants en “Ville et Territoire” sauront ce que c’est qu’une ville et un territoire … La mise au contact des réalités (de la pauvreté, de l’immigration, de la différence etc), ça participe à la formation des jeunes esprits.
    Si en plus ce mélange des genres fait évoluer l’ambiance de la place, bravo.

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