Les dockers de Marseille-Fos seront-ils les oubliés de la mutation industrielle du port ?
En réponse à un appel à la grève au niveau national, les dockers et agents portuaires de Marseille-Fos manifestent pour réclamer notamment plus d’investissements. Le développement d’activités autour des énergies vertes, des data centers ou de la croisière les fait craindre pour leur emploi.
Manifestation des dockers devant la sous-préfecture d'Istres le 7 février 2024. (Photo : RB)
Feuille A4 à la main, Christophe Claret se montre ironique. “Même ChatGPT sait mieux ce qu’est un port que nos dirigeants“, lance le secrétaire général CGT des dockers des bassins Ouest du port de Marseille-Fos. Sur la feuille, on peut lire la définition d’un port selon la célèbre application basée sur l’intelligence artificielle. “Les ports servent de points d’entrée et de sortie pour les marchandises importées et exportées”, lit-on à la première phrase. La démarche est une “blague” précise le représentant syndical, mais elle traduit les attentes des dockers envers le port qui prône depuis plusieurs mois une mutation de son industrie.
À l’initiative d’un appel national de la fédération des ports et docks CGT, un mouvement de grève est en cours depuis le début de la semaine. Les revendications portent sur une adaptation des conditions de départ à la retraite, pour échapper à la réforme de 2023, et pour encourager des investissements massifs sur les ports français afin de rattraper leur retard pointé par une mission sénatoriale en juillet 2020. Mais entre Marseille et Fos, la tonalité est un peu différente. L’important rassemblement devant la sous-préfecture d’Istres mercredi 3 février le montre, car c’est elle qui chapeaute pour le compte de l’État les futurs projets industriels des bassins Ouest, du côté de Fos.
Économiquement, le Grand port maritime de Marseille (GPMM) va bien. Pour 2023, le chiffre d’affaires affiche une hausse de 11%, à 210,5 millions d’euros, malgré un trafic de marchandises en baisse de 7%, avec 72 millions de tonnes traitées. De quoi “s’interroger” sur ce qui définit le classement des ports entre eux, pointait le président du directoire Hervé Martel lors de la présentation de ces résultats. Deux dynamiques en sens inverse qui s’expliquent par une forte activité voyageurs et d’importants revenus domaniaux, issus de l’occupation des terrains du port.
“Les data centers génèrent combien d’emplois ?“
“Ce n’est pas la vocation d’un port d’accueillir des data centers [qui s’implantent sur des espaces portuaires, ndlr]“, tacle Christophe Claret, également opposé au développement de la croisière pour laquelle les dockers ne s’occupent que des bagages. Selon lui, la baisse du trafic a engendré “30% de jours travaillés en moins” pour les 1200 dockers des bassins Ouest. Un chiffre que le port nous indique ne pas avoir en sa possession. “Nous voulons des industries qui amènent de l’importation et de l’exportation de marchandises“, résume le syndicaliste.
Mons offensive, la position reste similaire à Marseille où le rassemblement réunit moins de monde qu’à Istres, avec principalement du personnel portuaire et une poignée de dockers en soutien. “Les data centers génèrent combien d’emplois ?“, interroge Jean-Michel Audry, du secrétariat CGT du GPMM. Lui se montre plus conciliant avec la croisière “qui fait travailler du personnel portuaire pour les passerelles, l’accueil ou la maintenance“. Mais il estime que le grignotage de l’emprise sur la façade marseillaise pour d’autres activités que celles liées directement au port doit s’arrêter : “L’ouverture du port c’est bien, mais maintenant basta il faut de l’industrie“.
L’ouverture du port c’est bien, mais maintenant basta il faut de l’industrie.
Jean-Michel Audry, CGT du GPMM
Ce retour de l’industrie colle avec le discours du GPMM et du monde politico-économique. Tous ces acteurs mettent régulièrement en avant la mutation que se prépare sur la zone industrialo-portuaire de Fos (ZIP) avec l’arrivée de nombreux projets d’implantation. Ces derniers doivent créer autour de 10 000 emplois, soit presque autant qu’actuellement. Carbon, fabricant de panneaux solaires, H2V, producteur d’hydrogène, et GravitHy, qui utilise de l’hydrogène pour concevoir du fer de réduction directe remplaçant en partie le charbon dans la production d’acier, sont les nouvelles industries particulièrement mises en avant. “Hormis GravitHy, le reste c’est zéro journée d’emploi pour les dockers et portuaires”, répond Stéphane Claret, encore échaudé par la fin du trafic de charbon et de la bauxite lié à l’industrie de Gardanne qui a impacté “80 équivalents temps plein“.
Un vaste plan d’investissements
“Les industriels viennent à Fos pour le port“, tempère Rémi Costantino, directeur général adjoint du GPMM. Il assure que pour le choix des futures entreprises qui vont arriver dans la ZIP, “engendrer des flux portuaires est un critère majeur” et indique “avoir refusé certains projets qui ne répondaient pas à ce critère“. Pas de quoi s’inquiéter donc ? “La crainte est audible, c’est aussi dû aux précédents investissements importants sur les bassins Est qui donnent l’impression que Fos était laissé de côté, mais le prochain projet stratégique que nous sommes en train de réaliser va revenir vers les bassins Ouest“, tente de rassurer Rémi Costantino.
En début d’année, Hervé Martel annonçait une grande phase d’investissements sur le port avec “environ 100 millions d’euros chaque année sur les cinq ou dix prochaines années”. Sur Marseille, les accès des trains de fret semblent être l’enjeu majeur. “Il faut de nouvelles grues, développer les lignes de navires et la réparation navale”, appuie Jean-Michel Audry. À Fos, le chantier est bien plus vaste avec des sujets complexes et coûteux comme le doublement de la route, l’amélioration des capacités ferroviaires et le déploiement du fluvial.
Des éléments clefs pour le port puisque son attractivité par rapport à ses concurrents dépend de l’efficacité à réceptionner et à envoyer à destination la marchandise. “Sans ces infrastructures, le port déclinera“, résume Christophe Claret. Le constat et les solutions à apporter font globalement l’unanimité, mais le partage de la facture prend plus de temps. “Les décideurs d’aujourd’hui ne seront pas là demain (…) s’il faut montrer que nous ne sommes pas des enfants de chœur nous le ferons”, prévenait Christophe Claret mercredi. Depuis, trois nouveaux jours de grèves, les 16-22-27, ont été annoncés d’ici la fin du mois.
Commentaires
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” Sur Marseille, les accès des trains de fret semblent être l’enjeu majeur …. À Fos, le chantier est bien plus vaste avec des sujets complexes et coûteux comme le doublement de la route, l’amélioration des capacités ferroviaires et le déploiement du fluvial.”
Est il certain que l’investissement sur le fret ferroviaire à Marseille vaille la peine, si on développe celui de Fos, bien plus prometteur vu le potentiel de la zone ? Les deux terminaux de fret ne vont ils pas se concurrencer ?
Ré-orienter l’activité portuaire de Marseille serait plus logique, me semble-t-il.
Mais voilà, il faut faire plaisir à tout le monde ?! Court-termisme. Schéma de pensée figés. Manque d’idées.
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“Ce n’est pas la vocation d’un port d’accueillir des data centers”. Pas si sûr : c’est la vocation d’un littoral aménagé d’accueillir des câbles télécom sous-marins qui viennent du monde entier. Et au bout des câbles, il y a … des Data Centers. (ce qui assurent une certaine indépendance numérique à la France au passage).
Plus généralement, les “Espaces Portuaires”, quand ils sont au milieu d’une grande ville comme Marseille, ont vocation à être pensé aussi pour la Ville. D’autant plus qu’il y en a beaucoup à Fos, de cet espace portuaire. Et là, il ne monopolise pas le foncier de la Ville.
Les “propriétaires” de ces espaces n’en sont pas propriétaires, précisément. Il s’agit de biens communs.
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Pour “réceptionner la marchandise” ce sont des experts, pas de doute. Il n’y a pas bien longtemps, quand on cherchait quelque chose ” en affaire”, on le demandait au taxi qui contactait le docker.
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