Les croisières en rade, 2500 passagers empruntent le “corridor sanitaire” marseillais
Depuis l'annonce du confinement en France, 2500 croisiéristes ont débarqué à Marseille. L'annonce de cas de COVID-19 à bord a suscité inquiétude et incompréhension. Pour les autorités, l'objectif est de mettre en place des mesures pour rapatrier les passagers en minimisant les risques.
Photo prise à l'été 2018. (Violette Artaud)
L'enjeu
Les croisières ne sont pas épargnées par l'épidémie de coronavirus. Le débarquement de ces centaines de passagers est un casse-tête sanitaire.
Le contexte
Les bateaux à l'arrêt, c'est toute l'économie de la croisière qui est paralysée.
La croisière ne s’amuse plus du tout. Embarqués pour voguer sur les mers il y a plusieurs semaines, les croisiéristes n’ont désormais qu’une hâte : rejoindre leur domicile alors que sévit une crise sanitaire mondiale, liée à la propagation du coronavirus. Si la croisière peut faire office de confinement, paradoxalement, le moindre cas positif peut transformer les paquebots en véritable cluster. Alors que de nombreux ports ferment petit à petit leurs quais, Marseille a vu débarquer ces derniers jours des centaines de passagers de ces monstres flottants. 2500 très précisément depuis l’annonce du confinement en France.
“Nous avons déjà accepté deux bateaux. Des gens ont pu débarquer avec les plus grandes précautions. Celui qui sera sûrement le dernier est en train d’arriver. Il y a des ressortissants français à l’intérieur, nous ne pouvons pas les laisser voguer sur la mer indéfiniment”, rendait compte à Marsactu ce mardi Jean-Marc Forneri, président du conseil de surveillance du grand port maritime de Marseille (GPMM). Ce jour-là, le Splendida, navire de l’armateur MSC, manœuvrait pour s’amarrer aux quais marseillais avec 1721 passagers autorisés à mettre pied à terre. Le débarquement est ce jeudi toujours en cours. Avant le Splendida, la semaine dernière, le Pacifica et le Luminosa de Costa Croisières, ont également accosté au môle Léon-Gourret. Sur ce dernier paquebot, plusieurs cas positifs au Covid-19 ont entraîné la mise en place d’un dispositif important, pour tenter de débarquer les passagers en prenant le moins de risques sanitaires possibles.
“Ces gens sont en grande souffrance. Nous nous devons de les aider”, souligne Jean-François Suhas, le président du Club de la croisière Marseille-Provence, une association qui regroupe collectivités et acteurs économiques locaux. Ce discours d’apaisement fait face aux critiques, nombreuses, liées notamment à la peur du débarquement de personnes contaminées. Sur les réseaux sociaux par exemple, les commentaires inquiets, voire haineux, vont bon train à ce sujet. Sur la page Facebook de Marsactu, une internaute va même jusqu’à qualifier Marseille de “poubelle de France alors que tous les autres ports sont fermés” tandis que nous annoncions l’arrivée des croisiéristes du Luminosa, dont certains sont positifs au coronavirus. La solidarité aura connu de plus fervents défenseurs.
Solution logistique et prise de température
“Le débarquement s’est fait en lien avec les autorités sanitaires et la préfecture, en fonction des solutions logistiques de rapatriement et en discussion avec les gouvernements”, informe le service de communication de Costa, sans pouvoir en dire plus. “Nous tâchons de traiter ce qui se passe en live, alors nous n’avons pas vraiment le temps de revenir sur le passé”, lâche notre interlocutrice, visiblement débordée. Du côté de la préfecture, le sentiment d’urgence est le même. C’est à ce niveau qu’est actée l’autorisation d’accueil des bateaux. Car depuis le 23 mars, un décret du Premier ministre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire « interdit jusqu’au 15 avril 2020 aux navires de croisière et aux navires à passagers non réguliers transportant plus de 100 passagers de faire escale dans les ports français continentaux de Méditerranée, Atlantique, Manche et mer du Nord, sauf dérogation accordée par le représentant de l’État compétent.» Il revient donc au préfet du département, en lien avec l’autorité portuaire, d’accorder ou non une telle dérogation.
Une fois l’accostage validé, le débarquement des passagers est censé être évalué au cas par cas, en fonction, donc, des possibilités de rapatriement… mais aussi de l’état de santé des passagers. Ce qui a évidemment été le cas pour le Luminosa.
Comme le raconte La Provence, quelques jours plus tôt, le Luminosa a débarqué à Tenerife (Canaries) trois passagers dont les tests au coronavirus se sont révélés positifs. À l’arrivée du bateau à Marseille, des médecins de l’agence régionale de santé (ARS) sont donc dépêchés à bord. Ils y testent les passagers ayant été en contact avec les cas positifs détectés plus tôt ainsi que les personnes présentant des symptômes. Ces contrôles s’effectuent sur la base d’un signalement de la part des passagers invités à remplir un questionnaire. “C’est certes du déclaratif mais dans ce genre de situation, on ne peut se baser que sur l’honnêteté des gens”, commente Jean-François Suhas. Des prises de température sont également effectuées.
36 cas et beaucoup d’inquiétude
Pas de nuit d’hôtel sur le territoire, des cars affrétés, voire “des avions hors lignes régulières réservés directement par l’armateur”.
Dans la déclaration maritime de santé (DSM) qu’il doit fournir au port à son arrivée, le Luminosa fait ainsi état de plusieurs cas positifs encore présents dans ses cabines. En tout, cela concerne 36 personnes. Deux sont transférées à l’hôpital de la Timone. “Un Sud-Africain et un Suisse. Je crois que ça s’est bien fini pour eux”, ajoute Jean-François Suhas. Une fois l’état des lieux réalisé, les passagers autorisés à descendre peuvent emprunter le fameux “corridor sanitaire”, comme le nomme le président du Club de la croisière, pour rejoindre leur domicile.
“Les moyens de transports doivent être organisés et validés. Des masques sont distribués et des consignes sanitaires transmises”, mentionne-t-on rapidement du côté de l’ARS. “Le corridor sanitaire est mis en place de la cabine jusqu’à l’avion, se veut rassurant Jean-François Suhas. Il n’y a pas de contact, le moins de temps sur place possible, et des masques pour les malades.” Pas de nuit d’hôtel sur le territoire, des cars affrétés, voire “des avions hors lignes régulières réservés directement par l’armateur”, détaille-t-il.
Cages dorées
Mais, en ces temps de crise, difficile de comprendre le détail des règles de rapatriement des croisiéristes. Se fait-il en fonction de la nationalité des passagers ? De la situation du pays d’accostage ? Des solutions logistiques ? De l’état de santé des passagers ? Car si 2500 passagers ont pu profiter du “corridor sanitaire”, pour d’autres, la croisière a viré au cauchemar. C’est le cas des parents de P. Z., qui a souhaité rester anonyme. Le couple ressortissant belge devait débarquer à Marseille la semaine dernière, raconte leur fils. Mais ils sont toujours à bord du Costa Pacifica.
“Ils ne les ont pas laissés débarquer alors que leur croisière devait s’arrêter là et qu’ils avaient une solution pour rentrer, assure P.Z. C’est scandaleux !” Sur le Pacifica, aucun cas de coronavirus n’était à déplorer. Seuls les citoyens français ont pu descendre, note P.Z. Saisi par l’incompréhension, il ajoute : “Alors que des Américains et des Canadiens d’un autre bateau (le Luminosa, ndlr) où il y avait des cas, ont pu descendre !”.
Pourquoi le couple n’a-t-il pas obtenu l’autorisation de descendre de sa cage dorée ? Aucun motif n’a été fourni à ces retraités, assure son fils qui a pourtant contacté ambassade et préfecture. “Cela se décide au niveau du cabinet du Premier ministre”, glisse pour sa part Jean-Marc Forneri. Les parents de P.Z. sont donc repartis en mer. Actuellement au large de Rome, “ils voient les chances de rentrer s’amenuiser de jour en jour”, déplore leur fils, inquiet. Et alors que les ports du monde entier se ferment de plus en plus, les derniers paquebots en mer se retrouvent comme pris au piège.
“Le cygne noir de la croisière”
Ces géants des mers peuvent paraître de formidables lieux de confinement, avec piscines et buffets en prime. Mais si par malheur le virus s’introduit à bord, les traversées peuvent aussi virer au cauchemar, comme pour le Diamond Princess. Sur 3700 passagers, plus de 700 ont été contaminés, quatre sont morts. “Certains filtres peuvent bloquer la propagation du virus, d’autres non comme les clims ou les toilettes sous vide. Et puis, avec 800 personnes sur 300 mètres de long, imaginez la charge virale”, ne peut que constater Jean-François Suhas. Il poursuit : “En revanche, il y a des protocoles d’hygiène à l’américaine. Vous ne rentrez pas dans les cuisines si vous ne vous êtes pas lavé les mains. La gastro était l’une des grandes craintes, mais là, personne ne l’a vu venir : le coronavirus va être le cygne noir de la croisière. Il aura un avant, et un après.”
Il y a désormais un problème important pour le marché des croisières. Les gens vont avoir peur d’un nouvel incident.
Jean-Marc Forneri, président du conseil de surveillance du port
Le coronavirus est-il en train de porter un coup qui pourrait être fatale à la croisière, en plein essor à Marseille avec près de 2 millions de passagers en 2019, mais déjà largement critiquée pour sa pollution considérable et ses retombées économiques locales fumeuses ? Pour Jean-François Suhas, il s’agit plutôt d’une question de temps. “On a interdit le rassemblement de plus de trois personnes, alors les croisières, elles ne risquent pas de recommencer avant longtemps.” Pour le président du conseil de surveillance du port, en revanche, c’est une vraie question. “C’est un problème important pour le marché des croisières. Les gens vont avoir peur d’un nouvel incident. De mon côté, je peux vous dire que je ne risque pas d’investir chez STX ou Fincantieri [chantiers navals spécialistes de la croisière, ndlr]“, pose Jean-Marc Forneri.
Sur les cartes marines en ligne qui permettent de localiser en direct la position des paquebots du monde entier, la vision est surréaliste. Les mers du globe sont quasiment désertes tandis que l’ensemble des embarcations s’amassent sur les côtes. Du moins, celles qui ont pu trouver un abri. En ce qui concerne les navires de croisière, “une trentaine sont encore sans solution, estimait en début de semaine Jean-François Suhas. La plupart se dirige vers les États-Unis.” À Marseille, une demande est encore en cours d’instruction. Mais, si elle est acceptée, se sera sûrement la dernière. Le GPMM ne dispose de quasiment plus de place à quai. Depuis la Bonne-mère, c’est une autre vision surréaliste qui prend forme : le port est plein à craquer. Il semblerait qu’une petite bête aussi microscopique qu’un virus ait stoppé les géants des mers.
Commentaires
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Mais qu’allaient-ils faire dans cette galère?
A quelle date étaient-ils partis?
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Ces bateaux en arrêts à Marseille brulent-ils toujours leur satané fioul lourd ? Je suppose qu’on en peut pas les arrêter à 100% ?
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Passionnant cette carte du trafic maritime 🙂
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Des bateaux avec à bord, des gens en mauvaise santé, errant en Méditerranée, cherchant désespérément à débarquer dans un port … Cela ne vous rappelle rien ? Et encore, ces bateaux flottent, eux… Il y a de la nourriture à bord, des médecins des équipements.
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Dans les crises on peut assister à des inversions de facteurs. Plus ou moins importantes.
Par exemple; certains libéraux optent pour la nationalisation d’entreprises.
Les individualistes se révèlent et parfois sont solidaires.
Les élus peuvent être acclamés alors qu’ils étaient vilipendés.
Les croisières peuvent se transformer en radeau de la Méduse…etc.
Mais une fois la ”crise” achevée, ça revient comme avant avec quelques aménagements à la marge selon le principe de changer un petit rien pour que rien ne change…
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Le port de Marseille est-il le port d’attache de ces navires de croisière ? Depuis combien de jour ces navires avaient-ils pris la mer? Il ne semble pas que les décideurs aient tiré les conséquences de l’expérience du navire de croisière japonais, qui a été récemment confiné dans un port japonais pour cause le coronavirus. On a l’impression que comme toujours c’est le bisness d’abord ! Bien que certains d’entre eux se rendent probablement chaque année à la messe du Vœu ,ils ont oublié qu’il y a exactement 3 siècles en 1720 Le Grand Saint Antoine apporta la peste à Marseille . L’épidémie se propagea à toute la Provence et au Languedoc et fit entre 90 000 et 120 000 victimes sur une population de 400 000 habitants environ. Selon Wikipédia “La négligence supposée des médecins italiens, qui laissent repartir le navire, jointe à la hâte de Chataud pour livrer avant le début de la foire de Beaucaire, n’arrange rien à l’affaire : le capitaine amarre son voilier près de Marseille, au Brusc, et fait discrètement prévenir les armateurs du navire. Les propriétaires font alors jouer leurs relations et intervenir les échevins de Marseille pour éviter la grande quarantaine (celle durant quarante jours). Tout le monde considère que la peste est « une histoire du passé » et l’affaire est prise avec détachement : les autorités marseillaises demandent simplement au capitaine de repartir à Livourne chercher une « patente nette », certificat attestant que tout va bien à bord “.
Il faut ajouter que longtemps on rendit responsable les seuls membres de l’équipage, qui auraient débarqué clandestinement pour rejoindre leurs épouses pour faire laver leur linge, en famille, bien sûre.
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J’imagine que ces bateaux ont un pavillon. Accorder un pavillon à un navire engage une responsabilité, non ? Pourquoi ne pas se diriger vers les ports d’attache ? Quelqu’un a la réponse? je ne connais rien au sujet.
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