Noémi Lefebvre, une écrivaine venue à la Belle-de-mai faire parler les murs
L'écrivaine Noémi Lefebvre a engagé un travail d'écriture lors d'une résidence à la Friche autour du quartier et des "ambivalences" de son paysage. Elle en publie quelques portraits urbains dans l'Agora de Marsactu, en attendant de les réunir dans un livre.
L'écrivaine Noémi Lefebvre en 2018. (Photo : Francesca Mantovani/éditions Gallimard)
L’histoire commence par un banal accrochage en voiture. Et voilà Noémi Lefebvre contrainte de rallonger son séjour à “Marseille 3”, à la recherche d’une bonne casse automobile autour de la rue de Crimée. L’écrivaine, chercheuse et enseignante, normande d’origine, connaît un petit peu le quartier car sa fille y habite, mais elle vit à Lyon depuis plusieurs années, dans les hauteurs de la Croix-Rousse. Dans ce quartier “très gentrifié”, tout est “prévisible”. Noémi Lefebvre y observe un spectacle qu’elle qualifie d’ “assez triste” : les gens sont tous pareils. “Tout le monde a le même profil sociologique, tout est planifié, les choses invraisemblables n’arrivent jamais”, déroule-t-elle.
Bref, tout l’inverse de ce que l’écrivaine va découvrir dans le 3e arrondissement de Marseille. À commencer par ce malheureux accrochage en voiture, qui déjà n’a aucun sens. Alors Noémi Lefebvre décide de se pencher sur la question en sollicitant son outil habituel : l’écriture. Elle candidate à une résidence d’auteurs à La Marelle, une structure implantée à la Friche. Dans sa note d’intention, elle écrit : “je reviens pour passer du temps dans Marseille 3 sans ambition de comprendre, mais pour sentir ce que ça fait de ne pas vivre ici.”
Le séjour dure deux mois, au printemps 2023. Depuis, Noémi Lefebvre est retournée à la Croix-Rousse pour écrire ses balades qui, au final, devraient aboutir à un livre chez la maison d’édition Verticales, du groupe Gallimard où elle a publié ses ouvrages précédents. En attendant, l’autrice met en ligne quelques extraits sur l’Agora de Marsactu, toujours accompagnés des illustrations d’une dessinatrice et amie de sa fille, Kenza Rahma. C’est au cours d’un échange à distance que Noémi Lefebvre a accepté de préciser sa démarche, en commençant par assumer quelque chose d’important : “je dis tout ça de très haut, je peux me tromper, je n’habite pas là-bas !”
“La non-rencontre entre le quartier et le monde culturel”
La démarche ? “Voir le quotidien comme un objet d’études sociologiques”. Marcher des heures, repasser plusieurs fois au même endroit, s’attarder, surtout, sur les détails du bâti. Décrire phrase après phrase, même si cela demande de “l’effort”. Le premier texte publié par l’autrice sur l’Agora s’appelle “Confort européen”. Au départ, c’est juste le nom d’une enseigne écrit en grosses lettres devant un commerce du boulevard National. Mais le petit texte démarre comme une introduction de dissertation.
“Dès que le confort est arrivé dans le langage courant, les Européens ont voulu en avoir. Les Européens aiment le confort européen. Partout où ils vont, les Européens ont besoin d’un minimum de confort européen pour se sentir à l’aise comme chez eux.”
Conclusion : le confort européen, c’est tout cela, mais c’est aussi “un vieux rêve de progrès dont l’enseigne à moitié déclouée indique la liquidation définitive.” Fin du texte. “Ce qui m’intéresse, ce sont les imaginaires”, explicite l’autrice au téléphone. Les autres idées importantes sont : “l’énigme”, “le mystère”, et “les ambivalences” à saisir dans les détails des formes urbaines. “Pour dire quelque chose de Marseille, mais avec prudence.”
On a le sentiment que c’est la première fois de sa carrière que Noémi Lefebvre s’autorise cette posture. Déjà, la résidence, c’était inédit. “C’est toujours quelque chose qui m’a paru très bizarre, les résidences. C’est une espèce de lieu privilégié… Déjà parce que quand j’élevais seule mes quatre enfants, je n’aurais jamais pu. C’est réservé soit aux femmes jeunes, soit aux hommes. Maintenant que les enfants sont grands, j’ai pu le faire. Mais je n’étais pas très à l’aise. J’étais tout le temps dehors.”
D’emblée, Noémi Lefebvre remarque qu’il aurait été tout à fait accepté de passer deux mois de résidence à la Friche “sans sortir de la Friche”. Et ça l’intrigue, “cette évidence de la non-rencontre entre le quartier et le monde culturel”. Le 3e arrondissement a beau être proche de tout, soit on y vit, soit on le traverse sans trop s’y arrêter. Où quand des acteurs culturels s’y arrêtent, c’est pour mener des ateliers avec les habitants. Mais c’est une autre démarche.
Avertissements et interdictions
Dans les textes de Noémi Lefebvre, les gens du quartier ne parlent pas. Et sont presque invisibilisés, au profit de ce qui intéresse l’autrice au premier plan : l’urbain, et “le récit sociologique à partir de l’urbain”. Elle précise : “bien sûr que je parle avec les gens ! Mais je les laisse tranquilles, je ne fais pas d’enquête journalistique. Je suis dans la recherche d’une écriture de création, et je ne veux pas fictionner les habitants du 3e arrondissement.”
C’est donc à travers les formes de béton, les couleurs des enseignes, les étalages des épiceries ou l’architecture des balcons que Noémi Lefebvre imagine ces quotidiens. Exemple : les deux petits tunnels piétons sous le pont ferroviaire qui traverse la rue Guibal. Dans le texte qu’elle leur consacre, l’écrivaine explique avoir noté que malgré leur identique apparence, l’un des deux petits tunnels étaient beaucoup plus empruntés que l’autre. Et cherche à trouver des raisons à ce constat empirique. “C’est une différence d’usage qu’on observe que si l’on retourne au même endroit plusieurs fois”, commente l’écrivaine.
Un autre usage étonnant fait l’objet d’un texte, “Concept échafaudage”. Il est consacré à la façade d’un immeuble du boulevard National tenue par des étais à tous les balcons. Elle écrit :
“Difficile de savoir si les étais ont été mis en place en une seule fois ou progressivement, mais une règle a certainement été respectée pour la réalisation de cette belle construction : ne pas commencer par le haut, sinon tout le poids des balcons des étages supérieurs s’accumulerait sur les balcons des étages inférieurs jusqu’au premier étage, lequel s’écroulerait donc avant d’avoir pu être étayé, et ce phénomène d’écroulement en cascade s’étendrait à toute la longueur du bâtiment.”
Et tout cela permet aux résidents de cet immeuble de profiter de leurs balcons, ce qu’ils font. “Je vois à Marseille que beaucoup de choses sont tolérées, et que les gens continuent à vivre malgré les avertissements ou les interdictions. Je me dis, les Marseillais, ils sont joueurs, quand même !” s’amuse-t-elle. La scène est rendue visible par le dessin qui l’accompagne. Ici, l’immeuble en contre-plongée, les balcons qui supportent des grandes plantes tombantes, un drap qui sèche, des murs séparateurs en vieilles briques et les fameux étais, qui vont un peu dans toutes les directions.
Docks Libres et Couvent Levat
“Je travaille beaucoup sur les équipements urbains, et surtout sur l’accumulation et les amoncèlements”, précise la dessinatrice Kenza Rahma, qui était donc toute trouvée pour illustrer les textes de la mère de son amie. On ajoute à cette spécialité “un amour du noir et blanc, pour les contrastes et les détails qu’il permet de révéler”. La jeune femme, qui a emménagé dans le quartier de Saint-Lazare et ne compte plus en partir, explique avoir pris l’habitude de se balader avec l’écrivaine.
Parmi les autres textes à paraître, Noémi Lefebvre évoque son envie d’écrire sur le Couvent-Levat, “un endroit très surprenant, qui fait un peu offense au quartier. Enfin, je sais pas ce que vous vous en pensez…” Elle compte aussi approfondir son terrain, notamment autour de la Villette et du Racati. Terrain qui devrait être facilité par son installation à Marseille : l’écrivaine vient de signer un compromis d’achat aux Docks Libres.
Étonnant : c’est l’objet de son dernier texte, dans lequel elle se montre très critique envers cette résidence qui fait face à Félix Pyat. “C’était vraiment, mais vraiment pas mon intention de départ de m’installer ici… Mais je ne suis pas critique des gens qui y vivent. Il faut bien vivre quelque part !”, se défend-elle. Et précise : “dans le centre-ville, je m’ennuie. Ici, non. Ou peut-être que je m’ennuierai et que je partirai, je ne sais pas !”
Commentaires
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une démarche un peu étonnante. le quotidien, objet d’études sociologiques, et l’urbain, sans les gens…
un peu curieux, l’urbain c’est l’habitant des villes, le rural celui des campagnes…mais l’urbain c’est aussi ce qui concerne la ville.
bon, finalement, ça aiguise ma curiosité. je vais guetter la sortie de l’ouvrage !
quant à l’immeuble “concept échaffaudage” je l’ai “rencontré”. il y a un filet pour protéger les piétons…je m’interroge sur son efficacité en cas de chute des balcons. il y a des lieux magiques, les gens passent indifférents. pourvu que ça dure !
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Il me semble que les éditions Verticales, bien qu’appartenant au groupe Gallimard, sont des vraies éditions, et non une collection…
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Rap Lefebvriste
Elle est venue faire parler les durs
Elle s’est heurté à un mur
Elle a écrit ses lettres persanes
Elle nous a pris pour des ânes
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Je viens de découvrir grâce à ce texte sur le Confort Européen et le hasard est quelques fois capricieux car j’en connaissais le propriétaire,que ce dernier au lieu de faire de la pub dans le”Provencal” pour vendre ses produits blancs à l’époque ,aurait mieux fait de faire des communications auprès de la librairie philosophique Vrin portant sur le sens caché de son enseigne et de sa mission auréolée de
psychologie des masses.
Un peu plus bas bd National,je ne sais si le bâtiment existe toujours, il y avait une magnifique façade ” l’électricité industrielle “, je ne sais si elle existe toujours.si cela est le cas, l’autrice devrait y faire un saut,le capitaine Nemo et le Nautilus y sont peut-être encore cachés.
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Quand j’ai lu ça, mon premier réflexe a été de penser : c’est un publireportage ? Meuh non … on est sur Marsactu !
Florilège :
“elle vit à Lyon depuis plusieurs années, dans les hauteurs de la Croix-Rousse. Dans ce quartier “très gentrifié”, tout est “prévisible”. Noémi Lefebvre y observe un spectacle qu’elle qualifie d’assez triste” : les gens sont tous pareils. “Tout le monde a le même profil sociologique, tout est planifié, les choses invraisemblables n’arrivent jamais”, déroule-t-elle.” ….
Effectivement la Croix-Rousse, lieu de naissance de Guignol, Gnafron (et, beaucoup moins connu mais tout aussi digne du grand Guignol, de “Pascal. L”) était au 19e siècle un quartier très populaire de canuts – les ouvriers du tissage – qui s’est gentrifié tardivement entre 1970 et 2000.
” … tout l’inverse de ce que l’écrivaine va découvrir dans le 3e arrondissement de Marseille. (…) elle écrit : “je reviens pour passer du temps dans Marseille 3 sans ambition de comprendre, mais pour sentir ce que ça fait de ne pas vivre ici.”
Stupidement, je préfère nettement les gens qui ont l’ambition de comprendre
“Dans les textes de Noémi Lefebvre, les gens du quartier ne parlent pas. Et sont presque invisibilisés”
Et je me pose la question, : à part traverser le Bd National les yeux écarquillés, elle a fait quoi pour de vrai ? Et de quoi on parle là ? Du tourisme dans les zones de miséreux ? (Parce qu’à la Croix Rousse, il n’y en a plus assez pour en rencontrer ?) Après Tintin au Congo, elle veut nous faire Noémi dans le 3e ?
Il ne suffit pas de dessiner à la plume à l’encre de Chine pour être pertinent, moi j’attends des analyses, pas des impressions de touristes. Désolé mais c’est un article sans intérêt (mais qui a fait monter ma tension qui n’en avait pas besoin)
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Et en plus 15 jours ,nourrie, logée, blanchie à nos frais.
La boboitude dans toute sa splendeur.
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C’est qui “les gens qui vivent aux Docks Libres” ? Elle a compris qu’il y a les Docks Libres I et II, soit 1 300 logements : logement social, intermédiaire, privé, avec des locataires ou des propriétaires occupants, touça… Que tous ces gens toutes classes et origines confondues se battent comme des malades pour tenir leurs résidences debout vu la magnifique qualité de la construction et de la gestion produites par Nexity et l’équipe Gaudin ?
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Bonjour!
Sinon il existe le livre « Un Voyage accidentel » de Sharon Tulloch (marseillaise vivante de la Belle de mai avant son délogement suite à un arrêté de péril), publié aux éditions Commune (Martine Derain, un centre ville pour tous, le polygone étoilé …).
Carnet de bord authentiquement marseillais, intime et politique. C’est puissant.
À votre lecture.
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