Les anciens dirigeants de l’IHU et de l’IRD condamnés pour prise illégale d’intérêts

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le 6 Juil 2023
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L'ex-présidente de l'institut-hospitalo universitaire du professeur Raoult comparaissait mercredi pour prise illégale d'intérêts, au côté de son ancien compagnon, Jean-Paul Moatti, ex-PDG de l'institut de recherche pour le développement. En 2017, ils avaient signé une convention financière, sans faire cas de leur proximité.

Le siège de l
Le siège de l'IHU à Marseille. (Photo : BG)

Le siège de l'IHU à Marseille. (Photo : BG)

Ils semblent un peu perdus dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Marseille. Ils finissent par se retrouver et se font la bise, avec la distance un peu froide qu’impose le moment. Ce mercredi, l’ancienne présidente de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, Yolande Obadia retrouvait donc Jean-Paul Moatti, l’ancien PDG de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), un organisme de recherche international dont le siège est installé à Marseille. Ils ont rendez-vous avec Matthieu Vernaudon, procureur du parquet de Marseille, pour une procédure de reconnaissance préalable de culpabilité.

C’est l’aboutissement d’une longue procédure engagée après la visite de l’agence française anti-corruption au sein de l’IRD, fleuron de la recherche française dont le siège est à la Joliette. Parmi les diverses anomalies relevées par cette agence spécialisée dans la prévention des atteintes à la probité, une série de conventions fait tiquer les enquêteurs. Elles lient deux institutions dont le compagnonnage est ancien dans la recherche contre les infections. Un fléau sanitaire qui intéresse forcément un institut de recherche spécialisé dans la coopération avec les pays du Sud.

Une convention litigieuse pour 300 000 euros

La convention qui pose problème prévoit le versement de 300 000 euros. La somme correspond au loyer versé par l’IRD pour la partie des locaux de l’IHU qu’elle entend occuper. Nous sommes en 2017, et l’institut est en pleins travaux. Il a donc besoin d’assurer le financement de son fonctionnement. Rien de choquant sur le fond puisque l’IRD aide l’unité de recherche de Didier Raoult depuis des lustres. Problème : les deux signataires ne sont pas des inconnus l’un pour l’autre, puisqu’ils sont, au moment des faits, concubins. Or, aucun des deux ne s’est déporté au moment de signer en signalant cette proximité litigieuse.

L’AFA a donc saisi le parquet à l’issue de son contrôle en 2018, lequel a ouvert une enquête préliminaire. Celle-ci a notamment donné lieu à une double perquisition au siège des deux institutions en juin 2021. L’enquête débouche cinq ans plus tard, sur cette comparution pour reconnaissance préalable de culpabilité, par laquelle les deux parties reconnaissent leur faute. “C’est un délit purement formel, balaie Philippe Vouland, l’avocat de Yolande Obadia. Le parquet a pu constater que, dans les deux cas, il n’y avait aucune forme d’enrichissement personnel. Au vu de leur relation, ils n’auraient pas dû le faire. C’est formellement interdit“.

Cela témoigne surtout de l’absence d’accompagnement juridique car personne ne lui a dit que cela représentait un risque.

L’avocat de Jean-Paul Moatti

Une position partagée par son confrère Rémi-Pierre Drai, qui conseille Jean-Paul Moatti. “Son désir est vraiment de tourner la page, de passer à autre chose, défend l’avocat. Au-delà de la prise illégale d’intérêt, cela témoigne surtout de l’absence d’accompagnement juridique car personne ne lui a dit que cela représentait un risque“. Il n’y avait pas forcément besoin de plusieurs années d’études en droit pour se douter que signer une convention de plusieurs centaines de milliers d’euros en couple pouvait avoir toute l’apparence d’un conflit d’intérêts.

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité commence d’un côté de la salle des pas perdus où, l’un après l’autre, les deux anciens dirigeants ont rendez-vous avec le représentant du parquet, à huis-clos dans une salle d’audience. S’ils acceptent la peine qui leur est proposée, ils ont rendez-vous dans la salle d’en face où un juge du siège, ici Pierre Jeanjean, doit homologuer cette décision. C’est le seul moment où la justice prend la forme publique d’une audience correctionnelle, même si celle-ci ne fait qu’entériner la décision prise par ailleurs.

Courte audience publique

Pour les deux anciens dirigeants, il ne s’agit que d’une peine d’amende, assortie d’aucune mention au casier judiciaire. La peine encourue peut aller jusqu’à cinq ans de prison assortis d’une interdiction à se présenter à une élection ou à la perte d’un mandat électif. Si le magistrat ne refait pas toute l’instruction à la barre, il prend soin de définir le rôle de chacun et notamment l’exercice d’une charge publique, ainsi que du caractère tout aussi public des sommes en jeu. À la barre, Yolande Obadia prend soin de détailler le complexe mille-feuilles administratif et financier d’un IHU, exemplaire de la recherche à la française.

C’est une peine quasiment pédagogique. Même si c’est déjà une somme, cela aurait pu vous valoir cinq ans d’emprisonnement.

Le juge Pierre Jeanjean

Pierre Jeanjean s’agace un peu : il veut comprendre dans quel cadre les deux concubins ont pu signer leur convention. Yolande Obadia conteste le terme. “On va dire que vous étiez dans une certaine proximité sentimentale, balaie-t-il avant de détailler la peine : 10 000 euros d’amendes dont 6000 euros au titre de sursis“. L’ancienne présidente de l’IHU accepte la peine sans barguigner. “C’est une peine quasiment pédagogique, reconnaît le magistrat. Même si c’est déjà une somme, cela aurait pu vous valoir cinq ans d’emprisonnement“.

Pour Jean-Paul Moatti, l’affaire se corse un peu. L’ancien PDG de l’IRD et directeur du Sesstim, un laboratoire de recherche associé à l’IHU, n’est pas poursuivi que pour une infraction. En plus de l’apparent conflit d’intérêts, l’agence française anti-corruption a relevé plusieurs manquements à la probité dans la gestion des notes de frais du dirigeant. Cela double la peine d’amendes réclamée par la justice, sans inscription au casier, ni inéligibilité.

“Il m’arrivait lorsque je voyageais à l’ONU pour le compte de l’IRD d’aller voir mes anciens collègues du MIT”, glisse le PDG. Il oublie de préciser que parmi les voyages incriminés figuraient également des déplacements en Corse pour des cours à l’université de Corte dont l’AFA n’avait jamais trouvé trace. Or, le PDG était réputé avoir une résidence secondaire ailleurs sur l’île et certains frais, notamment de bouche, pris en charge ont eu lieu dans des lieux très éloignés de Corte.

Jean-Paul Moatti affirme avoir intégralement remboursé les sommes incriminées, “bien avant le signalement de l’AFA”. Quelques mois plus tard, l’ancien chercheur était candidat sur la liste menée aux municipales par Yvon Berland pour le compte de La République en marche. Il y représentait le parti présidentiel en seconde place sur la liste des 9/10.

Concussion ou détournement de fonds publics ?

L’audience d’homologation des peines ne s’arrête pas à ce détail de l’histoire. Pierre Jeanjean s’arrête plutôt sur le chef d’infraction que le parquet a résumé à la concussion. Un débat s’engage entre les avocats et les magistrats sur ce que ce terme juridique recouvre. “Le terme de détournement de fonds publics m’apparaît plus adapté”, met en doute le magistrat. Avant l’audience, il avait demandé au procureur de venir assister aux débats. Il renouvelle la demande mais le procureur siège ailleurs. Il faudra patienter.

Le temps d’un interlude consacré à une affaire d’importation de contrefaçons, les Rois de la sape entrent en scène. Le procureur Vernaudon finit par faire son entrée. Il s’appuie sur une jurisprudence solide et cite même une décision de la sixième chambre où siège habituellement Pierre Jeanjean sur des forfaits d’heures supplémentaires à la Ville de Marseille. Le magistrat s’incline en soulignant l’intérêt de siéger à plusieurs. Mais l’homologation est là, permettant aux anciens dirigeants de tourner cette page, avant d’autres épisodes judiciaires à venir pour l’IHU de Marseille.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    Un jeune émeutier écope de six mois de prison ferme pour deux jeans emportés d’un magasin pillé… Voler c’est pas bien, enfin pas de cette façon : S’il avait été portant cravate dans un bureau climatisé de l’IRD ou de l’IHU, ayant disposé illégalement de 300.000 Euros, il s’en serait sorti nikel. (quelques milliers d’Euros à payer, une misère au regard du salaire)…

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  2. Christian Christian

    Et y aura- t-il une suite judiciaire aux factures dépassant parfois les 2000 euros, reçues par des patients atteints d’un covid léger, pour un passage de quelques heures chez Raoult ?

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  3. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    Qui c’est qui facture ? :
    L’ APHM , ! Mr Cremieux ,
    C’est ridicule d’attaquer Raoult là dessus, tout comme d’attaquer Mr Cremieux sur ce sujet
    Niveau caniveau !

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    • Freddo69 Freddo69

      Encore un neuneu qui ne comprend rien à rien.

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  4. Zumbi Zumbi

    “Quelques mois plus tard, l’ancien chercheur était candidat sur la liste menée aux municipales par Yvon Berland pour le compte de La République en marche. Il y représentait le parti présidentiel en seconde place sur la liste des 9/10.”
    C’est peut-être ça, l’explication de la très longue mansuétude de la macronie envers l’équipe Raoult, alors que de surcroît il entrait en négociations pour racheter la droite marseillaise… voir ici https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/03/macron-raoult-un-an-et-demi-de-compagnonnage_6093277_823448.html

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  5. Piou Piou

    Bah tiens, ça va être la faute des conseillers juridiques.
    Si les politiques interrogeaient leurs services AVANT d’annoncer ou de promettre des partenariats, ils seraient moins souvent hors des clous.

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