Le tribunal dissèque “l’emprise” d’Alexandre Guérini sur la communauté urbaine

Actualité
le 17 Mar 2021
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À l'aide de nombreuses écoutes téléphoniques, le deuxième jour du procès Guérini a permis la prise de conscience de la mainmise d'Alexandre Guérini sur le fonctionnement de la communauté urbaine. Et ce, juste après l'arrivée du PS à la tête de la collectivité, en 2008.

Le tribunal dissèque “l’emprise” d’Alexandre Guérini sur la communauté urbaine
Le tribunal dissèque “l’emprise” d’Alexandre Guérini sur la communauté urbaine

Le tribunal dissèque “l’emprise” d’Alexandre Guérini sur la communauté urbaine

Comme si la nature de l’homme perçait derrière l’homme de scène. Pondéré durant ce deuxième jour d’audience, Alexandre Guérini apparaît bien différent à la pause de 18 heures. Selon le récit du procureur, relayé par la présidente Céline Ballerini, le principal protagoniste du procès a eu durant l’interruption des propos virulents à l’encontre de Raymond Bartolini, un autre prévenu. Cette pression a eu lieu dans les toilettes du tribunal où, manque de chance pour lui, se trouvait aussi le magistrat. “Il semble particulièrement malvenu de votre part de pouvoir être dans des situations pour le moins ambiguës”, gronde la présidente.

Toute la journée a en effet été consacrée aux mauvaises habitudes de l’entrepreneur. “Je suis très autoritaire dans ces écoutes, voire assez insultant. Ça dégage de moi une image qui n’est pas la mienne.” Pendant six heures, Alexandre Guérini est confronté à des salves d’enregistrements et doit bien reconnaître ses propres excès. Ils soulignent la violence de plusieurs échanges qu’une retranscription écrite peut difficilement traduire.

Dès qu’il a un désaccord, l’entrepreneur n’écoute plus son interlocuteur, recouvre ses réponses, monte le ton. Il use d’une litanie de qualificatifs désobligeants, de surnoms mesquins – “brushing” pour l’ex-président de la communauté urbaine Eugène Caselli par exemple – à l’insulte, presque toujours homophobe, pour qualifier ceux qui ne servent pas ses desseins.

Un fonctionnaire passé de Muselier à Caselli

Celui qui est l’objet de la majorité des virulents coups de fil campe avec lui sur le banc des prévenus. En 2008, Michel Karabadjakian est un fonctionnaire ambitieux. Agent municipal, il rêve de retourner à la propreté urbaine au sein de Marseille Provence métropole. Ce syndicaliste Force ouvrière travaille même sur le programme du candidat de la droite à la présidence de l’intercommunalité, Renaud Muselier.

Michel Karabadjakian a obtenu son poste après s’être rapproché d’Alexandre Guérini. (Dessin Ben8)

Quand celui-ci chute, Michel Karabadjakian croit devoir revoir ses plans. Mais la nouvelle majorité le repêche : “J’ai été contacté par Eric Pascal, salarié de la société Bronzo [société ayant précédemment obtenu des marchés publics de collecte des déchets au sein de la communauté urbaine, ndlr], au lendemain de l’élection de M. Caselli. Il me demande si je veux rencontrer Alexandre Guérini. Après une hésitation de quelques semaines, j’ai accepté. Apparemment, il avait la possibilité de me faire nommer directeur de la propreté urbaine et moi, j’avais un plan pour faire Marseille propre.”

Il sera rapidement nommé directeur général adjoint des services. Ce mardi, le président élu Eugène Caselli était attendu à l’audience pour expliquer ces recrutements successifs mais, n’ayant pas reçu la convocation, il n’est pas venu donner son point de vue. La présidente du tribunal Céline Ballerini se base sur son audition dans le dossier d’instruction : “Jean-Noël Guérini m’a conseillé de mettre Karabadjakian comme directeur général adjoint, qu’il avait d’excellents retours et qu’il était politiquement proche de nous.” Une assertion que Jean-Noël Guérini se presse de démentir à la barre.

Du cadavre de chat au marché public

Dans la foulée de l’embauche de Michel Karabadjakian, Alexandre Guérini semble très présent. Lors de petits-déjeuners quasi-hebdomadaires au Victor café dans le 7e arrondissement, il rentre dans des détails opérationnels. Il admet lui-même pouvoir appeler le directeur quand un cadavre de chat dégage une “odeur pestilentielle” sur le chemin du Cercle des nageurs où il a ses habitudes.

Mais Alexandre Guérini ne limite pas ses interventions aux encombrants ou écoulements sauvages. Il se vante de faire et défaire les carrières. La procédure a démontré son intérêt poussé pour les marchés de la communauté urbaine. Il se montre capable de mobiliser le patron et les syndicalistes de Bronzo pour influer sur le cours d’un marché. Il les pousse à une grève longue – “un tiens bon”, comme il appelle ça – et semble opérer en coach.

Karabadjakian, “homme sous influence”

Michel Karabadjakian apparaît dans les écoutes comme sa principale porte d’entrée et son bras armé. Il est l’intermédiaire d’Alexandre Guérini pour tenter d’influer sur l’écriture du cahier des charges d’un marché ou sur la décision finale. Malgré le secret professionnel auquel il est astreint, Michel Karabadjakian s’exécute. “Il y a une grosse emprise psychologique, je suis sous influence. Je peux pas lui dire non parce que je suis un homme sous influence. Je suis seul, je suis isolé, je crains Alexandre Guérini”, explique-t-il a posteriori. La présidente le relance :

“Vous craignez de lui physiquement ?
− Oui.

− Vous craignez qu’il vous frappe ?
− Ou qu’il me fasse frapper.”

L’homme se présente comme embarqué dans une histoire qui le dépasse. La veille, il a raconté comme d’autres l’impact d’une procédure monstre et médiatique marquée pour lui par la garde à vue. “Ce qui m’a le plus marqué, c’est que mon frère a changé de nom. Quand on tapait notre nom sur Google, c’était un déferlement”, s’est-il souvenu. Le lendemain, il parle de “syndrome de Stockholm” pour décrire sa relation à Alexandre Guérini.

Le vrai problème d’Alexandre Guérini, c’est qu’il fait peur à beaucoup de gens.

Extrait d’une audition d’Eugène Caselli

Si la présidente pointe sa “faiblesse”, il n’est pas le seul à noter son immixtion permanente dans le fonctionnement de la communauté urbaine. “Le vrai problème d’Alexandre Guérini, c’est qu’il fait peur à beaucoup de gens. Il joue avec cette peur qu’il véhicule, avec son impression physique qu’il dégage lorsqu’il se met en colère et sur le fait qu’il est le frère de Jean-Noël. Lorsqu’il vient aux réunions ou qu’il arrive dans une pièce, il en impose et cela génère toujours de la tension”, avait raconté aux gendarmes Eugène Caselli.

En pleine grève de Bronzo, Eugène Caselli est ainsi invité à rencontrer Alexandre Guérini dans le bureau de son frère Jean-Noël au siège du conseil général dont ce dernier est président. Selon les comptes-rendus que fait Alexandre Guérini à certains de ses proches, comme l’avocat Olivier Grimaldi, conseil de ses sociétés comme de la communauté urbaine ou du syndicat Force ouvrière, l’entrevue vise à pousser Eugène Caselli à céder à ses exigences, c’est-à-dire conserver Bronzo comme délégataire. “Je lui ai raconté tout mon entretien de deux heures et demie, qui n’a rien donné parce qu’il s’est chié dessus, explique Alexandre Guérini, alors sur écoute, à un autre interlocuteur. Mon frère l’a poussé dans ses retranchements en lui disant “mais putain d’Adèle, moi je m’en bats les couilles de la commission !”.

Écoutes accablantes ou “vantardise” ?

Je me suis occupé d’un problème qui ne devait pas être débattu par moi. Je m’en suis occupé parce que je me suis investi moralement, sans droit ni titre.

Alexandre Guérini

Confronté à ses déclarations passées, Alexandre Guérini tente d’éviter cet événement accablant. “C’est de la vantardise, c’est une connerie”, lance-t-il après avoir assuré que le sujet épineux avait été évoqué “moins d’une minute”. L’argument est repris plusieurs fois pour justifier ses excès verbaux. Mais Alexandre Guérini est obligé de concéder une implication excessive : “Je me suis occupé d’un problème qui ne devait pas être débattu par moi. Je m’en suis occupé parce que je me suis investi moralement, sans droit ni titre. Je l’ai fait et je ne veux pas aujourd’hui fuir mes responsabilités.”  C’est ce qui lui vaut une accusation de recel du secret professionnel de Michel Karabadjakian.

“Je suis adhérent du PS et je suis reconnu comme une personne susceptible de donner sur le traitement des déchets. C’est à ce titre que je suis intervenu auprès de MPM”, tente-t-il de minimiser. Il résume sa ligne de défense : Est-ce que je m’occupe des affaires qui me regardent pas ? Je dis oui. Est-ce que je veux tirer profit des affaires qui me regardent pas ? Je dis non.” 

Devant le tribunal, Alexandre Guérini tente de minimiser son implication. (Dessin Ben8)

Alexandre Guérini assure n’avoir “jamais candidaté à un marché de la communauté urbaine ou du conseil général”. Mais l’accusation estime qu’il poursuivait un but indirect, à savoir pousser une autre société, Queyras environnement. Il entretient avec son patron, Éric Pascal des relations “à 95 % cordiales, à 5 % professionnelles”. L’homme est notoirement un proche. Un autre intime d’Alexandre Guérini à l’époque, le vice-président de la communauté urbaine à la propreté Antoine Rouzaud, le présente même alors comme son “conseiller technique”.

Queyras environnement était candidat à deux marchés dont se mêle Alexandre Guérini. C’est ce qui vaut un second chef de prévention : la complicité de favoritisme, dont il se défend, car il estime n’avoir procuré aucun avantage réel à la société amie. L’auteur principal de ce favoritisme selon l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction Fabrice Naudé ? Michel Karabadjakian mais aussi Olivier Grimaldi, l’avocat multi-casquettes, auteur de plusieurs analyses au nom de la communauté urbaine, malgré ses conflits d’intérêts. Celui-ci n’est pourtant pas renvoyé devant le tribunal correctionnel. Le dernier juge d’instruction n’a pu que constater que sa mise en examen n’avait pas été prise par son prédécesseur Charles Duchaine “en dépit des éléments rassemblés à [son] encontre”. Il ne corrigera pas le tir notamment “pour ne pas retarder encore davantage l’achèvement de la procédure”. Les douze ans d’instruction de l’affaire Guérini ont leurs mystères.

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Commentaires

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  1. VALMA VALMA

    “Ça dégage de moi une image qui n’est pas la mienne.” La petite scène de pression dans les toilettes est à ce titre riche d’enseignements ! Combien d’autres scènes sans aucun témoin ? Quand on pense qu’il a fallu 11 ans à la justice pour enfin questionner cette organisation malfaisante et menaçante … et encore par le petit angle d’un dossier manifestement tentaculaire !

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  2. Alceste. Alceste.

    “La corruption est en force, le talent est rare. Ainsi, la corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe”. Balzac au XIXe avait toute matière pour écrire son “Père Goriot” dans cette ambiance sordide de petits sous. Qu’aurait’il écrit aujourd’hui au milieu de cette faune de corrompus, d’arrivistes et de gros sous?. Quelque soit l’institution , quelques soit le niveau , cela sent quand même bien le pourri.

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    • Happy Happy

      Plus qu’à Balzac, ce compte-rendu édifiant et bien écrit me fait penser au cinéma américain, avec ses scénarios mêlant mafieux, politiciens et syndicalistes véreux. On pourrait être chez Scorcese (mais sans rédemption) ou dans ce très bon film, A most violent year. La scène de pression dans les toilettes du tribunal semble avoir été inventée pour le cinéma ! S’il devait y avoir une adaptation par le cinéma français, je mise sur Jacques Audiard, qui a déjà mis en scène la pègre corse dans Un Prophète.

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    • Jacques89 Jacques89

      Je ne sais pas ce qu’aurait écrit Balzac qui n’aurait pas été dit par Zola mais j’imagine bien un cultivateur du Loir-et-Cher (ou d’ailleurs…assez loin des métropoles) qui lit cet article : « …mais on est où là ? », pas dans un roman, ni dans un film, malheureusement.

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  3. PAGNOL PAGNOL

    Karabadjakian n’a pas honte de donner de lui l’image d’un opportuniste doublé d’un faible pour obtenir l’indulgence du tribunal
    On peut comprendre son frère qui a préféré changer de nom!!

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  4. julijo julijo

    “Le vrai problème d’Alexandre Guérini, c’est qu’il fait peur à beaucoup de gens.” oui, et c’était particulièrement vrai !
    Baptisé “Monsieur Frère” il était bien connu dans les bureaux proches du sommet du CG13…Surtout connu comme sociopathe et “jean no no” exécutait souvent ses ordres ou bien les faisait exécuter par les services.
    il ne serait pas très étonnant qu’il se “lâche” un peu au cours du procès…pas le genre à faire profil bas, pour preuve le coup de pression à bartolini…et il peut faire beaucoup mieux.

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    • Alceste. Alceste.

      Curieux métier que celui du traitement des ordures qui ne sont pas forcément que ménagères !

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    • Jacques89 Jacques89

      Les vautours sont attirés par la masse Braillasse, la curée ne s’organise qu’en troupe. Les regroupements, loin d’engendrer les économies d’échelle ne font qu’attirer les convoitises … et les OPA qui musellent la concurrence.

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  5. TINO TINO

    ces pratiques,où le bien public profite illégalement au bien privé, sont elles typiquement marseillaises? Je ne le crois pas. Ce qui ne minore en rien la gravitè des délits jugés actuellement à Marseille, mais au contraire m’inquiète.

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    • Alceste. Alceste.

      A ceci prés qu’à Marseille la densité de la présence de ces individus au m2 est supérieure à la moyenne nationale.
      Record dont l’évitement aurait été plutôt favorable à nos feuilles d’impôts.

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  6. Richard Mouren Richard Mouren

    Ce domaine du traitement des déchets semble être un terrain de jeu assez largement fréquenté dans le monde par nombre de personnes (ou groupes de personnes) un peu louches. Ca doit être assez juteux, les communautés ne devant pas être trop regardantes sur les moyens, trop heureuses de pouvoir être débarrassées de leurs déchets.

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