Le procureur demande des peines légères mais veut punir “l’esprit de groupe” de la BAC Nord
Le parquet a requis lundi des peines allant du sursis à six mois de prison ferme à l’encontre des 18 prévenus de la BAC Nord. Des peines raisonnables au vu du scandale suscité par la révélation de l'affaire il y a neuf ans, même si aucune relaxe complète n'a été demandée.
À la barre comme en dehors de la salle d'audience, la solidarité du groupe était visible. (Photo Clara Martot)
Neuf ans après le début du scandale, que restera-t-il du dossier de la BAC Nord ? En préambule de son réquisitoire, le procureur André Ribes a livré une analyse à froid de cette affaire jugée depuis la semaine dernière devant le tribunal correctionnel de Marseille. Une analyse à froid mais aussi à charge : “vous aurez prouvé que la confiance envers la police mérite d’être revue. Et que malgré les gens qui prendront votre défense, vous aurez réussi à semer le doute sur vos pratiques. Et c’est la pire des choses”. Après plus de quatre heures d’argumentaire, les peines requises contre les 18 prévenus, dont 15 exercent toujours dans la police nationale, apparaissent pour le parquet comme “les peines justes” aux yeux des infractions aux stupéfiants et vols commis. Elles sont comprises entre un an de sursis et six mois ferme assortis de trente mois de sursis pour deux anciens chefs de groupe, dont le doyen Bruno Carrasco.
Après une semaine de débats, le parquet a également pris le temps d’analyser ce qu’il reste non pas de l’affaire, mais du groupe de “baqueux”. Malgré les années, les évolutions de carrière ou les reconversions, la solidarité entre les prévenus prouve bien que “l’esprit de groupe a perduré”. Une proximité qui s’exprime aussi, ajoute le parquet, par le bilan sanitaire constaté ce lundi matin : au moins quatre prévenus ont été testés positifs au Covid-19 ces trois derniers jours. Enfin, concernant les individus eux-mêmes, André Ribes a salué les talents de “chasseurs” de ces fonctionnaires de terrain : “vous avez cela dans le sang. Vous savez repérer les situations et les individus à risque. Vous avez un courage naturel, un courage d’action”. Le compliment sonne comme une accusation.
“Le seul contact que vous avez avec la population passe par l’agression”
Les prévenus avaient intégré la BAC Nord pour “l’adrénaline” du flagrant délit. Une volonté incompatible avec la misère sociale du secteur, tranche le procureur. “Votre tempérament fait qu’une fois dans les cités, le seul contact que vous avez avec la population passe par l’agression. Et vous devenez comme les délinquants”, attaque André Ribes. Le magistrat prend alors en exemple le cas d’un enregistrement réalisé dans un véhicule où l’on entend des fonctionnaires alpaguer un jeune homme dans la rue en lui criant “toi, viens ici !” sans aucune raison. Une attitude qui, additionnée aux autres éléments à charge du dossier, dessine une “mosaïque”, conclut le magistrat : “même s’il manque des éléments, on en voit parfaitement le dessin”.
Le dessin en question, c’est d’abord les signalements internes rapportées à la hiérarchie avant le début de l’enquête. À savoir, dans les grandes lignes, que les fonctionnaires de la BAC Nord récupèrent des sacoches de dealers. Deux schémas possibles, reprend le magistrat : “soit on fait courir le dealer et on récupère le produit qu’il jette dans sa course, soit on l’interpelle et on soustrait la sacoche dans un second véhicule de police”. Ces deux modes opératoires se retrouvent sous la forme de nombreuses allusions entre collègues, capturées au travers des sonorisations des véhicules réalisées en 2012. Pourtant, plus tôt la même année, un article du Point révèle qu’une enquête préliminaire vise la BAC Nord. L’année précédente, la hiérarchie, informée des rumeurs de vols de stupéfiants, demandait déjà à ses troupes de cesser tout “plan stup”. Pour le parquet, il s’agit alors d’un avertissement “clair, net et précis de la hiérarchie”, qui aurait dû pousser les policiers à cesser leurs pratiques déviantes.
Toute la police nationale est soumise à la politique du chiffre, mais tout le monde ne comparaît pas devant le tribunal.
André Ribes, procureur
Lors de leurs auditions la semaine dernière, la majorité des prévenus ont reconnu avoir “ramassé” des cigarettes ou des barrettes de cannabis. Pour leur défense, ils invoquent la rémunération informelle de leurs indics et la pression aux résultats placée sur leurs épaules par la hiérarchie. Au lieu d’encombrer les services avec des procès-verbaux, il aurait été, selon eux, plus simple de détruire directement les produits illicites. Sauf que ces produits ont bien été retrouvés, notamment dans les faux-plafonds des vestiaires de la brigade et dans plusieurs casiers personnels. Et que selon le parquet, “la politique du chiffre ne justifie pas les délits commis. Toute la police nationale est soumise à la politique du chiffre, mais tout le monde ne comparaît pas devant le tribunal”.
« On a récupéré la sacoche. (…) On partage. »
La procureure Maud Gauthier poursuit l’argumentaire en revenant sur chaque cas. Il y a Bruno Carrasco, ancien chef du groupe C aujourd’hui révoqué de la police, “flic à l’ancienne aux méthodes hors-cadres, dont les dérives revêtent une valeur de revanche”. La magistrate rappelle que la semaine dernière, le prévenu s’est justifié du vol d’une sacoche abandonnée par son modeste salaire selon lui – 2 000 euros mensuels – face aux “jeunes de cité qui roulent en Porsche”. Il y a aussi Jérôme L., parmi les plus jeunes à l’époque, qui parle aux enquêteurs d’une brigade aux pratiques “borderline”. “Dans le groupe de monsieur Carrasco, les plus gradés initient les plus jeunes aux dérives”, conclut-elle. Dans le groupe B, le chef tout juste nommé Mohamed C. est, au contraire, initié “malgré lui” par ses collègues.
On commence à avoir un petit groupe, un bon petit groupe, où on sait qu’on ferme nos gueules. Ce qui se dit dans la voiture, ça reste dans la voiture.
Extrait d’une écoute
Mais c’est dans le groupe A que se trouve, selon la magistrate, la “clef de déchiffrage du dossier” : Patrick M., 55 ans, décrit par un collègue comme “instruit et intelligent” et aujourd’hui révoqué. Ce fonctionnaire est le seul de tous les prévenus à avoir reconnu la semaine dernière le vol pur et simple de 540 euros. Ce délit apparaît dans les sonorisations : “on a récupéré la sacoche”, se vantent les fonctionnaires dans leur voiture. “On partage”, ajoutent-ils. “C’est cet élément qui, plus que les autres, caractérise le vol d’argent et le fait que le délit soit commis en réunion”, conclut la procureure. Une autre séquence est relevée par le parquet avant de conclure. Trois autres fonctionnaires y échangent : “on est contents parce que dans le groupe, on commence à avoir un petit groupe, un bon petit groupe, où on sait qu’on ferme nos gueules. Ce qui se dit dans la voiture, ça reste dans la voiture”.
En fin de réquisitoire, André Ribes a précisé que toutes les peines étaient aménageables et devaient être compatibles avec une activité professionnelle. Sur les 18 prévenus, 15 exercent toujours comme policiers. Le magistrat s’est dit favorable à la non-inscription au casier judiciaire pour six d’entre eux : ceux-là pourront donc rester fonctionnaires sans être inquiétés. Pour les autres, leur futur dans la police devrait se jouer au cas par cas. À l’image d’un dossier qui s’est dégonflé, les peines sont très raisonnables, mais aucune relaxe complète n’est demandée pour autant. Les plaidoiries de la défense ont débuté ce lundi soir, le délibéré est attendu jeudi.
Commentaires
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Ripoux ,corruption etc…c’est le bilan navrant et scandaleux de ce procès ,ou plutôt de cette parodie de procès , malgré la tentative de certains juges de dénoncer le scandale national du fonctionnement de la police française .
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Peines raisonnables ?
Au maximum 6 mois fermes requis, donc vraissemblablement beaucoup moins,sans doute du sursis, pour avoir déshonoré la police par des pratiques délictuelles graves?
Ce n’est pas ça qui va réconcilier police et population puisque la quasi impunité continue
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‘Clémence assez incroyable et scandaleuse
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