Lézards et crapauds
Avec Macron, le port veut se simplifier la vie face aux petites bêtes
Le port a présenté la semaine dernière au ministre de l'économie, Emmanuel Macron, son projet Piicto. Objectif: attirer des entreprises à Fos sur des terres qui peinent à trouver preneur. Le port cherche avant tout à se libérer des contraintes de compensation environnementale dues aux zones protégées qu'il conserve en son sein.
Avec Macron, le port veut se simplifier la vie face aux petites bêtes
Ce n’est pas tous les jours qu’un ministre pousse la porte du centre d’information de la Fossette, dans les bassins ouest du grand port maritime de Marseille. Emmanuel Macron a fait un saut à Fos-sur-Mer lors de sa visite dans les Bouches-du-Rhône la semaine dernière.
Entre la steppe de la Crau et les convois de poids-lourds, la zone de la Fosette illustre à elle seule la complexité de l’espace portuaire. Même le bâtiment, très années 70, avec sa maquette géante des bassins, rappelle les rêves de grandeur passés. Elle permet de prendre la mesure des 10 000 hectares du port entre Rhône et Méditerranée. Parmi les cadres portuaires, on ne sait même plus si un ministre de l’économie est déjà venu à la Fossette.
Dans les Bouches-du-Rhône, de l’industrie et de l’innovation ! #KemOne #Piicto pic.twitter.com/HbBh7rtyhZ
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 28, 2016
Entre taxis en grève et départ de Taubira du gouvernement, le port présente au ministre son principal projet concernant le site de Fos : Piicto, pour “plateforme industrielle et d’innovation Caban Tonkin”. Avec un budget très contraint et de grands espaces vides en son sein, le port cherche de nouveaux locataires pour valoriser son foncier. Piicto lui permet de proposer aux industriels des terrains déjà reliés aux réseaux et bénéficiant de procédures allégées notamment vis-à-vis des obligations environnementales.
“Laboratoire de la simplification administrative”
Piicto est né avant tout d’un échec. À l’époque, le port avait vu un gros poisson lui passer sous le nez. En 2011, Hexcel, sous-traitant d’Airbus Helicopters et géant de la fibre carbone, cherche un terrain pour installer un site de production et 150 salariés. Fos se retrouve dans le dernier carré. Un des points forts de la candidature fosséenne repose alors sur le partage d’énergie que proposait le chimiste Kem One voisin. Mais la mise en redressement judiciaire de l’usine de PVC a conduit Hexcel à atterrir en Rhône-Alpes. Et le port de Fos s’est retrouvé le bec dans l’eau. Depuis les occasions se font rares.
La nature a repris ses droits sur les 1200 hectares de Caban Tonkin. Et malgré la présence de l’usine pétrochimique de LyondellBasell, d’un incinérateur, du terminal minéralier et de l’aciérie d’Ascometal, plus de 700 hectares restent inoccupés.
On peut admirer le prototype d’éolienne flottante à axe vertical et ses homologues terrestres à l’arrière-plan mais c’est surtout la broussaille qui domine toute une partie du môle. Tout ceci illustre la difficulté qu’à le port à trouver de nouveaux locataires. Début 2015, un des grands projets de la zone, le terminal méthanier de Fos Faster tombait à l’eau.
Quelques mois avant, en septembre 2014, l’association dédiée à la création de cette “plateforme industrielle et d’innovation” était créée. Une sorte de colocation d’industriels où l’on fait du “plug and play” : le petit nouveau pourra poser ses valises, se brancher sur le réseau et installer son usine. Premier coloc’, GRT Gaz a annoncé début décembre qu’elle installerait son démonstrateur “Power to Gas” Jupiter 1000 dans la partie de Piicto dédiée à l’innovation. En clair, cette technologie permettra notamment de stocker les excédents d’électricité éolienne ou solaire.
“Territoire d’expérimentation”
Problème : tout cela nécessite quelques aménagements. Qui dit partage d’énergies dit mise en place de réseaux. Un des atouts de ce projet réside dans la mise à disposition d’un réseau de vapeur auprès des industriels. Ce qu’on appelle communément l’économie circulaire ou de l’écologie industrielle, car le déchet de l’un devient la matière première de l’autre.
Mais la mise en place de Piicto a un coût fort élevé : 26 millions d’euros. Et c’est bien là que cela coince, un an et demi après le lancement de l’association. “Ce n’est pas bouclé”, concède la directrice du port, Christine Cabau-Woehrel. Le projet a été inscrit au contrat de plan État-Région 2015-2020 au titre des grands projets d’innovation. “Aujourd’hui, nous butons un peu sur le financement. Il faut trouver des conditions attractives”, explique à Emmanuel Macron le président de PIICTO et patron de Kem One Jean-Philippe Gendarme.
Le ministre semble avoir saisi le message : “Je suis prêt à travailler avec vous”, répond-il, indiquant que Fos pourrait faire partie des “territoires d’expérimentation”. “Si vous pouviez me faire parvenir tout ce dont vous avez besoin, nous pourrions en faire un projet phare de notre stratégie de simplification”, a-t-il conclu. Le port avait vu arriver avec enthousiasme les “zones d’intérêt économique et écologique” inscrites dans la loi Macron du 3 janvier 2014. Le dispositif permet de traiter ces mesures de compensation environnementale de manière “groupée”, avec un permis unique délivré pour toute une zone par le préfet. Mais Fos, bien qu’annoncée comme un possible territoire d’expérimentation, ne l’est pas encore.
“Aller plus vite” et “faciliter la vie des industriels”
Or, le port aimerait bien s’affranchir des contraintes écologiques qui pèsent sur chaque nouveau projet. La zone de Caban Tonkin est aux portes du périmètre Natura 2000 “Marais entre Crau et Grand Rhône“. Tout nouvel arrivant doit faire une demande de dérogation de destruction d’espèces protégées. Les procédures peuvent être coûteuses mais surtout longues. Pour le projet Fos Faster, la facture des mesures dites de compensation écologique s’était élevée à 2,7 millions d’euros et le projet avait du être revu plusieurs fois. La directrice du port Christine Cabau-Woehrel aimerait voir simplifier ces procédures, posant la nécessité “d’aller plus vite et de faciliter la vie des industriels”.
Son souhait ? “Labelliser une zone comme à industrialiser”, détaille-t-elle. En clair : il s’agit de faire une seule demande de compensation écologique pour toute la zone du Caban et ne pas renouveler à chaque implantation les mesures de protection des lézards ocellés ou aux crapauds calamites. En cela, plus que le partage des réseaux et l’économie circulaire, le véritable objectif de Piicto est de ne pas avoir à payer et perdre du temps à sauver les petites bêtes.
Commentaires
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Jolie phrase : “le véritable objectif de Piicto est de ne pas avoir à payer et perdre du temps à sauver les petites bêtes.” C’est vrai, quoi, la COP21, c’est passé, et avec elle, sans doute, la mode de “l’économie verte”.
Certains scientifiques pensent qu’une extinction animale massive est en cours, et qu’elle pourrait conduire à la disparition de notre propre espèce (http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/06/20/la-sixieme-extinction-animale-de-masse-est-en-cours_4658330_3244.html), mais qu’importe : on ne va tout de même pas “sauver les petites bêtes” et arrêter de klaxonner en fonçant dans le mur si, à court terme, ça doit sacrifier quelques emplois…
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Une seule demande de compensation écologique … le tout sans savoir qui va venir s’installer bien sûr, on sait très bien que toutes les industries polluent de la même manière 🙂
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