Le photographe Plossu marche à l'ombre

À la une
le 15 Oct 2012
1
Le photographe Plossu marche à l'ombre
Le photographe Plossu marche à l'ombre

Le photographe Plossu marche à l'ombre

En homme du sud, Bernard Plossu "marche à l'ombre, rarement du côté du soleil". Sur les 600 clichés inédits exposés conjointement à la Vieille Charité – sur Marseille – et au Musée Granet – sur la Sainte-Victoire -, tous sont en noir et blanc. Le photographe saisit les ombres, le flou des silhouettes et les contours de Marseille. Celle de toutes les saisons, entre 1991 à 2011.

Marseille, "la ville des éclats de lumière ", comme Bernard Plossu aime à le dire. Cette ville que le photographe affectionne, mais "pas plus que d'autres", où ce marcheur infatigable et sans frontières a usé son compagnon de 30 ans, le Nikkormat doté d'une focale de 50 mm. "C'est un objectif de maniaque, je ne recadre jamais". J'espère qu'il tiendra le coup s'inquiète-t-il soudain. "Je n'ai jamais utilisé le mythique Leica, beaucoup plus cher".

La rétrospective nous balade de la gare Saint-Charles à Callelongue, en passant par la Corniche et le Vieux-port ou encore la Cité radieuse de Le Corbusier. De manière originale et singulière, le photographe s'est souvent attardé sur les temps de brume, pourtant rares, et de gros temps, "des photos climatiques". Le noir et blanc confère une intemporalité aux clichés, exposés sans aucun sous-titre. "Les Marseillais reconnaîtront, les autres, ça leur est égal". Tout de même, il faut avoir l'oeil averti. Ici, par exemple, l'architecte Rudy Ricciotti apparaît au volant d'une voiture, à peine reconnaissable dans un rétroviseur. "Je l'ai suivi pendant un an. J'ai passé un an à mourir de peur, il conduit vite !."

Café parisien

Bernard Plossu a semble-t-il, figé son Marseille, celui d'hier et d'aujourd'hui. Simple impression à en croire la certitude de l'affable et souriant photographe, pris de tournis face à l'étendue de son oeuvre : "J'ai l'impression d'avoir traversé 20 ans. Où est passé le temps ?" Et d'ajouter :

La photographie ne capture pas le temps, elle l'évoque

En un quart de siècle, des lieux ont disparu, telle cette façade arborant une enseigne "souvenirs", ou encore des lieux fréquentés par toute la société marseillaise : "Quand je suis arrivé dans le sud après l'Andalousie, dans les années 80, j'allais au Café parisien. Quelque part, une partie de Marseille a disparu quand le café a été détruit". Les photos rendent hommage aux habitants, qu'ils soient connus ou non, comme Jean-Claude Izzo, ami du photographe, mais aussi aux passants, souvent méconnaissables, à contre-jour, floutés ou de dos, par respect de leur image.

A ceux qui façonnent humblement l'identité de "la ville blanche", sans pagnolisme exagéré. Là, un homme taille des arbres dans son jardin, ce qui fait écrire à Bernard Plossu : "A Marseille certes le soleil, les ombres, les rues années 50, les gens, mais une fois dans les hauteurs, une petite avenue et là pas loin d'un aqueduc, des jardins, dont celui avec ce monsieur tranquille en train de tailler ses arbres. En pleine ville ! Ha l'art de vivre ! essentiel, toujours ! Malgré les klaxons agressifs au loin, si loin même quand on est juste à s'occuper de ses arbres! Pourtant en fin du XXe siècle, hein ? ça s'appelle être civilisé. Et se foutre des modes et des ordinateurs !"

Certains événements traversent le temps, sans flétrir. Ainsi, Bernard Plossu avoue ne pas rater un seul 15 août à Marseille: "C'est la procession de la Vierge Marie. J'y vais pratiquement tous les ans, toutes les religions sont rassemblées". Parmi les 239 tirages exposés à la Vieille Charité, beaucoup sont des miniatures. Il faut s'approcher, réduire la distance avec la photo, s'immerger dans le cadre, imaginer la légère pression exercée par le photographe enclenchant l'appareil.

De droite à gauche

Se baladant sans cesse, le photographe prend des photos au gré de ses envies, de son inspiration, sans jamais chercher à embellir sa cible. Il n'y a pas de thèmes précis, sauf peut-être le quotidien d'une ville, ses humeurs, ses imperfections et les détails furtifs, saisis, volés. "Un photographe n'est pas quelqu'un qui va tout droit en ligne fixe, mais quelqu'un qui se balade de gauche à droite. Je prends des photos tout le temps, il n' y a pas de contexte précis. Il faut être attentif car parfois, la photo est derrière soi."

Si toutes les photos ne laissent pas pantois d'admiration, elles interpellent, chacune reliée à une histoire, une anecdote. C'est le cas de cette petite danseuse prise de loin, miniature fragile engloutie dans l'immensité de la scène et qui renvoie au sens même du travail de Bernard Plossu: "Le plus proche de la photo, c'est la danse. Un jour un américain m'a dit que je photographiais comme on danse. Mes photos sont corporelles, il y a du mouvement." Plus loin, un hommage aux frères Lumière, une série de clichés issus d'un film réalisé dans le train entre Lyon et la Ciotat. Discret clin d'oeil à la carrière de cinéaste frôlée par Bernard Plossu, lorsque, engagé dans la réalisation d'un documentaire au Mexique, sa caméra super 8 tombe à l'eau.

Né au Sud Vietnam, parti dans le Sahara avec son père, Bernard Plossu a appris la photographie seul, en autodidacte, en fréquentant la cinémathèque du Trocadéro. Il a parcouru le globe, vécu au Mexique, voyagé aux États-Unis, en Afrique, en Espagne, Turquie… Aujourd'hui l'artiste reste en Europe, poursuit ses marches en montagne, en Ardèche, en Aragon, dans le Jura, et bien sûr sur les flancs de la Sainte-Victoire, "la montagne blanche", celle qu'il célèbre sans fard. Il nous a donné carte blanche pour trois clichés sur Marseille, les autres ne sont pas commentés.

 

 

L'exposition Marseille, au tournant du siècle, 1991-2011 est à découvrir à la Vieille Charité jusqu'au 16 décembre. Le livre catalogue du même nom est en vente pour 30 €. Le musée Granet d'Aix-en-Provence présente la série baptisée La montagne blanche, jusqu'au 16 décembre également. A la gare Saint-Charles, salle Arthur Rimbaud, des tirages grands formats sont exposés, sur le thème du train et du voyage.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Babe Babe

    Intéressant !

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire