"Le phénomène des résidences fermées est plus important à Marseille qu'ailleurs"

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le 4 Avr 2013
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"Le phénomène des résidences fermées est plus important à Marseille qu'ailleurs"
"Le phénomène des résidences fermées est plus important à Marseille qu'ailleurs"

"Le phénomène des résidences fermées est plus important à Marseille qu'ailleurs"

Le maire de Marseille a coutume d'employer à l'envi la formule suivante : "Marseille est une et indivisible". Or, la réalité est tout autre. La ville est divisée notamment par des murs d'enceinte, des portails automatiques équipés de digicodes et parfois même de caméras. Le phénomène n'est pas nouveau ni même français. On trouve ce type de résidence fermée un peut partout dans le monde et, singulièrement, dans les pays en voie de développement. 

Professeur des universités et chercheur en géographie, Elisabeth Dorier a mené plusieurs études sur ce phénomène marseillais et les chiffres qui en sortent sont édifiants : 19% de l'ensemble des logements marseillais sont situés en résidence fermée. 18 quartiers sur 111 ne sont pas concernés. Marseille apparaît donc en pointe d'un phénomène mondial : "Il a d'abord été repéré et étudié dans les années 90 au sud des Etats-Unis, au Brésil et en Afrique du sud. Il a ensuite été repéré en Europe et notamment en France. Il a été assez peu étudié dans les villes françaises. Mais quand nous nous sommes penchés sur le phénomène à Marseille, nous avons inventorié ces résidences fermées et nous avons dénombré près d'un millier. Nous avons découpé la ville en carré et inventorié l'ensemble des résidences de manière systématique." Celles-ci peuvent être de toute taille même si la géographe s'est donné comme taille minimale un regroupement de cinq logements avec des parties communes non accessibles de l'extérieur.

Beaucoup de fermetures a posteriori

À Marseille, ces résidences relèvent d'histoires et de typologies assez diverses : certaines se sont créées autour du principe de fermeture tandis que d'autres se sont fermées peu à peu, au fil du temps. "Les deux tiers sont des fermetures a posteriori. Soit des petites voies qui étaient accessibles à tous, soit des résidences qui étaient ouvertes et qui se sont fermées principalement au début des années 2000".

De ce phénomène récent, il faut distinguer la fermeture des grandes propriétés bastidaires du sud de la ville closes plus tôt. On pense notamment au parc Talabot ou au Roucas Blanc, lotissements résidentiels formés autour des bastides historiques de Marseille. "C'est en lotissant ces propriétés que se sont créées ces résidences qui ont conservé le mur d'enceinte. Mais celles-ci n'étaient pas totalement fermées. On pouvait aller et venir en passant par la porte". Le parc Talabot se ferme dans les années 60 tandis que d'autres résidences des quartiers Sud attendront l'ouverture des plages Defferre et l'arrivée des baigneurs qui viennent chercher des places libres à l'intérieur des résidences. Elisabeth Dorier écarte toute caricature : "Au début, ça s'est fermé uniquement le dimanche. Il y avait ensuite des risques réels comme le risque incendie. En tout cas, on n'était pas au départ dans une crispation. Cela s'est fait très progressivement au fûr et à mesure qu'évoluait l'environnement".

La deuxième grande vague est plus récente et franchement paradoxale. Elle date de la fin des années 90 et des matches de la coupe du monde de football à Marseille. À l'époque, le slogan est "Marseille accueille le monde" et bon nombre de résidences se ferment autour du stade vélodrome. "Nous avons mené des entretiens qualitatifs dans ces résidences et ce qui revient, ce sont les incivilités, le stationnement sauvage et la proximité du stade. Il y a aussi l'effet raccourci pour toutes les voies perpendiculaires au boulevard Michelet".

La fer​meture des Castors

Mais si cette tendance concerne principalement le 8e et le 9e où cela peut atteindre jusqu'à 45 % de la surface, on trouve ces résidences un peu partout dans la ville. Au nord, par exemple, des résidences historiques datant de l'auto-construction des années 50 se sont peu à peu fermées. C'est le cas par exemple des Castors du Merlan. "Longtemps, ces résidences enserrées au milieu des cités ont vécu en bon voisinage avec leur environnement. Au fil du temps, il y a eu des crispations, des incivilités, un sentiment d'abandon, un manque de présence policière, et les Castors se sont fermés avec un laisser-faire de la ville et une reconnaissance a posteriori de cet état de fait".

Plus récemment, le phénomène s'est accentué avec les programmes de rénovation urbaine financés par l'Agence nationale de rénovation urbaine. Là encore, on retrouve ce phénomène de fermeture sur l'emprise des anciens immeubles "avec des petits ensembles d'habitat social résidentialisés et fermés" ou à leur immédiate périphérie, des projets de promotion immobilière clairement fermés. "Autour du Plan d'Aou, des opérations ont été faites sur des terrains de la ville dans le but de drainer des populations socialement plus aisées en modifiant la composition du quartier et en bénéficiant de la vue". Si ce phénomène existe dans d'autres grandes villes puisqu'il correspond à la philosophie de l'Anru, ce qui est particulier à Marseille "c'est l'outil de la fermeture au service de la mixité sociale, ce qui apparaît plutôt paradoxal".

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Commentaires

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  1. nanette nanette

    on dirait que vous n’êtes jamais allé à Paris!!! dans certains arrondissements et à Auteil, Neully, Passy, les rues, oui les rues publiques!, sont fermées par des portails, digicodes et Cie, et privatisées…pourtant, eux, ce n’est pas des bandes des quartiers nords qu’ils ont besoin de se protéger!

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  2. Philippe Philippe

    Effectivement je travaille dasn le 8ième et c’est un phénomène très insidieux : ce n’est marqué nulle part sur les plans de ville mais au fil de mes footings j’ai fini par découvrir que plusieurs rues aux alentours du PRado 2 et du Parc Borély étaient fermées avec accès sécurisé…
    Par contre ce qui serait vraiment intéressant pour compléter cet article c’est une carte, soit interactive (Google maps / OPS) soit au moins en format image, afin de visualiser l’étendue du truc.

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  3. fornairon fornairon

    Un problème connu, identifié en particulier par les élus et les différents SCOT, PLU, PDU…
    Sauf que quand il s’agit de mettre en oeuvre des solutions, les élus préfèrent se cacher derrière “les riverains” pour s’assoir sur l’intérêt général qu’ils sont pourtant censés défendre. Voir par exemple la position des élus Teissier, Royer-Pereaut, Masse… sur la fermeture du lotissement Barry dans le 9ème, alors que la fédération des CIQ du 9ème avait, elle, pris clairement position contre cette autorisation de fait. Problème du même genre avec Coin-Joli.
    Plus d’infos sur:http://marseillecolo.hautetfort.com/archive/2013/02/03/privatisation-de-l-espace-public%C2%A0-la-solution-marseillaise-a.html
    Plus d’infos sur mon blog

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  4. Jérémy G. Jérémy G.

    Bonjour,

    Merci de mettre en avant ce phénomène et l’important travail de recherche qui a été mené dessus. Par contre, vous faites une erreur en début d’article : ce ne sont pas 18 quartiers sur 111 qui sont concernés, mais 18 sur 111 qui NE sont PAS concernés ! (C’est ce qui est dit dans la vidéo)

    Pour répondre à Philippe, une cartographie existe : j’ai fait partie de l’équipe qui en a réalisé la première version, et Élisabeth Dorier précise d’ailleurs qu’elle est en cours de mise à jour. Des documents sont disponibles en ligne pour aller plus loin (il y a notamment plusieurs cartes) :

    – Le rapport de recherche final (janvier 2010) : http://goo.gl/duURE
    – La page du programme de recherche : http://goo.gl/HUpCq
    – Un article de juin 2012 paru dans la revue en ligne Articulo : http://articulo.revues.org/1973
    – Mon mémoire de master contient quelques cartes qui pourront vous intéresser : http://goo.gl/4zXym
    – Un article dans la revue culturelle marseillaise Esprit de Babel : http://goo.gl/zuvvY

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  5. MarieH MarieH

    Bien sûr, on peut comparer avec Paris où quasiment tous les passages, cours, et ruelles d’accès sont fermés par des grilles et des digicodes. Et en terme de privatisation de l’espace public, que dire de la Société Nautique Marseillaise qui, malgré la rénovation du Vieux Port n’a pas bougé d’un pouce ses barrières, ne laissant aux piétons qu’un petit mètre de passage au ras des voitures ? Merci à cette équipe de chercheurs de provoquer la réflexion sur l’appropriation de l’espace public…

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  6. Céhère Céhère

    Dans le 8-9ème la fermeture progressive, même aux piétons, de voies traversantes est une honte. Je suis persuadé que la mairie aurait les moyens légaux de s’y opposer, mais qu’attendre à ce niveau du passif Gaudin ou du droitier Teissier ?
    Il est certains qu’une fois toutes les rues fermées, la création du boulevard urbain sud devient “indispensable” au niveau circulation.

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  7. Djulim Djulim

    Le problème n’est pas de savoir si ce phénomène existe ailleurs ou pas(Paris ou autre)puisqu’on sait bien que c’est le cas, mais de déterminer quelle est son ampleur et son emprise sur le territoire urbain. Cela pose surtout les questions suivantes : Qui fait la ville ? Avec quelles représentations ? Pour qui ? Et quelles conséquences cela entraîne-t-il pour tout un chaque un ?

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  8. Bod66 Bod66

    Le phénomène est en total rapport avec l’insécurité vécue au quotidien et l’absence de policiers.
    Je pense que cela ne fait que commencer et qu’il se créera à terme des lotissements ultra sécurisés comme au Brésil.
    On paye le soleil trop cher à Marseille.

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  9. benoit campion benoit campion

    Marseille, capitale européenne de la culture de l’enfermement ?

    Témoignage :
    C’est un agréable quartier du sud Marseillais, situé à quelques pas du stade Vélodrome, au nom charmant : Coin Joli. Quelques petits immeubles, des villas surtout, quelques hangars et magasins et même un supermarché bio. Le quartier est entouré de boulevards saturés par la circulation automobile (Aubert, Ganay, Michelet…). Aussi, les habitants apprécient d’en traverser à pied les rues calmes : cette vieille dame pour se rendre chez son médecin, ce monsieur pour se promener, ces parents pour aller faire leurs courses, ce jeune garçon pour faire du vélo, cette jeune fille pour rentrer chez elle… les habitants des quartiers voisins, Sévigné, La Cravache, Square Ganay, profitaient du calme et de la sécurité des rues du quartier Coin Joli pour emmener les enfants à l’école publique du même nom, située au cœur même du quartier.
    Il faut dire « profitaient », car depuis le début d’année 2013, l’association des résidents du quartier a fermé une partie des rues, soit en les coupant en deux par des grilles infranchissables, soit en fermant les entrées par de grands portails, accessibles pour les seuls résidents munis de télécommande. L’entrée de l’école, est désormais inaccessible en voiture pour les parents accompagnant leur enfant et surtout pour ceux dont les enfants sont porteurs d’handicap. Tout le monde est astreint à faire tout le tour du quartier par les boulevards, en voiture, ou à pied sur des trottoirs étroits, inconfortables, dangereux et non conformes…
    La fermeture des rues, privées certes, du quartier Coin Joli a été réalisée par l’association des résidents, en toute illégalité, sans permis. La Mairie de Marseille a annoncé avoir porté l’affaire devant le procureur, mais vérification faite, elle ne l’a fait que partiellement. Soucieuse, sans aucun doute, de ménager son électorat. En vérité, la mairie attend la décision d’une justice bien lente… En attendant, l’espace ouvert au public se réduit, certaines rues ressemblent à des prisons, le quartier s’enferme, et cela risque de s’aggraver.
    L’enclavement du quartier Coin Joli pourrait n’être qu’un fait urbain parmi d’autres. Mais le phénomène de fermeture des rues et quartiers privés au sud de Marseille ne cesse de s’accentuer au fil des ans, souvent avec l’aval de la municipalité. Le sentiment d’insécurité (les problèmes d’insécurité sont pourtant assez faibles dans ces quartiers) incite les habitants aux pires réflexes. Alors que les rues fermées, sans passants, sont des rues mortes bien plus propices aux dégradations et cambriolages que les rues vivantes et circulées. Et quand les habitants trouveront que les grilles ne suffisent pas, qu’ajouteront-ils ? Des caméras ? Puis des murs avec des barbelés ? Puis des gardiens avec des chiens ? Puis des milices ? Puis des miradors ?…
    Est-ce cela l’espace urbain que nous voulons offrir à nos enfants ? Un espace où le « vivre ensemble » rime avec enfermement ? Où l’espace public disparaît ?

    Benoit Campion
    Urbaniste, Président de l’association des parents d’élèves de l’école Coin Joli

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  10. Anonyme Anonyme

    La Provence publie ce soir votre article fort similaire au votre …

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  11. Anonyme Anonyme

    Il faut faire la différence entre le cas Coin Joli qui est fermé aux véhicules et aux piétons de celui de Barry qui n’est fermé qu’aux véhicules.

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  12. Anonyme Anonyme

    Est-ce normal et légal d’avoir des barbelés qui dépassent sur le GR 2013 avenue de la Garde-Freinet (8°) ? Si un passant se blesse qui est responsable ?
    C’est peut être une “Z.M.S.” (zone militaire sensible) ?

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