Le parquet charge “le plan machiavélique” des dentistes Guedj

Reportage
le 5 Avr 2022
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Les procureurs ont réclamé 10 ans de prison ferme contre Lionel Guedj et 5 ans assortis d’un an de sursis pour son père, Carnot. Les réquisitions ont dressé le tableau de la "noirceur" des prévenus, engagés dans une véritable "politique industrielle" de la pose de prothèses dentaires sur des dents saines.

Lionel et Carnot Guedj arrivant au tribunal. (Photo : C.By)
Lionel et Carnot Guedj arrivant au tribunal. (Photo : C.By)

Lionel et Carnot Guedj arrivant au tribunal. (Photo : C.By)

Dix ans d’emprisonnement pour Lionel Guedj, cinq ans dont un avec sursis pour son père Carnot, dit Jean-Claude Guedj, avec mandat de dépôt – soit une incarcération immédiate dès le prononcé de la peine – pour tous les deux. Au pupitre, la procureure Marion Chabot vient de feindre de s’interroger : “Quelles circonstances la société est-elle prête à tolérer pour adoucir la peine légalement encourue ? Aucune.” Les peines réclamées par le ministère public sont lourdes, le maximum de ce que les deux hommes risquent. Les demandes sont, en outre, assorties d’amendes : 375 000€ et la saisie de l’immeuble constituant sa résidence principale pour Lionel Guedj ; 150 000€ pour son père. Enfin, le parquet réclame que les deux prévenus se voient interdire toute pratique de la profession de dentiste à vie, bien qu’ils soient déjà radiés de l’ordre.

Lionel et Carnot Guedj comparaissent devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille depuis le 28 février dernier. Ils sont poursuivis pour violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, escroquerie, faux et usage de faux. Dans leur cabinet de Saint-Antoine, dans le 15e arrondissement, ils dévitalisaient et taillaient des dents saines, souvent sans aucune nécessité médicale et parfois en nombre très important pour chaque patient, afin de les remplacer par des prothèses – couronnes ou bridges. L’occasion ensuite pour les accusés d’empocher les remboursements indus de l’Assurance maladie et des mutuelles.

“Viol”

“J’aurai des mots durs”, prévient le procureur Michel Sastre, debout, cheveux ébouriffés, lorsqu’il s’apprête à dérouler la démonstration qui va soutenir ces réquisitions. Il va s’employer à peindre “la noirceur” des prévenus. Il ose les mots “viol” et “bourreau”. Comme Marion Chabot, il joue une petite musique laissant entendre que ce dossier-là aurait presque pu trouver sa place devant une cour d’assises. Sur leur petit banc, assis côte à côte, le fils de 41 ans et son père de 70 ans, ne relèvent que brièvement la tête à mesure que les deux procureurs développent leur argumentaire.

Les représentants du ministère public consacrent plus de deux heures à détricoter la mécanique de ce qu’ils appellent “le système Guedj” ou encore “la machine à broyer Guedj”. Ils égrainent les chiffres hors normes de ce dossier qui ne l’est pas moins : 3900 dents saines mutilées, 28 fois plus de couronnes que la moyenne, jusqu’à 70 patients par jour, des recettes multipliées par 14 par rapport aux autres praticiens… “Ce plan machiavélique en marge de toute morale”, Marion Chabot le qualifie de “politique industrielle Guedj”. Méthodique, cynique, perfide, martèle-t-elle. Soit la “systémisation du mal fait ou du fait mal, comme vous voudrez”.

Les dentistes, résument le parquet, “n’avaient pas de limite”. Tout était bon pour poser des prothèses à la chaîne, à commencer par “l’anesthésie de la conscience du patient” : “[Lionel Guedj] leur vend du rêve : les dents blanches, le sourire de star, fais-moi confiance…”  Mais cette séduction a pour but la manipulation de la patientèle.

 “On est bien en présence de travaux prothétiques avec des mutilations de masse à des fins esthétiques c’est-à-dire non-médicalement justifiées.”

La procureure Marion chabot

La procureure Chabot touche alors au nerf de ce dossier. Lionel Guedj s’employait-il consciemment à dévitaliser des dents saines et donc à mutiler ses patients ? Ou bien, comme va le faire valoir la défense lors de ses plaidoiries aujourd’hui, ces dévitalisations sont-elles le fait d’erreurs médicales ? Marion Chabot démontre que l’atteinte à l’intégrité physique ne fait aucun doute puisque par définition une dévitalisation dentaire est une mutilation. Mais la question est de savoir si ces mutilations étaient justifiées médicalement. Nullement, répond la représentante du ministère public : “On est bien en présence de travaux prothétiques avec des mutilations de masse à des fins esthétiques, c’est-à-dire non médicalement justifiées.”

Intention coupable

Il n’est pas question d’erreur médicale à ses yeux. “Dans l’erreur médicale, l’auteur ne veut pas le résultat. Mais ici, il veut le résultat ! (…) Chez Lionel Guedj c’est une intention coupable”, cingle-t-elle. Le raisonnement est sans appel. 3900 dents saines mutilées ? “Ce n’est pas une pas une goutte d’eau c’est un tsunami. La répétition exclut toute forme d’erreur. La répétition est preuve de l’intention”, cadre la procureure pour qui les violences volontaires ne se discutent pas ici.

“Comment est-il concevable de vouloir s’enrichir en mutilant des patients ?”

Le procureur Michel Sastre

Tout ça, pourquoi ?, interrogent les procureurs. Pour l’argent. “L’acte mutilatoire n’est qu’un moyen au profit de l’escroquerie”, synthétise Marion Chabot quand Michel Sastre détaille un plan dans le seul but de nourrir une “cupidité insatiable”. Il questionne : “Comment est-il concevable de vouloir s’enrichir en mutilant des patients ?” L’appât du gain est plus fort que Lionel Guedj, répond-il. Il fait du père et du fils deux hommes qui cherchaient à “camoufler leur forfait sous des dents blanches.” Le procureur fustige leur stratégie de “minimiser l’ampleur du désastre”. Ce système, dit-il, est aussi celui “de la certitude d’impunité” qui autorise à “faire des faux” et qui permet de croire que “les patients seraient aveuglés par la blancheur de leurs dents.”

Binôme

Si l’argent est “le carburant de Lionel Guedj”, les deux procureurs sont loin de limiter leurs coups au seul fils. Au contraire, les représentants du parquet démontent aussi la défense du père, Carnot. À la barre, il s’est souvent avancé comme celui qui ignorait ce qui se passait dans le cabinet. “Il était là, mais il n’a rien vu, rien entendu !”, moque le procureur Michel Sastre. Or, assure le parquet, “sans le père le plan du fils n’aurait jamais marché.” Marion Chabot enfonce le clou. Se tournant vers le tribunal, elle intime : “Vous ne devez pas avoir une lecture individuelle de ses actes mais vous devez les intégrer au binôme ! (…) C’est une co-action, une responsabilité pénale partagée”. La procureure pilonne : tout cela lui fait penser à une infraction “d’association de malfaiteurs” dans ce qu’elle voit comme “ni plus ni moins, un projet criminel.” Dans son pull sombre passé sur une chemise bleu ciel, Carnot Guedj n’a jamais paru aussi tassé sur son banc.

Au fond de la salle, une centaine de personnes – sur les quelque 325 plaignants engagés dans la procédure – suit les débats depuis les rangs des parties civiles. Elles ont reçu avec des murmures d’approbation les mots que Michel Sastre a, en préambule, eu pour elles. “À l’arrogance, la lâcheté des prévenus” qui six semaines durant ont cherché à “minimiser leurs responsabilités ou tenté d’y échapper”, le procureur oppose la dignité des victimes présentes, et de celles qui ne se sont pas manifestées : “Elles ont donné des leçons de résilience”. Ces parties civiles se sont parfois montrées indisciplinées, bruyantes, investies dans les débats par des applaudissements ou des grincements de dents. Au moment de l’énoncé des peines requises, un grand silence a soudain envahi la salle.

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Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Comme dit la publicité de la casquette du type sur la photo : “la casquette LXH séduit les passionnés, les courageux, les ambitieux, les battants, les pionniers, les esprits libres…”
    Les Guedj apparemment avaient anticipé sur ce slogan d’un assureur : “Rien ne devrait arrêter un entrepreneur”, ou cet autre, d’une banque publique, apparu au début du quinquennat Macron “Entrepreneurs, c’est le moment de dépasser les bornes”. De vaillants précurseurs !

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  2. leb leb

    “…ou des grincements de dents.” Bon, l’expression n’est peut-être pas la mieux choisie pour évoquer la colère des plaignants.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Je ne connais pas le code pénal, mais je ne comprends pas qu’ils ne soient pas en prison en attendant le jugement (préventive) et que leurs biens n’aient pas été saisis, les faits et leur responsabilité etant établis.

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  4. Alceste. Alceste.

    Que dit l’Ordre des chirurgiens dentistes ? Radiés ?

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    • LN LN

      Brallaisse… Fin du premier paragraphe;)

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  5. Alceste. Alceste.

    En plus du sonotone,faut que je mette les nunettes aussi

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