Le naufrage de la réquisition citoyenne à Marseille

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le 6 Fév 2013
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Le naufrage de la réquisition citoyenne à Marseille
Le naufrage de la réquisition citoyenne à Marseille

Le naufrage de la réquisition citoyenne à Marseille

Comme d'habitude, la grille à l'entrée de l'ancienne caserne Cardot est entrouverte. Quelques personnes entrent et sortent. Malgré le vent, les enfants jouent et courent au pied de l'immeuble. Une bonne partie des habitants est absente. "Ils sont partis travailler", explique-t-on. La vie semble toujours filer son cours. Pourtant, quelque chose a changé. Autour de l'immeuble, la cour est encombrée de ferraille et de détritus. Les deux conteneurs installés à l'entrée sont plein à craquer.

Dans les appartements, les familles se chauffent avec les feux de cuisson des gazinières, à défaut de chauffage décent. "Je suis passé la semaine dernière avec les services de la préfecture et EDF pour raccorder l'immeuble à l'électricité ou fournir des blocs électrogènes plus importants. Ils m'avaient dit que ce serait rapide mais finalement, je viens d'apprendre que l'installation pourrait prendre jusqu'à 30 semaines !", s'indigne Anne Issler, directrice d'Emmaüs Saint-Marcel. Du coup, quelques habitants sont arrivés à se procurer des groupes électrogènes qu'ils entreposent sur leur balcon… Niveau sécurité, c'est très limite.

Et régulièrement, de nouveaux habitants prennent place sur le site. Aujourd'hui, près de 180 personnes vivent là, contre moins d'une centaine aux premiers jours de l'opération. Car depuis l'ouverture du lieu, l'information a circulé. Des cars font le lien entre la Roumanie et Marseille tous les week-ends. Roméo, comme d'autres, a réussi à faire venir sa fille de deux ans et le reste de sa famille proche dans le petit appartement qu'il occupe au troisième étage…

Blo​cages

Aujourd'hui, la situation semble difficile à gérer pour les associations d'une part, mais surtout pour les bénévoles "citoyens", comme Mathieu ou Xavier, présents quasiment tous les jours sur le terrain, mais sans vraiment de moyens, surtout matériels. Demain soir, une réunion est prévue entre la directrice départementale de la cohésion sociale, Dominique Conca, et plusieurs associations (Emmaüs, Ampil, ADDAP, Rencontres Tsiganes et Médecins du monde) pour clarifier la situation. Il s'agit notamment de désigner une seule association gestionnaire du lieu. La préfecture fait de cette désignation d'un interlocuteur unique le préalable à une première étape de normalisation de l'accueil des familles.

Dans un premier temps, il s'agit de pouvoir réaliser des petits travaux de mise aux normes et entamer un vrai travail social en direction des habitants. Et c'est ici que les choses se compliquent. Les associations refusent de s'engager. "Personne ne veut y aller, explique Anne Issler. Le groupe est beaucoup trop important. 180 personnes, ce n'est pas gérable pour une seule association. Pour Emmaüs, ça veut dire que je dois placer au moins deux personnes à temps plein sur le site : je n'ai pas les moyens humains de le faire…" Parmi les associations à l'origine de la réquisition, aucune ne veut assumer seule la responsabilité.

Un site promis à un projet immobilier

Pourtant, à l'époque, l'opération avait été menée à grand renforts médiatiques. Une centaine de personnes avait participé à la réquisition. Il s'agissait alors pour les associations de porter un coup de projecteur sur la situation des Roms alors que des annonces de réquisitions avait été faites par la ministre du logement Cécile Duflot. La caserne Cardot faisait d'ailleurs partie de la liste des terrains "libres" établie par cette dernière. Mais déjà, à l'époque, Marsactu avait souligné que le site faisait déjà l'objet qu'un programme de construction de logements mixtes porté par Nexity.

Outre la question de la responsabilité unique, celle de la pérennité est au coeur du débat qui agite aujourd'hui les associations. De fait, il n'y a aucun avenir pour ces familles sur ce site. Depuis le 21 décembre, la Ville de Marseille est officiellement propriétaire du terrain. "Le 30 septembre, France Domaine (le propriétaire, ndlr) doit lâcher le lieu", explique Anne Issler. Un délai suffisant pour abriter les familles durant l'hiver, mais qui ne permet pas d'envisager une solution sur le long terme.

"Au niveau de la préfecture, on nous a assuré qu'il n'y aurait pas de recours à la force publique pour expulser les familles avant cet été", ajoute Jean-Paul Kopp, président de Rencontres tsiganes. "Mais qu'est-ce qu'on fait après ? On ne va pas commencer un travail social auprès des Roms sans savoir ce qu'ils vont devenir".

"Matière humaine"

D'un autre côté, Anne Issler affirme : "Nous n'avions pas vocation à rester ici. Au premier jour, il y avait bien la volonté de désigner une association gestionnaire mais on n'a pas réussi à se mettre d'accord". Pourtant la réquisition a bien eu lieu. Et les associations ont laissé la gestion quotidienne entre les mains de bénévoles sans moyens. Aujourd'hui, la situation ne cesse de se dégrader. "La mairie n'a toujours pas mis de toilettespointe la directrice d'Emmaüs Saint Marcel. Des cas d'hépatite A ont été déclarées. Les collectivités ne jouent pas le jeu et le préfecture ne nous fait aucune proposition".

C'est donc sceptique que le collectif attend la réunion de demain soir. Pour Jean-Paul Kopp et Anne Issler, il faudrait diviser le groupe en trois pour les reloger en plus petit nombre sur des terrains que l'Etat ou d'autres collectivités mettraient à leur disposition. "Il faudrait qu'on puisse composer des groupes plus naturels que celui qui existe actuellement à Plombières. Mais on n'a aucune assurance que la préfecture trouvera des terrains". L'expression cache mal l'embarras des associations. Elles n'ont pas su gérer l'effet d'appel d'air tout aussi naturel que la réquisition du lieu a suscité.

Pour Kader Atia, le directeur de l'Ampil (Action méditerranéenne pour l'insertion sociale par le logement), il ne peut être question de diviser le groupe. "Ce serait très néfaste. On n'a pas affaire à de la matière humaine mais bel et bien à des personnes. On ne peut pas séparer les gens comme ça. L'affaire est beaucoup plus grosse que ce que l'on croit". Réaction directe aux expulsions à répétition, la réquisition citoyenne trouve aujourd'hui ses limites. Jean-Paul Kopp le reconnaît : "On est en train de montrer qu'on n'est pas capables de gérer ce genre de situation". 

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Commentaires

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  1. Pascalou Pascalou

    n’importe quoi cette gestion à la française de la question ROM, du travail de….

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  2. ALAIN PERSIA ALAIN PERSIA

    Tous ces ROMSsont n’ont pas à être prioritaires par rapport aux milliers de marseillais qui vivent dans des appartements insalubres , exigus ou qui n’ont pas de logements sociaux malgré des démarches faitesc depuis plusieurs années.
    C’est un fait avéré que Marseille ne peut pas loger tous ces gens qui arrivent en masse.

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  3. Anonyme Anonyme

    Pouvez vous préciser l´information? Vous dites que : ¨Depuis le 21 décembre, la Ville de Marseille est officiellement propriétaire du terrain. “Le 30 septembre, France Domaine (le propriétaire, ndlr) doit lâcher le lieu”, explique Anne Issler. ¨ C´est un peu confus…

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  4. David David

    VOUS ETES UN PEU SÉVÈRES avec vos conclusions. Ce n´est pas ¨la requisiton citoyènne à Marseille qui naufrage¨. C´est une première expérience qui à montré qu´il reste beaucoup a apprendre des italiens et espagnols, par exemple, en ce qui concerne les processus de réquisition-amélioration par les habitants et accompagnés par des associations spécialisées dans l´auto-réhabilitation, l´accompagnement social, etc. Or, si cela a pu fonctionner pas mal, notamment dans la région Lazio et à Rome, c´est que les régions et municipalités ont joué le jeu en créant un cadre juridique favorable et suivit du soutiens nécessaire. Pour rappel, en échange de la légalisation de la réquisition, les pouvoirs italiens ont exigé aux habitants ¨sans droit ni titre¨ de se constituer en coopératives d´habitat, et de se faire assister par des associations spécialisées et agrées par leurs compétences pour auto-réhabiliter.
    À VOIR : La bocca della verità (sous-titres en français) : http://www.youtube.com/watch?v=mO97Ge2GYEY

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  5. Prometheus Prometheus

    Aaaaah ! les associations loi 1901. Accrocs aux subventions publiques. c’est la preuve qu’elles sont tout de même très dépendante de la volonté institutionnelle. Tous les chemins mènent aux Roms ?, pas si sur que ça. Au moins pour les associations. Pour les politiques enfin un groupe humains sur lequel tout le monde s’entend même nos politiques les plus gauchisant. La question des Roms n’est pas à traiter d’un point de vue humanitaire mais démographique. La question à poser au regard des trajectoires migratoires de ces personnes est de savoir si nous acceptons une migration relativement massive en provenance de Roumanie. Aucune politique sociale ou autre ne peut être mise en place tant que la réponse à cette question n’est pas clairement assumée par le peuple français de gauche comme de droite. Les principes d’humanités eux-même trouvent là leurs limites. Il n’y a qu’à voir les associations sensées les porter se désavouer devant la non coopération des pouvoirs publiques. La question des Roms n’est finalement pas si mal gérée par la mairie actuelle. Elle dit clairement qu’elle ne veut pas de cette immigration massive et a d’ailleurs réussie à infléchir ce mouvement en faisant comprendre aux Roms eux-mêmes que l’appel d’air à Marseille n’est pas possible. Reste à ce que l’Europe fasse enfin son job vis à vis de ces citoyens européens (ne l’oublions pas). Beaucoup pensaient que l’arrivée au pouvoir du PS de M. Hollande changerait la donne. Que nenni ! On passe seulement d’une position de droite assumée à une position de gauche hypocrite. “Personne ne veut des Roms et pi c’est tout”. Soulignons que le seul mérite de la droite dans ce dossier est d’être lisible, même si elle instrumente la question. Le FN va jusqu’à éprouver de la pitié pour ces gens, allons donc! Alors devant la question des Roms ? : Charité, prise en charge ou prise en compte ? Non rien de tout ça, personne ne veut des roms mêmes pas les roumains. Que l’Europe fasse enfin son job avec ce petit bout d’humanité, cette petite partie de citoyens européens. Et que cesse enfin l’hypocrisie.

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  6. Anonyme Anonyme

    Monsieur Koop, qu’il y a t-il de citoyen dans votre démarche.
    Vous avouez vous même que vous n’êtes plus capable de gerer ce genre de situation.
    Que pensiez vous, qu’avec votre démarche irresponsable, vous alliez devoir vous occuper de quelques Roms, juste assez pour pouvoir vous faire une bonne publicité, pour que l’on dise de vous, à ce Koop, quel brave type, quel humanisme,il y en a plus des comme ça.
    Non monsieur Koop, vous êtes dans l’erreur totale, vous êtes dans le déni de vos propres concitoyens, qui vous permettent par leur travail leur civisme d’être ce que vous êtes.
    Il serait temps que vous vous en aperceviez.
    Avant que la situation ne dégenère complètement, puisque les cars n’arrêtent pas leurs navettes de la Roumanie à la France

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  7. Gilhain Gilhain

    A vouloir importer et entretenir toute la misère du monde, pourquoi tous ces bénévoles pseudo-humanistes ne donnent-ils pas leurs propres logements?
    Moins facile que d’en appeler une énième fois aux contribuables déjà saignés à blanc ceci dit, mais tellement plus honnête!

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  8. Anonyme Anonyme

    A Marseille et en France on a les moyens de loger et nourrir tout le monde, mais on préfère jeter ou garder un bien vide. Chacun sa philosophie.

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  9. Ravacholle Ravacholle

    Une association gestionnaire du lieu ?? Mais pourquoi ?? Les habitants ne devraient-ils pas être eux-mêmes gestionnaires de leur lieu d’habitation et les associations là pour aider aux besoins matériels ?
    Par ailleurs je ne vois pas pourquoi le fait que le mairie devienne propriétaire remet automatiquement en cause la réquisition. Une réquisition c’est un rapport de force, et une remise en cause du droit propriété non ?

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  10. Anonyme Anonyme

    j’abonde dans le sens de M. PERSIA

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