Marché aux puces : radiographie d’une puissance économique informelle
Le marché aux puces, c'est quoi, c'est qui ? Alors que la mutation de cet important espace commercial est en cours de négociation, sous l'impulsion d'Euroméditerranée, aucun acteur n'avance de plan ou comptage précis. Après plusieurs semaines d'enquête, Marsactu vous dessine le marché aux puces, avec des chiffres inédits.
Le marché aux puces
Situé dans le 15e arrondissement de Marseille, près de l’A55 et du bassin d’Arenc, le marché aux puces reste un mystère. Impossible de trouver des chiffres précis autour de ce lieu hétéroclite, véritable moteur commercial au Nord de Marseille. Ne serait-ce que pour le nombre de commerçants sédentaires, ceux qui tiennent un commerce au sein des trois halles. L’établissement public Euroméditerranée dit ignorer combien ils sont, et affirme même n’avoir “aucune étude sur le marché“. Son dossier de présentation de la zone d’aménagement concertée (ZAC) Littorale se risquait toutefois à une estimation : “Le Marché aux Puces participe à la vie d’environ 1 000 familles, dont 650 personnes employées sur le marché toute la semaine”. André Coudert, le propriétaire du marché, estime lui le nombre de commerçants à 300, sans compter leurs employés.
Impossible non plus de trouver un plan précis du marché, de la répartition des box dans l’espace, ou de leurs propriétaires respectifs. Le site officiel du marché aux puces ne propose qu’un plan succinct, permettant de situer les trois halles mais pas la variété des commerces qui s’y trouvent.
Marsactu dresse aujourd’hui le portrait inédit de ce marché aux puces. Après plusieurs jours de travail sur le terrain, nous avons essayé de vous décrire ce lieu hors du commun, avec des données chiffrées et imagées.
Faute de pouvoir aborder le sujet avec Euroméditerranée, qui se refuse à tout commentaire, nous avons répertorié un à un les commerçants, en fonction de leur domaine d’activité. Tapis, viande, pâtisseries, peinture, portable, légumes, téléviseur… on y trouve de tout et à bas prix. Mais le chiffre le plus haut est celui des rideaux baissés, sans que les commerçants puissent situer le début de ce déclin.
Selon notre comptage, une centaine de commerçants y travaillent chaque jour, et ils sont plus de 300 à y installer leur stand le dimanche, sur les terres-pleins qui entourent les halles. Et ce, malgré le manque de clients. “Y a personne.” C’est l’incessante rengaine qui circule entre les étals. “Y a personne.”
Une soixantaine de commerces fermés
“Les allées sont désertes, déplore un épicier. Même le week-end. Avant on devait jouer des coudes. Maintenant, les clients ne viennent plus.” À quelques box de là, un boucher qui travaille sur le marché depuis 20 ans, fait le même constat. “Notre chiffre d’affaires a baissé de 40 % en quelques années. On a dû se séparer de cinq employés.” L’épicier lui aussi a dû licencier ses employés. “Avant ici on était trois. Maintenant je n’ai plus les moyens de les payer, pas même quelques jours de temps en temps pour dépanner.” Certains ont mis la clé sous la porte. D’autres n’ont pas les moyens de réparer le store en fer qui ferme l’accès à leur petit local. Un vendeur de téléviseurs aux cheveux blancs a installé son matériel juste devant son rideau de fer. “Il y en a des gens qui ont fermé… Le loyer est trop cher. Il n’a pas augmenté, mais le chiffre d’affaires baisse, alors c’est plus possible.” En tout, 69 stands sont désormais clos, selon nos calculs.
Dans la halle des antiquaires, les stores baissés sont même plus nombreux que les commerces encore opérationnels : pour 33 box, 12 seulement sont encore exploités. C’est dans la halle aux meubles, de l’autre côté, à proximité de la boucherie Slimani, qu’ils sont les plus nombreux : 23 box fermés, pour 27 commerçants actifs. “Il y a des jours où je ne me fais même pas 20 euros”, se désole un vendeur de fournitures électroniques.
Avec trois enfants à charge et son épouse au RSA, payer le loyer s’avère de plus en plus difficile. “Je pense que d’ici deux semaines, je serai parti.” Un de ses collègues hoche la tête, en faisant dorer des poivrons sur un barbecue électrique. “La moitié des gens qui viennent ici sont des amis qui viennent partager un moment, pour discuter, pour oublier l’ennui. Personne n’achète plus rien, à part du gros électroménager, parce qu’il faut bien avoir un frigo pour la famille.”
L’insécurité ferait fuir les clients
Pour beaucoup d’entre eux, la crise n’est pas la seule explication. Sur le parking autour des halles, une vingtaine de jeunes hommes vendent des cigarettes, “sous le manteau”. Les rixes entre eux seraient fréquentes. Il y a un an, un jeune vendeur de 29 ans avait été blessé à coup de couteau. Pour Bemsaci Hadj, restaurateur, un des rares à accepter de témoigner nommément, cette violence n’est pas si courante. “Les vendeurs ne sont pas agressifs, c’est faux. La contrebande ça a toujours existé et ça existera toujours. Et puis moi je vais vous dire, ils rendent bien service aux gens, à 8,80 euros le paquet dans les tabacs-presse… Je préfère avoir deux cents vendeurs de cigarettes que des voleurs de partout.”
Le propriétaire des lieux, André Coudert, est lui résigné. “Ils sont arrivés de Noailles il y a quelques années, raconte-t-il. Ils sont en dehors de mon terrain, je n’ai pas à intervenir, seule la police le peut.” Il insiste néanmoins : ces vendeurs ne sont pas agressifs vis-à-vis des clients ou même des autres commerçants. “Ils sont emmerdants, parce qu’ils harcèlent les clients, mais ils ne sont violents qu’entre eux. Et il faut dire que la police vient très souvent ces derniers mois, leur nombre a diminué de moitié !”
Là encore, Marsactu a compté un à un les forains, vendeurs à la sauvette et vendeurs de cigarettes. Ce n’est là qu’une photographie d’une période et de plusieurs jours d’enquête. Météo, disponibilité, stock… ces nombres peuvent varier d’un jour à l’autre, mais donnent néanmoins un ordre de grandeur des acteurs économiques sur le marché, où les commerçants sédentaires ne représentent au plus gros de l’activité que moins d’un quart des stands :
Les “forains”, qui investissent le parking du marché le dimanche, pointent du doigt d’autres vendeurs à la sauvette. “C’est eux qui sont violents. Pas les vendeurs de cigarettes”, témoigne un de leurs représentants. Installés sur une centaine de mètres, en plein dans l’accès pompiers, qui doit normalement être totalement accessible, ces vendeurs ne sont pas déclarés et ne versent aucun loyer à André Coudert. Là encore, le propriétaire assure qu’aucun fait de violence ne lui a été rapporté. “Ils ne sont pas violents avec les gens. Ils sont dans une situation totalement irrégulière, mais je ne peux rien y faire.” Il reconnaît néanmoins que trois entreprises de sécurité privées ont refusé de venir travailler sur le marché le dimanche, sans confirmer que cela est dû à la violence ambiante.
Les commerçants, eux ne sont pas de cet avis. “Ils sont très violents, affirme le boucher. Avant ma femme venait ici le samedi et le dimanche. On mangeait ensemble avec les enfants. Maintenant c’est devenu trop dangereux.” “Depuis 3-4 ans, ils ont amélioré la sécurité sur Noailles, Jules Guesdes… mais les problèmes se sont déplacés vers le marché au puces, et le service de sécurité s’est retrouvé débordé”, renchérit son collègue.
“Tous les dimanches, certains forains viennent travailler armés. Ces vendeurs illégaux nous crachent dessus devant nos femmes, ils nous menacent avec des gros couteaux”, raconte le représentant des forains. Les caméras disposées un peu partout dans le marché ne semblent pas réfréner ces menaces. Aucun des vendeurs approchés, qui ne disposent évidemment pas de représentant identifié, n’a souhaité apparaître dans cet article.
“Ces jours-ci, 2 euros c’est 2 euros”
En fin de semaine, dès 7 heures du matin, le marché est méconnaissable. Sur le parking, impossible de distinguer les places de stationnement. Le bitume est envahi de tables et parasols. On ne distingue presque plus les fresques, peintes par des graffeurs quatre ans auparavant. Tous les dimanches, ils sont plus de 300 forains à venir vendre des produits de beauté, des vêtements, des tissus et autres produits manufacturés.
Des produits que l’on trouve aussi le reste de la semaine, au sein du marché aux puces, dans un des quatorze bazars ou six magasins de vêtements… mais sur le parking, les prix sont moins élevés. “Les clients, il faut les comprendre. Ils viennent ici pourquoi ? Parce que c’est pas cher. Mais s’ils trouvent une valise à 23 euros dehors au lieu de 25 chez moi, ben ils vont la prendre dehors, confirme le gérant d’un bazar. Ces jours-ci, 2 euros c’est 2 euros.
Les clients comme les commerçants s’inquiètent du devenir du marché au puces. Certains craignent que le projet d’Euroméditerranée ne change radicalement le paysage économique du quartier. Au risque de voir un commerce illicite se développer, ailleurs. “Si les prix augmentent, on ira ailleurs, pas forcément là où il faudrait. Il faut bien nourrir nos enfants, les habiller. On n’a pas le choix.”
Commentaires
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Bravo pour l’article qui s’appuie sur des chiffres objectifs. Beau travail de terrain. Belle infographie très claire. Du Marsactu comme on l’aime.
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Bravo pour l’enquête précise et pour le travail de restitution. Je n’aurais jamais pensé que la majorité des stands étaient en réalité fermés.
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Encore merci à Marsactu : il fallait du courage pour aller investiguer dans ce lieu de non droit où même pas la police n’ose s’aventurer !
Les commerçants s’étonnent de la baisse de fréquentation tout en justifiant les trafics illicites ? et il n’y a pas que les cigarettes .!!
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Très bel article, beau travail.
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merci et bravo pour l’article ! c’est ça qu’on veut 😉
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