Le marchand de sommeil pour touristes est aussi accusé de tordre le droit du travail
Placé en détention provisoire pour avoir mis en location des appartements en péril à des touristes, le directeur général de la société de location saisonnière Idapart louait également un taudis à une des multiples personnes chargées d'assurer le ménage et le rendu des clés. Elle attaque aux prud'hommes pour obtenir la reconnaissance d'un contrat de travail.
Capture d'écran des appartements proposés sur le site Idapart.
L'enjeu
Pour assurer la logistique de ses locations saisonnières, David B. se serait appuyé sur des employés non déclarés. L'une d'entre eux veut faire reconnaître en justice un "travail dissimulé".
Le contexte
David B. a été placé en détention provisoire et mis en examen pour "mise en danger de la vie d'autrui" pour avoir loué un appartement en péril sur un site de location saisonnière.
À 36 ans, David B., placé en détention provisoire vendredi dernier pour avoir loué des appartements sous arrêté de péril, cumule onze adresses à Marseille, dont dix sont référencées sur des plateformes de locations saisonnières. Une telle masse de logements, où des clients entrent et sortent régulièrement, suppose une organisation et du personnel. Selon nos informations, le trentenaire employait une équipe d’une dizaine de personnes.
Karima, 58 ans, en a fait partie jusqu’au 12 mai 2019, date où le téléphone professionnel qui lui servait à recevoir ses plannings a été coupé. “Je me suis occupée du 11, rue Terras, 61, rue des Dominicaines, 17 et 54, rue Longue des Capucins, 43 et 17, rue du Musée, 36, rue de la Rotonde, 36 rue d’Orange, 19, rue Léon-Perrin, 70, boulevard de la Libération, 21, rue d’Anvers.” Elle égraine les adresses de mémoire, habituée de ces immeubles où se trouvent “les appartements design” de son ex patron. “Je faisais le ménage, la réception des clients, il fallait également encaisser les taxes de séjours et les cautions. Mi-mars j’ai eu besoin de repos, j’ai donc pris des vacances jusqu’au 1er avril, mais je n’ai pas repris immédiatement, j’étais trop fatiguée moralement et physiquement. Ça ne lui a pas plus, il m’a virée”, témoigne-t-elle.
Un 22 mètres carrés vétuste dans les cartons de savons
Sans titre de séjour valable en France, l’ex agent administratif à Alger dit n’avoir jamais eu ni contrat, ni fiche de salaire. De plus, l’employeur la maintient sous sa coupe, car elle vit à la Belle de Mai dans un studio lui appartenant. Lors de notre première rencontre en juin, dans le petit espace encombré se trouvent encore des cartons étiquetés “Marseille-savon cigale lavande X 45”, ou contenant des produits d’entretien. Le kit location saisonnière contraste avec l’état général du 22 mètres carrés, plus en phase avec les critères de l’indécence : compteur électrique vétuste, fils et prise sous l’évier, pas de lumière dans une douche sans aération, chauffe-eau en panne, pas de chauffage, forte odeur de moisissure, cloison offrant de partager pleinement l’intimité du voisin… Le loyer, 450 euros par mois, est directement ponctionné sur ses prestations. “Je m’occupais de 11 appartements, je recevais 5 euros pour le ménage, 5 euros pour la remise de clé, plus si je faisais les cages d’escalier, ou en cas d’arrivées et de départs tardifs. Finalement, je gagnais entre 1000 et 1200 euros par mois. David me les donnait de la main à la main”, assure-t-elle.
“On va lancer une procédure aux prud’hommes pour travail dissimulé. Il faut qu’elle bénéficie d’un contrat à durée indéterminée, et de tous les droits d’un salarié, d’autant plus qu’il y a eu un licenciement sans cause réelle et sérieuse”, pose son avocat Brice Grazzini. Une plainte concernant l’insalubrité, le harcèlement moral et physique, chemine également vers le procureur. Contactée, Manon T., la présidente d’Idapart, la société de location saisonnière créée début 2019 pour proposer ces logements en ligne, a sèchement refusé de nous répondre. Nous avons tenté de savoir si nous pouvions nous entretenir avec l’avocat de David B. par l’intermédiaire de son frère, qui a refusé de nous mettre en relation.
Après la rupture du contrat tacite qui les liait depuis près de huit ans, il exerce une pression sur sa locataire pour qu’elle quitte le studio, d’autant plus qu’elle lui demande de réparer le chauffe-eau. Il la mitraille alors de SMS sans ambiguïté : “Quitte l’appartement, je t’ai arrangé au maximum, si tu le prends comme ça, tu peux partir merci. De toute façon, je ne peux plus payer le crédit.” En plein été, un homme se présente chez elle, dit être le nouveau propriétaire et selon ses dires, la menace, la bouscule et lui enjoint de vider les lieux.
Fragilisée par son statut administratif, l’insistance de son logeur à la mettre dehors angoisse Karima, mais réveille également son esprit combatif. Elle décide de se défendre. Elle a pris soin de réaliser une copie de ses échanges quotidiens par SMS avec David B ou d’autres employés chargés de l’organisation. Marsactu a pu consulter ses messages, il y apparaît clairement qu’elle reçoit tous les jours des ordres de missions. “Orange 3 personnes frais supplémentaires 35,45€.” “Tel Orange il est perdu”. “Perrin en attente. Faire les escaliers 70 bd Libération aujourd’hui.” “Faire les escaliers d’Anvers.” “Faire les escaliers du musée.” “Bonsoir à tous, exceptionnellement vos plannings seront envoyés demain matin avant 8h. Je vous souhaite de passer une bonne soirée.”
D’autres employés dans l’expectative
Pour Brice Grazzini, “ces SMS constituent une preuve écrite”, à l’appui de la plainte. Afin d’appuyer son combat, Karima a tenté de motiver ses anciens collègues à la rejoindre dans la lutte pour leurs droits. “Dès que j’évoque le sujet, ils esquivent, ils ont peur, regrette la plaignante. J’ai remarqué qu’il recrutait surtout des sans-papiers, des gens qui ne connaissent pas la loi, acceptent les horaires décalés et des tarifs très bas.” Absence de papiers, de contrat de travail et de bail : ces affirmations concordent par ailleurs avec le récit d’une employée que nous avons pu croiser rue du musée.
Le système David B. s’appuie aussi sur d’autres ressorts. Ils apparaissent nettement dans le montage qui lui a permis d’obtenir près de 250 000 euros de subventions pour la rénovation du 17, rue du Musée (lire nos révélations sur les soupçons de « manœuvres frauduleuses » signalés par l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat). Afin de toucher l’argent de l’ANAH, il a présenté, en mai 2018, huit baux de personnes éligibles au logement social. Parmi ses « locataires officiels », on retrouve Manon T., la présidente d’Idapart la société de location saisonnière dont il est le directeur général, mais aussi cinq personnes qui ont un lien de travail et/ou familial avec lui.
Nous n’avons pas touché notre salaire d’octobre, et nous n’avons plus de travail.
Fayçal, employé au 21 rue d’Anvers.
“Je suis locataire au 17, rue du musée depuis trois ans”, affirme tout d’abord Fayçal, l’un d’entre eux, joint par nos soins. Sauf que Marseille Habitat a vendu son immeuble en ruine fin décembre 2016. Les premiers vacanciers arrivent dans les tous nouveaux “appartements design de Noailles”, à partir de février 2018, avant même l’achèvement des travaux. Il se trouve qu’il était “l’homme de ménage” du 21, rue d’Anvers, l’adresse qui a déclenché les déboires judiciaires de David B. Interrogé par la police, il a refusé de porter plainte contre son employeur-bailleur. “Je travaille avec lui depuis huit ans, quatre heures par jour je tourne comme ça, pour faire des vérifications dans ses immeubles, voir s’il n’y pas d’intrusion, de problèmes de squat et faire un éventuel ménage. Je gagne entre 3 à 400 euros par mois en CESU (ndlr : chèque emploi service universel), ça dépend de ses demandes. Chacun a des adresses à gérer, et est autonome. David s’occupe juste de nous fournir les produits, tout ce qui est logistique pour travailler.”
Se sentant redevable de cet homme qui lui a “fourni logement et travail”, il admet que son emprisonnement le met aussi personnellement dans l’embarras, tout comme ses collègues. “Nous n’avons pas touché notre salaire d’octobre, et nous n’avons plus de travail. J’aurais voulu voir avec Manon, mais je n’ai pas le droit de communiquer avec elle le temps de l’enquête.” Une autre responsable lui aurait dit “qu’il fallait juste attendre”. En fonction de la réaction du procureur face aux charges qui s’accumulent, l’attente risque d’être longue.
Commentaires
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Un saint homme, ce David, dont vous prenez soin de préserver l’anonymat bien qu’il ne soit pas mineur, sauf dans une phrase où son nom finit par apparaître. Un fraudeur doublé d’un négrier a-t-il droit à cet anonymat ?
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Bertin ?
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Tout cela est odieux, à vomir. pourvu que la justice puisse réparer tous les torts qui ont été commis. Une pensée aussi pour les clients de la société Idapart, dont les avis sur Booking (4,7 de moyenne générale, ce qui est une très mauvaise note) montrent que cette société n’a pas plus de respect pour ses clients que ses salariés (non déclarés)
https://www.booking.com/reviews/fr/hotel/idapart-17-design-marseille-vieux-port.fr.html
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Ce Monsieur David Bertin a droit à un portrait gratiné sur Tripadvisor, dressé tout récemment par un client qu’il a “accueilli” dans l’un de ses appartements (néanmoins toujours proposé sur le site Booking, qui visiblement s’en fout complètement) : https://www.tripadvisor.fr/ShowUserReviews-g187253-d15688890-r707890786-Appartement_Design_Meuble_Marseille_Centre_Lonchamp-Marseille_Bouches_du_Rhone_.html
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M. David Bertin, qui fut également gérant de la société Solucimmo, à l’origine de nombreuses pratiques douteuses, a laissé nombre d’ardoises auprès de fournisseurs / bailleurs / URSSAF & consorts…
L’individu, ainsi que Manon Tolari qui le seconde dans ses activités, mériteraient une enquête approfondie… A bon entendeur…
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Voilà. Ca, c’est fait.
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