Le maire des Bouches-du-Rhône est un vieux mâle qui s’accroche

Décryptage
par EJCAM
le 28 Fév 2020
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Pour Marsactu, les étudiants de l'école de journalisme de Marseille brossent le portrait robot des maires du département. Âgés en moyenne de 67 ans, à 90 % des hommes, ils sont une grande majorité à se représenter devant leurs administrés. Trois d'entre eux racontent leur parcours et les raisons de leur choix.

Dans le département, tout le monde a les yeux rivés sur Jean-Claude Gaudin qui raccroche après 55 ans de fonction municipale et quatre mandats consécutifs. Mais ce départ est une exception dans un paysage politique où rempiler est la règle. La palme de la longévité revient à… Roland Povinelli.

À 78 ans, le maire d’Allauch se représente pour un huitième mandat, après près d’un demi-siècle d’hôtel de ville. S’il est le plus “expérimenté” des édiles qui rempilent, il est loin d’être le seul. Ce n’est pas dans les Bouches-du-Rhône que l’on pourra illustrer le blues des élus locaux. Sur les 119 maires du département, trois-quarts se présentent à leur propre succession. Citons notamment Georges Rosso au Rove, le doyen avec 89 ans, ou encore Jacky Gérard à Saint-Cannat, également six mandats au compteur.

Ce tableau complet est issu d’un travail minutieux de recensement des déclarations publiques des édiles ou de coups de fil aux mairies. En parallèle, nous avons retracé 42 ans d’histoire politique des 119 communes des Bouches-du-Rhône.


Jacky Gérard a été élu maire de Saint-Cannat en 1983, à l’âge de 33 ans, après une première mandature en tant que conseiller municipal. À 69 printemps, ce socialiste se représente pour un septième mandat dans cette petite ville de 5 634 habitants. “J’ai lancé plusieurs projets, notamment un complexe sportif qui commence à sortir de terre et que je veux terminer, justifie-t-il. Le deuxième dossier important est celui de la déviation de la route qui traverse ma commune, on l’attend depuis des décennies : environ 13 000 ou 14 000 voitures traversent Saint-Cannat chaque jour.”

“Ce sont les citoyens qui nous confient la mandature […], je n’ai forcé personne”

Malgré ses 37 ans de règne, Jacky Gérard ne pense pas monopoliser sa fonction de maire. S’il se représente de mandat en mandat, c’est qu’il estime être le plus légitime pour en assumer la charge : “Ce sont les citoyens qui nous confient la mandature par leur vote, je n’ai forcé personne.” Mais après autant d’années passées à la mairie, celui qui exerce toujours sa profession de contrôleur de gestion, insiste sur l’importance de renouveler régulièrement l’équipe qui l’entoure.

Avant de quitter la mairie de Saint-Cannat, Jacky Gérard souhaite former plusieurs jeunes et se voit jouer les précepteurs durant les six prochaines années. Avec un objectif : transmettre et partager son expérience à sa jeune équipe. “Je voudrais essayer de les former car aujourd’hui on ne peut pas s’improviser maire, cela demande une technicité forte, des connaissances, des mécanismes, des financements croisés, tout ce qui relève des démarches à effectuer et si on n’a pas une expérience de conseiller municipal, c’est difficile de devenir maire dans une commune.”

Sept maires élus en 2014 ont Démissionné en cours de mandat.

D’autres maires choisissent d’ailleurs de laisser leur écharpe en cours de mandat pour mieux préparer leur successeur à la charge et lui offrir un bilan commun avant les élections. C’est le cas de René Raimondi à Fos-sur-Mer qui a laissé son siège à Jean Hetsch. Celui-ci concourt en réalité pour la première fois sur son nom. Le maire de la Penne-sur-Huveaune, Pierre Mingaud a laissé la main à sa première adjointe, Christine Capdevielle en 2017. Idem à Berre et Saint-Martin-de-Crau.

Enfin il y a ceux qui ont dû choisir entre leur mandat local et celui de parlementaire. C’est le cas du sénateur Michel Amiel qui a laissé son fauteuil de maire des Pennes-Mirabeau, avant de faire le choix inverse pour les municipales 2020. Avec également trois décès depuis 2014, ces différents facteurs expliquent en partie le renouvellement apparent avec 41 maires qui effectuent leur premier mandat.

“On m’a fait comprendre qu’il fallait que je passe la main”

Pour Jacky Gérard, s’il est réélu, son septième mandat sera alors le dernier. En 37 ans d’activité, l’édile de Saint-Cannat, également vice-président du département sous Jean-Noël Guérini (2011-2015) et à nouveau avec Martine Vassal (depuis février 2020), a pu constater une véritable évolution de sa fonction, notamment en ce qui concerne le pouvoir des mairies : “J’ai connu la décentralisation, lorsqu’elle a été mise en place par Gaston Defferre, et les mairies ont récupéré pas mal de pouvoir, à ce moment-là. Aujourd’hui, c’est différent avec la métropole.”

Si le moment de quitter la mairie n’est pas venu pour Jacky Gérard, d’autres élus communaux feront le choix de ne pas se porter candidat à leur propre succession en mars 2020. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, environ un quart des maires en place ont décidé qu’ils ne se représenteraient pas. Il faut dire que la moyenne d’âge – 67 ans – est particulièrement haute.

Maurice Brès est l’un d’eux. Ce maire divers droite à la tête de Mollégès depuis 1983, élu au conseil municipal depuis 1971, ne renouvellera pas sa candidature en mars prochain. La raison évoquée ? “Je suis vieux”, s’amuse l’élu de 85 ans. “J’ai déjà fait huit mandats [comme conseiller municipal puis maire, ndlr], et on m’a fait comprendre qu’il fallait que je passe la main. Alors, je la passe à une de mes adjointes”. Mais difficile pour lui de se retirer définitivement de la vie de sa commune : “Je reste quand même sur la liste. Je serai conseiller municipal”.

Quand on est au début, on nage un peu la brasse.

Maurice Brès, maire de Mollégès

L’heure est cependant désormais au bilan pour l’édile. Au moment de se retirer, l’ancien agriculteur évoque avec fierté l’expérience qu’il a acquise au fil de sa carrière politique : “Quand on est au début, on nage un peu la brasse. Mais au fil du temps, on prend de la bouteille. L’administré, quand il a affaire à un maire en place depuis longtemps, il n’a pas les mêmes comportements qu’en face d’un petit jeune”, confie l’octogénaire.

Si les maires des Bouches-du-Rhône sont nombreux à avoir incarné leur commune pendant plusieurs années, d’autres à l’inverse n’exercent qu’un seul mandat. Mais un élu local peut-il mener une action concrète en seulement six ans ? Le maire de Mollégès est catégorique : “Pas du tout. Un seul mandat, lorsqu’on arrive à la mairie, le temps de s’installer, de prendre ses marques, on en a déjà passé la moitié.”

“Le maire peut être efficace avec un seul mandat”

Pourtant, à 76 km de Mollégès, dans la commune de Fuveau, la maire également divers droite – l’une des douze femmes du département – soutient l’inverse : “Si on est prêts, le maire peut être efficace pour sa commune, même avec un seul mandat.”

Cette analyse, Hélène Roubaud-Lhen la tire de son propre parcours. Avant de prendre la tête de la mairie de Fuveau, l’élue était la première adjointe de son prédécesseur. “J’ai été nommée maire suite au décès de Monsieur Bonfillon en janvier 2014. Je savais à quoi m’attendre. Quand on est première adjointe, on est souvent à la mairie. Je remplaçais le maire quand il était fatigué”, raconte l’ancienne professeure.

Maurice Brès le confirme, pour être un bon maire, il faut s’y être préparé. “Ça ne s’improvise pas. Il faut faire un mandat de conseiller municipal, voire d’adjoint. Si on se retrouve directement maire, je crains que ce ne soit un échec.” L’élu a ainsi pris soin de préparer l’avenir en associant sa successeure, Corinne Chabaud à toutes les décisions prises pour la commune lors des deux derniers mandats.

Une fonction “usante” et qui “demande des sacrifices”

Du côté de Fuveau, malgré son expérience, Hélène Roubaud-Lhen a décidé de se retirer après son unique mandat en tant que maire. “Je considère que je suis atteinte par la limite d’âge, confesse la femme de 74 ans. C’est quand même quelque chose d’extrêmement usant… Alors je me retire définitivement, je veux rattraper le temps perdu. J’ai six petits-enfants, je veux les voir grandir !”

Fatigués par la dose de travail que demande la fonction, et l’exigence de plus en plus grande des administrés, certains jettent l’éponge rapidement. “On sait très bien que lorsqu’on se lance, on ne s’appartient plus. La fonction de maire demande des sacrifices. Même si moi je ne l’ai jamais sentie comme une contrainte”, affirme Maurice Brès.

Hélène Roubaud-Lhen reste un cas rare. Dans les Bouches-du-Rhône, trois maires seulement ont décidé, comme elle, de ne pas postuler pour un second mandat sur les 45 qui ont été élus pour la première fois en 2014.

Emma Alonso, Ophélie Artaud, Margaux Barou, Gaël Simon, Tristan Vyncke et Filipe Magalhaese

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Commentaires

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  1. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    bien écrit dans l’article, ce sont les citoyens qui acceptent de voter mais pas pour le changement

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Bravo aux auteurs pour cet article intéressant. La fonction de maire est certainement très exigeante – si on veut bien l’assumer – et je ne suis pas sûr que les candidats réellement sérieux se bousculent au portillon, compte tenu de la quantité d’emm…dements qu’elle recèle et des sacrifices qu’elle suppose du côté de la vie personnelle.

    Pour autant, cela ne justifie pas le fait que des septuagénaires, voire octogénaires, à la tête de leur ville depuis des décennies s’accrochent à leur fauteuil. Le renouvellement ne fait jamais de mal. Mais il manque probablement, en France, un statut de l’élu qui permette de passer plus facilement du monde professionnel au monde politique, et réciproquement. Et un plafonnement du nombre de mandats consécutifs (plafonnement qui a été introduit d’ailleurs dans le Code du travail pour les mandats des représentants du personnel… mais que le législateur a oublié de s’appliquer à soi-même).

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  3. julijo julijo

    Oui, c’est consternant ces statistiques.
    ces “vieux” élus qui s’accrochent à une fonction qu’ils sont les premiers à qualifier d’usante…. un peu curieux.
    a mon avis, le problème réel c’est surtout : pourquoi les électeurs votent-ils toujours pour eux ??? certains font certainement du bon travail, mais je répète volontiers : le changement ne fait jamais de mal, au contraire….un peu bizarre.

    Enfin bravo aux étudiants en master 2, l’article est fort agréable à lire, et bien documenté. Puissent-ils garder tout au long de leur parcours cette honnêteté de propos, que malheureusement on cherche beaucoup aujourd’hui parmi les “cadors” autoproclamés de leur profession !!!

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  4. Massilia fai avans Massilia fai avans

    Pourquoi les électeurs votent toujours pour eux ?
    Je vous invite à lire le dernier livre de Ph Pujol, c’est édifiant.
    Dans les petites communes, compte tenu l’absentention et avec une politique clienteliste bien ciblée sur certains bureaux, c’est assez facile de.se.faire réélire.

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