Le jardin Joseph Aiguier ne veut pas passer sous la rocade
Le jardin Joseph Aiguier ne veut pas passer sous la rocade
Le jardin est un avant-goût du paradis. Ceux qui y vivent vantent toujours la quiétude des lieux, le miracle recommencé du passage saisonnier avec, en fond, l’amertume d’une fin prochaine, rappel de l’Eden. Les jardins familiaux du n°67 du chemin Joseph-Aiguier remplissent parfaitement ses conditions. De hauts murs et grillages les protègent des yeux indiscrets. On entend à peine la rumeur de la ville couverte par les cigales. Fondé en 1906, il accueille les plus anciens jardins familiaux de Marseille et le voilà menacé par l’arrivée du boulevard urbain sud (BUS) dont la concertation préalable a eu lieu en juillet.
Ce n’est pas encore l’affolement dans les allées ombragées de ce joli coin du Cabot. En plein milieu d’après-midi, dans la touffeur d’août, les jardiniers sont peu nombreux à biner leurs rangées. Mais l’imminence du danger est suffisamment grande pour que le responsable des trois sites, propriété de la fédération nationale des jardins familiaux se dépêche sur place pour accueillir la presse.
Un boulevard en plein milieu
A 53 ans, Jean-Pierre Drici est jardinier de métier et de coeur. Il a grandi à la Valentine, “à la campagne au milieu des orties et des mûres” au temps où la vallée de l’Huveaune offrait encore des terres agricoles autour des usines. De cette enfance buissonnière, il a gardé la main verte et un bout de terre cultivé. “Ma parcelle n’est pas ici mais sur un deuxième site dit des jardins Magali Aiguier entre les trois Lucs et La Valentine, précise le président en entamant la visite. Mais celui de Joseph Aiguier est le plus remarquable d’abord parce que c’est le plus ancien et le plus grand.”
L’ombre portée des pins parasols coiffe le site de fraîcheur “même s’ils ont beaucoup souffert avec la grosse neige de 2009”. Le petit autel dédié à la Vierge qui occupe un coin de l’allée n’a pas suffi à sauver les arbres. Peut-être aura-t-elle plus d’efficacité avec la rocade qui doit traverser les jardins. “On n’a pas beaucoup d’informations sur le futur tracé, reprend Jean-Pierre Drici. Mais d’après ce que l’on sait, le BUS doit passer en plein milieu.” Si la vierge ne suffit pas, les 140 occupants du jardin pourront s’en remettre à la chouette hulotte qui occupe un des grands pins et qui appartient à une espèce protégée. De quoi nourrir d’éventuels recours…
Des jardins reconstruits sur eux-mêmes
Du côté de MPM, les responsables démentent le risque brandi de la disparition. “Le tracé du boulevard urbain sud a été prévu pour minimiser l’impact sur le jardin. Avec 8000 m2 d’emprise sur les 27 000 de surface totale, il n’affecte le site que sur 20% de sa surface, indique-t-on au service infrastructures de la communauté urbaine. Il reste une parcelle boisée au Nord qui peut permettre de déplacer les jardins détruits. Le tracé proposé à la concertation est provisoire, il peut encore évoluer en fonction de la négociation avec les responsables des jardins.” Le technicien ne va pas jusqu’à promettre un avenir radieux. Pas franchi par le dossier de presse de la concertation préalable du BUS qui évoque des jardins “agrandis” sans préciser par quel biais.
Du côté de la centaine d’occupants, on aborde cette difficile phase de négociations les poings faits. La fédération nationale des jardins familiaux qui est propriétaire depuis la donation de la famille Aiguier n’entend pas se laisser déposséder. Quel que soit le tracé choisi, le lieu perdra sa quiétude avec à proximité un boulevard urbain de quatre voies. Or, une des particularités du lieu est de compter parmi ses parcelles des “cures d’air”, vestiges de l’idéologie paternaliste du patronat du XXe siècle. “Ces jardins ont été fondés par Joseph Aiguier, qui appartenait à l’une des grandes familles de l’époque, détaille Jean-Pierre Drici. En plus des jardins potagers qui devaient permettre aux familles d’ouvriers de manger sainement tout en améliorant leurs revenus, il souhaitait aussi que ces mêmes familles profitent du bon air. A l’époque, la tuberculose sévissait à Marseille et ces petites maisons au grand air permettaient d’améliorer leur santé.”
Une cure de bon air
Sur des petites parcelles entre 20 et 40 m2, les familles se sont donc installées un petit chez-soi, façon cabanon. Aujourd’hui, il ne reste guère des bâtisses de l’époque, peu à peu remplacées par des cabanes plus solides. Mais chacun des résidents apporte sa touche personnelle en plantant des fleurs ou en installant des décorations avec quelque fois un barbecue ou un four à pizza qui sortent un peu des clous réglementaires. Les responsables sont plus drastiques sur deux points : les cures d’airs n’ont pas l’eau courante à la différence des jardins potagers et les résidents ont interdiction d’y dormir. Seule exception, à l’immédiate après-guerre, ces cabanons ont accueilli les familles du quartier Saint-Jean, rasé par les Allemands.
Résidents d’une cure d’air depuis 11 ans, Jacques Suppa et Jocelyne Ona travaillent justement à embellir la leur avec force fleurs, nains de jardins, lézards rampant et autres bestioles de terre cuite. “Nous avons régulièrement des visites d’écureuils bien vivants, sourit Jocelyne. Et puis, on a des mésanges et de temps en temps, on entend un pic-vert”, ajoute son mari, ravi de laisser le vacarme de son atelier de carrosserie pour des travaux des champs plus reposant.
Le couple a attendu sept ans avant d’entrer en jouissance de l’endroit. “C’est la moyenne, commente Jean-Pierre Drici. Nous avons une liste d’attente de 400 personnes environ et nous veillons à respecter certains critères comme le milieu populaire des familles et l’éloignement afin d’éviter de trop longs déplacements.” Avant les jardins pouvaient passer de génération en génération mais les statuts ont été modifiés pour éviter d’entretenir l’entre-soi. La centaine de lopins dont on peut jouir pour 50 petits euros de cotisation annuelle changent de main, lentement au gré des décès ou des départs. Jacques et Jocelyne habitent un groupe HLM à La Pomme. “Comme on n’a pas trop les moyens de partir en vacances et bien on passe les congés ici”, sourit Jacques avant de repartir poser ses moellons sous le plancher de sa cabane à outils.
Tomates, aubergines et butternut
Sa compagne emboîte le pas à la visite qui passe forcément par son coin de potager qui porte encore quelques beaux légumes malgré la saison avancée. La plupart des parcelles sont tirées au cordeau avec des rangs bien alignés de tomates, aubergines et butternut, agrémentés de fleurs “pour les abeilles” et de fruits rouges dans les grillages. “Avec ça, plus besoin d’acheter des légumes dans le commerce, se félicite la jardinière. Et puis le goût est incomparable.“ Quand les légumes arrivent à maturité, les récoltes sont distribuées dans l’entourage, tout comme les conseils qui passent de lopin en lopin.
Chacun y va de son invention : les fraises suspendues dans des tuyaux en plastique de l’un, écolo féru, le bac en hauteur de cet autre. En fauteuil roulant, il s’est fabriqué un potager dans un bac maçonné qui lui permet de tourner autour sans tomber, ni écraser sa récolte. Le guide fait aussi admirer les parcelles dévolues aux écoles et le siège de l’association où on peut admirer les figures fondatrices de Joseph Aiguier et l’abbé Lemire, glorieux ancêtre nordiste. Un peu plus loin, un plaisantin a agrémenté sa cabane d’un digicode et d’une caméra factice. Même si les disputes existent, le jardin cultive des plants vivaces de solidarité et convivialité.
Affairée à ramasser les mauvaises herbes, une jardinière lance “voyez avec mon mari” à notre approche. Leur parcelle est située non loin d’un vénérable chêne vert “qui a vu Saint-Louis”, selon Drici. Il est marqué d’un point violet qui le voue à la destruction prochaine. Il devra disparaître avec les pelleteuses du BUS. Tout comme la parcelle voisine, où le mari dépêché par sa femme ouvre le portillon. A presque 80 ans, Claude Brion est toujours hardi jardinier, il se prête volontiers à la visite.
A l’arrière des jardinets s’ouvre une pinède avec, là encore, des arbres remarquables. C’est là que la communauté urbaine souhaitent réimplanter les parcelles détruites. C’est là aussi que Jean-Pierre Drici entend bien y planter un verger collectif, en pied-de-nez. Au détour d’un bosquet, on tombe sur des ruches dont le miel fait l’objet d’un partage entre les habitants. Jocelyne Ona est une de celles qui s’en occupent. Elle a regardé monter les étages avec fierté, promesse d’une belle récolte à l’automne. “Le jour où je vois arriver les bulldozers, je les attends avec la fourche”, prévient-elle, en plaisantant à moitié.
Elle a encore du temps pour fourbir son outil : les travaux ne devraient pas commencer avant 2017 pour une durée de trois ou quatre ans. “Le projet doit être bouclé pour l’automne 2015 afin de passer par la longue procédure de déclaration d’utilité publique qui doit permettre les expropriations”, dit-on à MPM. Un destin qui pourrait concerner les jardins si les négociations peinent à aboutir.
Derrière le mur d’enceinte en vieilles pierres, de l’autre côté de la route, un terrain de foot un peu abandonné esquisse la trouée de la réserve foncière du futur boulevard. Et le vide se fait menaçant.
Commentaires
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Et la L2, ç’en est où ? A quoi va servir ce BUS ?
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C’est bien dommage, mais l’intérêt collectif devance celui des jardiniers urbains.
Je lis Marsactu depuis quelques temps et je n’y trouve JAMAIS un article positif ou un constat que quelque chose fonctionne.
Dans Marsactu c’est toujours le verre à moitié vide, jamais le verre à moitié plein.
Et après certains accuseront, à juste titre, la presse d’entretenir, voire de cultiver la morosité ambiante.
Allez, Marsactu, pour une fois, un sourire !
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assez de bétons plus de verdure bon reportage
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Malheureusement, l’intérêt collectif prime parfois sur le plaisir de quelques-uns. Ce BUS est une bonne chose, j’espère que ça se fera (et pourtant, il passera sous mes fenêtres, au Roy d’Espagne).
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Très beau reportage avec de jolis commentaires.
Nos élus,qui veulent remplacer les arbres par le goudron,le chant des oiseaux par le bruit des voitures et les bonnes odeurs du jardin par la pollution de l’air,n’ont rien compris.
Ou sont les vrais ecolos?
Une prise de conscience s’impose.
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OUI ! au Front de libération des nains de jardin … je prône la libération des nains de jardins, considérons les lutins comme des êtres humains, la guerre des nains de jardin est déclarée au jardin Joseph Aiguier …
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Je ne suis pas jardinière, mais je viens de me régaler à lire votre article, avec le bruit des cigales qui ne s’entendent jamais dans le quartier central de Marseille où j’habite…Sauvons la nature, le chêne qui a vu Saint Louis, les pins, les légumes, le bon air pour les gens qui ne peuvent pas partir en vacances. Y en a marre du béton à Marseille. A part une petite interrogation -késaco le butternut ?- UN SUPER BRAVO pour votre article d’utilité publique et poétique en plus.
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Un des rares poumons verts dans Marseille abritant oiseaux, écureuils, hérissons, abeilles et des arbres centenaires va être détruit pour être remplacé par du beton, du goudron donnant place à de la pollution supplémentaire et du bruit, afin que le BUS se termine en entonnoir à la Pointe Rouge ; ” un paysage ” desolant, alors qu à l heure actuelle la prise de conscience de la destruction de la nature est grande. Malheureusement beaucoup s en moque. Quel sacrilège !
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Très beau reportage ! Cela donne une belle idée de l’inventivité citoyenne et écologique à laquelle peuvent s’adonner des groupes d’habitant(e)s ! Quant à la préservation de ce lieu : il faut hélas craindre le pire ? Car cela serait un immense scoop local si les questions environnementales étaient la priorité du maire UMP/PRG JC Gaudin ! Au contraire, noombreux sont les exemples de lieux dévastés par les projets immobiliers ou urbains. Des projets qui rapportent gros… officiellement et parfois officieusement sur les abords feutrés du Lac Léman ou aux îles Caïman !
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Marre du béton, laissons vivre la nature a Marseille, non aux BUS, qui va apporter un flux important de voiture dans les quartiers de Montredon et les Goudes
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