[Le géographe dans sa ville] Promenade des Docks au Silo
Marcel Roncayolo est un géographe culturel. Il joue avec l'objectif et le subjectif, aime l'idée d'être un impressionniste du monde urbain. Longtemps professeur à l'école normale, il propose dans Le géographe dans sa ville de le suivre dans sa ville de naissance, Marseille, aidé des notes qu'il a prises depuis 10 ans. Marsactu en publie les bonnes feuilles.
Les Docks par Sophie Bertran de Balanda
L’ouvrage est tissé autour d’un dialogue avec l’architecte Sophie Bertran de Balanda, qui signe les dessins et dont les propos sont en bleu. Pour cette première balade en compagnie de Marcel Roncayolo, nous avons choisi des extraits de celle intitulée “Les ports”. Le géographe et historien de l’urbain y décrit un quartier aujourd’hui au croisement des différentes facettes de la ville. Il interroge la pertinence des transformations qu’il subit et leur continuité avec l’histoire de Marseille.
Les Docks
Au débouché de la rue de la République, les Docks imposent leur façade sur la place de la Joliette encore en chantier. Déjà, les constructions de verre enserrent cette architecture portuaire répétitive et rigoureuse.
Dans ses intentions premières, le projet Euromed s’appuyait sur la transformation symbolique des magasins des Docks, rénovation patrimoniale et réaffectation d’usage. Mais cette ambition n’est-elle pas devenue secondaire ? Il y a une hésitation permanente sur le destin de ces bâtiments en quête de reconnaissance. Le rôle emblématique qu’on voulait donner aux anciens Docks réhabilités paraît aujourd’hui subordonné à la valorisation des terrains environnants. La perspective depuis la rue de la République, déjà tronquée par le bâtiment en brique des Télécoms, a disparu derrière un linéaire de bureaux.
Quant aux usages qui s’y développent, presque en autarcie (bureaux, lieux de restauration, plus cantines pour salariés que restaurants de loisir), est-ce suffisamment attractif pour créer la première centralité d’un quartier en refondation ? Va‑t‑on enfin reconsidérer le rôle de ces bâtiments ? Une activité purement commerciale y suffirait-elle ?
Les Docks restent un lieu d’imaginaire, cachant, derrière leurs façades, les pensées savantes et symboliques du saint-simonisme. Il aurait été naturel, me semble‑t‑il, qu’ils accueillent une mémoire des grandes heures de Marseille dont ils furent l’un des emblèmes, sous une forme ou une autre : bibliothèque, archives, ou pourquoi pas, centre d’interprétation des industries de transformation des corps gras, ce qui faisait vivre l’ancien port ! À l’image des Docks revisités de Liverpool ou ceux de San Francisco, établir en somme un lien vivant avec l’histoire pour ramener la vie dans les bâtiments hérités : une « revalorisation » au plein sens du terme, au-delà du simple réemploi de l’architecture.
(…)
Les archives
Nos recherches ont conduit nos pas plus loin, au-delà des Docks, jusqu’au bâtiment des Archives départementales inauguré en 2006. Ce caillou lisse imaginé par Corinne Vezzoni et jeté avec audace à l’arrière du port amorce l’urbanisation du territoire portuaire. Tout près sur la rue Mirès, l’église Saint-Marc d’Arenc semble encore délaissée au milieu d’un îlot en friche, réoccupé sur une partie par un chantier immobilier.
C’est la survivance du vieux paysage d’enclos ouvert. Le chemin que nous empruntons est une ancienne rue du réseau viaire d’avant l’haussmannisation, celui de la trame Mirès, qui avait été préservée mais pas construite, rappelons-le, par la volonté de la chambre de commerce d’y laisser toute la place à l’entrepôt libre des marchandises. Ce côtoiement entre ces traces et les nouvelles constructions est évocateur de ce qui fait l’histoire des villes : des ruptures, des morceaux exprimant chacun leur époque qui se surajoutent, des récupérations, des usages qui se développent en liberté. La ville est toujours « bricolage » en somme, la forme urbaine s’établit sans avoir acquis d’emblée une cohérence d’ensemble !
La ville a pour mission d’être médiatrice culturelle, c’est‑à‑dire de créer la rencontre entre professions, origines. Il n’y a pas de centralité qui ne soit composite, entrecroisement d’activités productives et culturelles. Sur ces îlots portuaires aujourd’hui en transformation, il faut du temps, des habitants, des visiteurs pour que les pratiques fédèrent cette collection de lieux institutionnels.
Le silo d’Arenc
C’est une promenade « accompagnée » qui nous conduit à pied jusqu’à l’ancien silo à grains d’Arenc. Ce bâtiment en béton armé de 1927, labellisé « patrimoine du xxe siècle », était destiné jusqu’en 1984 au chargement et déchargement des bateaux céréaliers. Nous sommes ici sur un territoire appartenant au Grand Port de Marseille qui, n’ayant pu obtenir la démolition du bâtiment, entend préserver l’usage portuaire du sol, ce qui explique la nécessité de ce jeu de circulations placées en hauteur pour acheminer matériels et visiteurs de la salle de spectacle.
Jusqu’où peut-on transformer la destination d’un édifice patrimonial sans risquer de le nier ? Un bâtiment hérité est un lieu « éprouvé » par l’histoire, et c’est en cela qu’il fait sens. Le patrimoine réutilisé ne peut donc se résoudre à n’être qu’un paysage dont l’authenticité se réduirait à deux critères : le beau et l’ancien. C’est toute la question que pose le façadisme. Entre la continuité de l’objet et la manipulation qui efface pour ne laisser qu’une enveloppe, n’est-ce pas la réflexion sur l’usage qui fait trop souvent défaut ?
« La culture, comme substitut à l’activité traditionnelle de production, doit-elle se résumer au divertissement et au spectacle ? J’ai défendu à plusieurs reprises l’idée d’implanter des activités structurantes d’enseignement supérieur, au-delà d’établissements ponctuels, qui fixent un quartier universitaire et sa vie étudiante : une permanence plus créatrice de ville que la fréquentation intermittente d’une salle de spectacle. »
Le géographe dans sa ville de Marcel Roncayolo (avec Sophie Bertran de Balanda)
272 pages, dessins et documents en couleur, Éditions Parenthèses, 2016 (en librairies).
Du 10 septembre au 10 octobre, le musée d’histoire, les éditions Parenthèses et de nombreux partenaires proposent des rencontres, débats, balades et projections de documentaires pour célébrer la sortie du Géographe dans sa ville.
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