Le désarroi des sinistrés et évacués de la rue d’Aubagne face à un présent incertain
Après l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne, plus de 400 personnes évacuées sont logées dans des hôtels. Une situation temporaire pour une crise inédite. Alors que les premières propositions de relogement arrivent, l’organisation dans l’urgence patine parfois.
Le désarroi des sinistrés et évacués de la rue d’Aubagne face à un présent incertain
Amadou* erre, les mains dans les poches d’une parka qui recouvre des vêtements d’intérieur, devant l’hôtel B&B de la rue de Ruffi (2e). “Je suis sorti de mon appartement lundi en pyjama, toutes mes affaires sont restées dans l’immeuble”, se désole cet homme d’un soixantaine d’années, au français très approximatif.
Son appartement était au 69 de la rue d’Aubagne, dont une partie a été détruite par les pompiers lundi dernier pour éviter “l’effet domino”, après l’effondrement des immeubles mitoyens des n° 63, 65 et 67. Ce qui va se passer maintenant ? Ce père de famille n’en sait rien. Et le fait même d’en parler lui fait monter des larmes aux yeux. Comme lui, ils sont aujourd’hui plus de 400, habitants des rues d’Aubagne, Jean-Roque ou encore de la Palud, à être relogés dans cinq hôtels aux quatre coins de la ville. Dans l’attente d’une prise en charge qui s’avère parfois laborieuse.
Sortie fumer une cigarette devant l’hôtel, Amina n’est pas plus avancée. Locataire dans le quartier de Noailles, la jeune femme est ici avec son fils de cinq ans. “J’appelle tous les jours le numéro qu’ils nous ont donné, là un monsieur endormi vous répond qu’il faut patienter, ça nous met plus bas que terre”, raconte-t-elle lorsqu’un chauffeur de la RTM vient informer qu’un bus attend les sinistrés pour les mener à la Maison des associations, où un repas chaud est proposé par la Ville, midi et soir. Deux femmes d’un certain âge, qui ont visiblement eu l’information, sautent dans le véhicule. Pour le reste, “ça serait bien que l’on soit informés de l’heure à laquelle passe le bus”, suggère la réceptionniste de l’hôtel. “Mais même moi, ce matin je ne le savais pas”, répond le conducteur.
“On ne fait pas confiance à la mairie”
Rue de l’Arc, à quelques mètres des gravats qui n’ont pu encore être déblayés à cause des risques d’effondrement, un petit local reçoit quantité de dons de vêtements. Déversés dans des bennes nettoyées au préalable, afin que les habitants puissent venir se servir. “Les dons sont réceptionnés à la mairie de secteur. Au début, ça a été un peu compliqué. Sur le coup, il y a eu de l’énervement, mêlé au chagrin, c’était difficile. Mais maintenant, on arrive mieux à s’organiser. Même la mairie, ça leur est un peu tombé sur la tête, raconte une habitante venue prêter main forte. Maintenant, il y a des tickets RTM, des repas chauds gratuits…” Un constat que ne partage pas Henry, membre du collectif du 5 novembre – Noailles en colère, initié à la suite des événements par des habitants de Noailles, notamment des proches de La France insoumise.
“On ne fait pas confiance à la mairie pour la gestion de situations d’urgence”, entame-t-il avant d’énumérer les “erreurs” de la collectivité. “Il n’y a pas de transparence, des erreurs de communication grotesques et indignes, des laissés-pour-compte, et tant qu’on inversera pas le rapport de force, rien ne bougera.” Ce lundi, le collectif organisait une réunion rue de l’Arc pour tenter de faire le point sur les besoins et les aides qu’il est possible de mettre en place.
“Tout se passe bien”
Kaouther Ben Mohamed fait également partie de ce collectif informel. Militante associative et politique (elle a figuré sur la liste de Pape Diouf aux dernière municipales) qui s’oppose régulièrement à la mairie de Marseille, elle s’énerve : “On ne nous permet pas d’être là, d’aider. Le collectif et des habitants veulent être bénévoles, mais on ne nous laisse pas être là pour les sinistrés, on nous dit qu’il n’y a pas besoin de bénévoles.”
Contactée par Marsactu, la maire de secteur Sabine Bernasconi balaie la critique. “Nous sommes en pleine manipulation politique. La Croix-Rouge a énormément de bénévoles aidés par des agents de la Ville. Ils travaillent dans un petit espace mais tout se passe bien, assure l’élue. Ici, ça ne peut pas être l’auberge espagnole. Les bénévoles sont encadrés et formés.” Pour l’élue de secteur, la situation est ainsi complètement maîtrisée et le relogement ne devrait pas poser de problème.
Des propositions de relogement “exactement comme ici”
“Nous avons mis en place un dispositif qui fonctionne. Les gens sont reçus en entretien personnalisé. Tous les dossiers sont traités au cas par cas. Et même si certaines personnes veulent revenir sur une proposition de relogement acceptée, c’est possible, avance la maire du 1/7. Les personnes qui ne sont pas satisfaites sont très minoritaires et les personnes désœuvrées sont seulement des personnes qui ont besoin de réconfort, d’écoute, d’un café ou d’un biscuit.”
Naïma n’est pas du genre a être réconfortée avec un simple biscuit. Devant le petit local de la rue de l’Arc, elle profite d’un arrivage pour récupérer quelques vêtements. Les siens sont toujours au 61 rue d’Aubagne. L’immeuble est debout mais Naïma fait partie, comme le dit Sabine Bernasconi “des gens qui ne rentreront pas chez eux durant plusieurs mois, au moins”. En attente d’un relogement, la jeune femme, actuellement hébergée en hôtel, s’est donc rendue plusieurs fois à la mairie de secteur. “La seule réponse qu’on nous faite, c’est qu’il faut attendre”, explique-t-elle en remplissant un cabas. La semaine dernière, Naïma a pourtant visité un appartement. “À la Belle de Mai, et c’est exactement comme ici. Appartement refait, mais immeuble pourri. J’ai dit non !”
“Ils sont agressifs parce qu’ils sont en panique”
Lors de sa dernière conférence de presse, Jean-Claude Gaudin a mis en avant le travail réalisé avec les bailleurs HMP, 13 Habitat, Logirem et la Sogima. “Ils nous ont proposé 150 logements dont 60 en centre-ville pour ne pas ajouter de l’éloignement à leurs difficultés”, s’est exprimé le maire, dimanche. Ce mardi matin, une personne vivant au 69 doit ainsi être relogée de manière pérenne dans un appartement de 13 Habitat.
#RuedAubagne @13Habitat nous avons relogé un des sinistrés du 69 . Signature du bail cet am
— Lionel Royer-Perreaut (@RoyerPerreaut) November 12, 2018
Selon la mairie, vingt ménages auraient ainsi été reçus par les travailleurs sociaux pour étudier leurs besoins, et “seize d’entre eux ont accepté un relogement dont trois un relogement temporaire”. Toujours logés à l’hôtel, Émilie Mernier et Maël Camberlin ne font pas partie de ceux-là. Le couple, propriétaire d’un appartement du 69, attend toujours une réponse. “On nous a fait une proposition de mise à l’abri temporaire rue Thubaneau, nous attendons la confirmation”, expliquait ce lundi après-midi Émilie. Entretemps, celle-ci a été retirée. Du côté de la Ville, on met en avant que ce logement est trop dégradé.
Depuis le début des événements, Émilie et Maël sont très actifs, que ce soit dans l’entraide avec leurs voisins ou dans les démarches pour trouver des solutions. “Ce week-end, alors que j’étais venue à la mairie de secteur informer qu’un repas chaud allait être offert, on a voulu me mettre dehors et on m’a menacée de ne pas me trouver de logement”, s’inquiétait déjà la jeune femme avant d’apprendre la nouvelle. “Ils n’apprécient pas qu’on essaie de palier leurs lacunes, estime quant à lui Maël. Ils sont agressifs parce qu’ils sont en panique.” “Il n’y a ni sanction, ni sélection. Et je peux vous dire qu’à la marie de secteur, il n’y a pas de panique non plus !”, dément Sabine Bernasconi.
Rue d’Aubagne, les badauds s’amassent encore devant la barrière de sécurité, depuis laquelle les décombres sont parfaitement visibles. Fatima* discute avec une amie, la mine défaite. Elle a un appartement rue d’Aubagne, dans un immeuble tout proche du sinistre. Elle ne sait pas si elle pourra un jour le réinvestir. Avant de venir sur place, elle a craqué et a demandé à voir un psychologue à la mairie de secteur. “Il y avait trop de monde, je suis partie, mais ils m’ont promis qu’ils me trouveraient un psy. Si on va vers eux, on nous écoute. Mais on n’est pas là pour mendier, nous ne demanderons rien d’autre car il y a sûrement des situations plus compliquées.” Souvent, ces habitants veulent avant tout conserver leur dignité, quitte à ne pas aller au-devant de l’aide proposée.
*À la demande des personnes, certains prénoms ont été changés.
Commentaires
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Honte à la mairie, honneur aux habitants, cet article le démontre à nouveau. Deux visions s’opposent ici et c’est intéressant de confronter les paroles des uns et des autres dans la description de leur mission ou de leur devoir :
d’un côté, la mairie de secteur, dans une urgence “d’image”, tente de rafistoler la communication catastrophique de l’équipe municipale centrale après l’incroyable conférence de presse de jeudi (où Madame Bernasconi n’a pourtant pas brillé, c’est le moins qu’on puisse dire) ; et l’on comprend, au travers des postures et des paroles que ces équipes ne font pas la distinction entre le devoir de solidarité et de protection des élus (qu’ils croyaient sans doute n’avoir à appliquer qu’à leur propre caste) et une image assez lointaine et vague qu’ils ont de la “charité”. Proposer un “biscuit” fait immanquablement penser à Marie-Antoinette conseillant aux français affamés de manger de la brioche quand ils ne trouvaient pas de pain … Les gens qu’ils considèrent comme des “pauvres” ne sont définitivement pas la spécialité de cette mairie très spéciale …
De l’autre côté, on a des personnes qui se structurent très vite en associations, répondent aux besoins et aux nécessités qu’ils identifient très vite dès qu’ils les entendent s’exprimer, parce qu’ils sont au cœur de la tempête bien sûr, mais surtout parce qu’ils ne s’embarrassent ni de justifications ni de pertes de temps …
La mairie de secteur fait preuve ici d’une incroyable obscénité en tentant de disqualifier les initiatives citoyennes dans le seul but de corriger son “image”, au lieu jouer son vrai rôle et de fédérateur et de coordinateur. Après avoir tenté de s’accaparer un quartier en le laissant pourrir, elle tente à présent de s’accaparer la maîtrise de la solidarité qui émerge en dehors de son giron. Elle qui avouait il y a quelques jours que le personnel municipal n’avait pas “compétence” et se débrouillait comme il pouvait en apprenant sur le tas, la voilà qui aujourd’hui décide de qui est capable et de qui ne l’est pas … Les marseillais que nous sommes, habitués à nous débrouiller sans la mairie pour les besoins immédiats (ordures, écoles et autres) ne seront pas étonnés. Les gens d’ailleurs, qui viennent m’en parler avec un grand étonnement, me demandent pourquoi nous avons élu de tels incompétents. Je réponds en général que nous n’avions que ça en stock à ce moment-là, mais quelque part, une grande honte me gagne aussi …
Je n’ai certes pas voté pour eux, mais je n’ai tenté de dissuader personne de le faire, et si je l’avais fait, si nombre d’entre nous l’avaient fait au lieu de se déchirer pour des raisons absolument infinitésimales au regard des vies humaines aujourd’hui détruites ou bouleversées, on en serait peut-être pas là.
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Tout à fait d’accord avec vous
.
Sabine Bernasconi est un exemple de l’imposture et de la médiocrité en matière de politiques publiques. Un exemple parmi d’autres, et ce à toutes les échelles de la hiérarchie la municipalité, du département, de la région. Pour 1 compétent, 9 cons pédants. Et comme si ça ne suffisait pas, ils ont rajouté l’échelon métropole.
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Reloger, cela veut dire retrouver un appartement correct avec du mobilier (tables, chaises, lits, matériel de cuisine, appareils de cuisson, etc.) et aussi du linge et des vêtements. Qu’a prévu Gaudin et sa municipalité ? Laissera-t-il les relogés entre quatre murs en attendant qu’on n’en parle plus ?
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…rien des hôtels B&B alors que Marseille dispose de bâtiments inoccupés : villa Valmer retapée à grands frais dernièrement , ancienne caserne des douanes Bd de Stasbourg, casernes militaires désaffectées , tours sur le littoral attendant des investisseurs improbables etc…
Ils ne sont pas exigeants mais je crains que bientôt ils viennent grossir le nombre ses sans abris errant dans la ville et pourchassés par la police et les riverains qui les tolèrent …ailleurs …
Un travail et un toit décent c’est bien le minimum que la société doit à un être humain, et les deux sont possibles .
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Est-ce que ces habitants qui subissent une situation extrêmement déstabilisante (comment continuer à aller au travail quand on a fui son logement en pyjama ?) pourront être indemnisés du préjudice moral et matériel qu’ils subissent ? Par qui ? On ne parle pas ici de victimes d’une catastrophe naturelle, mais de gens qui payaient des loyers ou des remboursements d’emprunt pour loger dans des immeubles dont on considère à présent qu’ils n’auraient pas dû être habités dans leur état. Les co-propriétaires des immeubles voués à la démolition seront certainement indemnisés (puisqu’ils seront expropriés), mais les locataires ? Leur relogement n’éteindra pas leur préjudice.
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Merci les amis pour le travail de journalisme serieux et documente’ que vous faites en ce moment fort complique’
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“Les personnes qui ne sont pas satisfaites sont très minoritaires et les personnes désœuvrées sont seulement des personnes qui ont besoin de réconfort, d’écoute, d’un café ou d’un biscuit.” Franchement quel mépris. Diviser pour mieux régner. Les mauvais souvenirs du relogement ANRU dans les quartiers Nord remontent à la surface. Je n’oublie pas qu’on a été traité de délinquants parce qu’on se battait pour un relogement digne.
La réponse d’une élue qui a suggéré de faire appel à BATMAN pour sauver les chauves-souris de la démolition programmée…….
Il faut malheureusement des morts pour faire un effort en direction des victimes….J’espère qu’elles seront bien représentées et non manipulées….
Un grand merci à MARSACTU
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