Le désarroi des habitants des calanques face à la prolifération de l’algue japonaise
Apparue en 2018 au large des Goudes, l'algue exotique envahit les calanques marseillaises, apportant avec elle de nombreux risques pour la biodiversité et la santé humaine. Réunis à Callelongue ce lundi, habitants, scientifiques et élus peinent à trouver une solution pour freiner sa propagation exponentielle, qui pourrait toucher toute la rade de Marseille.
Sur la plage de Marseillveyre, les tas d'algues dégagent une odeur d'oeuf pourri. (Photo LA)
Sous un ciel gris sans nuances, seuls trois touristes se partagent le minibus qui mène du port des Goudes à celui de Callelongue, blotti dans une petite calanque presque fermée. La route s’arrête ici – ou plutôt au boulodrome local, dernière étape avant la fin de Marseille. Là où les touristes tournent les talons, un groupe d’hommes soixantenaires s’affaire sur le terrain, en bermudas et sandales malgré le temps menaçant. On les croirait en pleine partie, mais ils ne sont pas là pour jouer. L’heure est plutôt à parler pourriture et hydrogène sulfuré, car une algue verte invasive du Japon étouffe leur calanque depuis maintenant trois ans.
Ce lundi après-midi, une réunion publique est organisée par le club nautique, le club de plongée et le CIQ de Callelongue Marseilleveyre. Une trentaine d’habitants, de scientifiques et d’élus s’installent sur des chaises en plastique, avec l’envie commune de mieux connaître leur ennemi.
Plus de 10 kilomètres de côte touchés
Retenir son nom est déjà une épreuve : baptisée rugulopteryx okamurae, l’algue en question est une espèce exotique arrivée du Japon via l’étang de Thau dès les années 2000. La faute à des huîtres juvéniles importées d’Asie pour l’élevage. Cela fait maintenant trois ans qu’elle a été repérée au large de l’île Maïre, à Callelongue et Marseilleveyre (voir carte ci-dessous). En l’espace d’un an, le nombre de kilomètres de côtes impactées a doublé, passant de cinq en 2019 à dix en 2020. L’espèce a également été identifiée aux Vallons des Auffes et sur la Côte bleue. Depuis mars 2021, sa présence explose.
Nos filets en sont pleins, on ne peut plus travailler. Et on est notre propre ennemi, parce qu'en pêchant on la propage aussi.
Laurent Pironi, pêcheur
"On va démarrer. Posez vos questions". La réunion débute sans présentation, car les habitants ont plus d'interrogations que de connaissances sur cette mystérieuse algue. Ce qu'ils savent, c'est qu'elle s'accroche au fond rocheux, sur plusieurs mètres, qu'elle remplit les filets de pêche, les empêche de se baigner et de bouger leurs bateaux. Sur sa tablette, Jean-Claude Eugène, de Marseille Sports, montre les vidéos qu'il a prises au fond de l'eau en juin dernier. Le plongeur est inquiet : "Cette algue recouvre tout. Il n'y a plus rien d'autre de vivant dans l'eau et ce qui est mort pourrit". Au premier rang, Laurent Pironi, pêcheur dans la zone depuis trente ans, se désole : "Nos filets en sont pleins, on ne peut plus travailler. Et on est notre propre ennemi, parce qu'en pêchant on la propage aussi".
Une jeune femme assise sur le côté demande le micro : elle s'inquiète de la toxicité des tas d'algues qui fermentent sur la plage de Marseilleveyre. "Notre calanque est sacrifiée", résume Guy Barroto, le président du CIQ. Lui qui a appris à nager ici interdit désormais à ses petits-enfants de s'y baigner.
Rugulopteryx okamurae présente de fait des risques environnementaux forts, puisqu'elle fait disparaître les autres espèces d'algues présentes. Comme les algues vertes en Bretagne, la variété japonaise dégage de l'hydrogène sulfuré, reconnaissable à son odeur d'œuf pourri, dès qu'elle se décompose en tas importants à l'air libre. À haute concentration, ce gaz est toxique pour l'être humain. En Espagne, où l'algue est présente depuis 2015, 5 000 tonnes sont retirées chaque année des plages.
Impuissants face à l'algue
Dix-sept espèces invasives sont aujourd'hui recensées dans les eaux des Bouches-du-Rhône, selon le parc marin de la Côte bleue. Mais c'est le mode de propagation de la rugulopteryx qui la rend particulièrement redoutable. "Elle ne se reproduit pas sexuellement, mais par petits bouts d'algues, par bouturage. Elle ne peut donc pas être arrachée ni cantonnée. Sous l'eau, tout est plus compliqué", annonce aux habitants Sandrine Ruitton, chercheuse à l'institut méditerranéen d'océanologie (MIO). Cela fait maintenant trois ans qu'une équipe travaille à cartographier la propagation exponentielle de l'algue. Pour l'instant, ils n'ont pas trouvé de prédateur herbivore capable de la freiner. Un suivi d'un an par le MIO est en cours, pour connaître davantage encore le fonctionnement de l'algue et les mesures à prendre.
Mais le temps de la recherche, celui des demandes de financement et des appels d'offre, n'est pas celui des habitants, qui demandent des mesures rapides à l'échelle locale. "Que quelqu'un vienne chercher ces algues ! Nous alertons à ce sujet depuis 2019", s'agace Yves Riva. Le président du club nautique se souvient d'un tas déposé sur la plage il y a deux ans, "dont l'odeur avait généré un malaise chez au moins deux personnes".
L'action publique enlisée
À sa gauche, Christine Juste ironise : "Je brûle d'envie de venir nettoyer le port, mais ce n'est pas ma compétence. Si c'était une plage, je la fermerais". L'adjointe (EELV) à l'environnement à la mairie de Marseille dit avoir proposé un protocole à la métropole, en mai dernier, notamment concernant le ramassage et la surveillance de l'air. Le MIO a fait de même de son côté.
Faites un groupe de travail, une commission, appelez ça comme vous le voulez, mais faites quelque chose !
Un habitant
"Ce protocole n'est pas arrivé jusqu'à nous, rétorque Lionel Rossi, de la direction de l'environnement et des ports de plaisance. C'est peut-être un problème de timing. Mais tant que je n'ai pas la fiche sur cette algue, je ne suis pas compétent concernant sa toxicité". Dans le public, les soupirs d'impatience arrivent par vagues. "Ils ne le feront jamais" ; "mais combien êtes-vous à vous concerter ?" ; "faites un groupe de travail, une commission, appelez ça comme vous le voulez, mais faites quelque chose !". Pour conclure la réunion, le président du club de plongée interpelle les élus et scientifiques venus sur place :"Nous sommes vos yeux sous l'eau, ne nous oubliez pas".
La rade de Marseille envahie dans les prochaines années
Au vu du rythme actuel de propagation de l'algue, Sandrine Ruitton est formelle : toute la rade de Marseille sera touchée "d'ici dix ans". Les riverains les moins optimistes craignent que ce ne soit le cas dès l'année prochaine. Baignade, pêche et plaisance seraient ainsi fortement, voire totalement entravées. Quant à la sensibilisation à des pratiques qui pourraient freiner la prolifération de l'algue, "rien n'est prévu", reconnaît Nicolas Chardel, directeur adjoint du parc des Calanques. À la question fatidique "peut-on faire quelque chose ?", succède un grand silence. "Non, détache lentement Sandrine Ruitton, avant de marquer une pause. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il n'y a rien à faire. Juste à attendre que l'algue ait tout colonisé et qu'elle finisse par régresser naturellement".
Reste alors à prendre l'apéro à la guinguette du boulodrome. Dans l'impasse, les habitants continueront quelques années encore à discuter algues vertes, pollution et toxicité. Un riverain s'étonne : "C'est comme s'il n'y avait pas de mobilisation publique, on est perdus dans des explications techniques et on discute sur un terrain de boules !".
Commentaires
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Vertes, blanches, violettes et urticantes, elles prolifèrent partout : Riou, Bandol, Port d’Alon… Si rugulopteryx est connue, pour les autres c’est moins sûr. Une chose est certaine, avec tous les rejets liés aux activités humaines les biotopes changent et tant que les autorités considèreront que ce sont des phénomènes « naturels » les moyens donnés à la recherche n’évolueront pas. Va falloir s’habituer à porter des masques… à gaz pour le coup !
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J’ai l’impression de lire un bis repetita de l’histoire de l’algue Caulerpa taxifolia. Échappée probablement de l’aquarium de Monaco, celle-ci avait colonisé une grande partie du littoral français et, en l’absence de prédateur, constitué un danger majeur pour la biodiversité avant de régresser de façon imprévisible.
Plongeurs et biologistes, nous surveillions ses avancées comme le lait sur le feu, car nous savions que dès qu’apparaissait quelque part une bouture de cette algue si reconnaissable à sa couleur vert fluo, c’était foutu pour la vie sous-marine locale.
Il n’y a plus qu’à espérer que cette nouvelle algue invasive finisse elle aussi par régresser spontanément.
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ou investir dans la recherche en biologie, notamment sur les bactéries …
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