Le délicat relogement du centre médico-psychologique de Belsunce, chassé par les dealers

Actualité
le 30 Mai 2024
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En juillet 2023, les équipes médicales du centre médico-psychologique de Pressensé quittaient le quartier Belsunce. Onze mois après avoir emménagé provisoirement dans les locaux de l’hôpital Édouard-Toulouse, à des kilomètres de là, le CMP de Pressensé n'a toujours pas de nouveau site. Les soignants dénoncent l'éloignement d'avec leurs patients.

Le CMP de Pressensé et l
Le CMP de Pressensé et l'hôpital de jour ont été transférés vers le centre hospitalier Édouard-Toulouse. (Photo : OB).

Le CMP de Pressensé et l'hôpital de jour ont été transférés vers le centre hospitalier Édouard-Toulouse. (Photo : OB).

Sur la place pavée Louise-Michel, presque déserte, rien n’a changé. Devant les anciens locaux du centre médico-psychologique (CMP) de Pressensé et de l’hôpital de jour, la vente de shit se pratique en face des escaliers, dès 9 heures. Quasiment un an après le déménagement des deux structures vers le centre hospitalier Édouard-Toulouse (CHET) dans le 15e, à 11 kilomètres de là, les dealers sont toujours au rendez-vous. En juillet dernier, les intimidations et plusieurs intrusions dans les locaux avaient poussé le personnel à exercer son droit de retrait et la direction à fermer les portes du centre.

Après avoir définitivement abandonné l’idée de réintégrer les lieux, la vingtaine de salariés du CMP de quartier est toujours éloignée de ses patients. Selon le syndicat Sud santé, environ 10%, si ce n’est plus, d’entre eux auraient rompu leurs soins en raison de l’éloignement du centre. Une situation paradoxale puisque le suivi médical de la santé mentale est censé être sectorisé, c’est-à-dire au plus proche de la population. L’équipe soignante subit aujourd’hui cette situation provisoire, qui n’en finit pas.

Des heures perdues dans les transports

En poste depuis quasiment quatre ans et avec 24 années de psychiatrie à son compteur, Patricia*, infirmière au CMP, explique qu’elle doit désormais prendre les transports en commun pour se rendre sur son lieu de travail, mais aussi chez ses patients quand une visite à domicile s’impose. Entre le site d’Édouard-Toulouse et les patients de Pressensé, il faut compter au moins 30 minutes de trajet, sans parler des retards de transports et des aléas de la circulation. Patricia, qui n’arrive à voir qu’un à deux patients par jour, court sans cesse : “On a moins de temps avec les patients. On va moins en profondeur. On a une activité qui se dégrade”. Elle avoue ne même pas pouvoir retourner à l’hôpital et devoir souvent payer, à sa charge, son repas dans le centre-ville. “C’est compliqué pour certains patients. Ils ne se déplacent pas non plus”, déplore-t-elle. Certains d’entre eux, souligne-t-elle, ont également peur d’être stigmatisés en se rendant dans un hôpital, là où le CMP, structure plus petite, peut permettre de se sentir plus considéré. “Il y a très peu d’avantages à être sur Édouard-Toulouse”, résume-t-elle.

À un moment donné, on va s’épuiser. On jette tous un coup d’œil aux offres d’emploi.

Anne-Lise, infirmière

Ce bilan, Anne-Lise, infirmière depuis 16 ans, le fait aussi. Arrivée au CMP Pressensé en novembre 2023, soit après l’installation à Édouard-Toulouse, elle dit perdre plus d’une heure chaque jour dans les transports pour aller sur son lieu de travail, où elle n’en trouve pas forcément. Trop loin, trop excentré et mal desservi, “beaucoup de patients ne se déplacent plus”, précise-t-elle. Comme Patricia, Anne-Lise se déplace donc directement chez les patients. Mais admet que malgré ces efforts, le suivi reste “insuffisant”. L’infirmière prévient : “à un moment donné, on va s’épuiser. On jette tous un coup d’œil aux offres d’emploi. Mais pour l’instant, personne ne part”.

La recherche de locaux toujours en cours

Pour la direction et les autorités, trouver un lieu spacieux dans le centre-ville de Marseille, à bas coût et qui convienne aussi bien aux patients qu’au personnel, est un vrai défi. Contacté par Marsactu, le directeur Thierry Acquier répond brièvement : “On est en pourparlers par rapport aux nouveaux locaux”. 

Inquiet de l’absence de projet viable de relocalisation, le secrétaire général du syndicat Sud Santé, Kader Benayed, a multiplié les appels à l’aide. Il a ainsi décidé d’écrire à tous les parlementaires de France, assure-t-il. Parmi eux, le sénateur socialiste du Rhône, Gilbert-Luc Devinaz, a pu interroger la ministre de la Santé, Catherine Vautrin. Dans un courrier daté du 17 mai dernier, celle-ci assure qu’”une nouvelle localisation [du CMP Pressensé] interviendra prochainement, dans le centre de Marseille, pour permettre de retrouver de la sérénité dans les prises en charge au plus près des lieux de vie des patients, et permettre au personnel d’exercer ses missions dans des conditions normales”.

Même son de cloche du côté de l’Agence régionale de santé. Dans un mail adressé à Marsactu, elle indique que la “recherche [de nouveaux locaux] représente un objectif prioritaire pour la direction de l’établissement depuis plusieurs mois et pourrait, au regard des pistes envisagées par l’établissement, aboutir en cours d’année“.

Inquiétudes sur le choix du futur lieu

Mais les salariés ne sont pour le moment pas convaincus par les projets dont ils ont pu entendre parler. Selon Sud santé, l’endroit actuellement étudié serait un espace de 500 m² dans un immeuble de bureaux, situé derrière la porte d’Aix. Dans ce lieu, trois services seraient regroupés, pour “faire des économies”, regrette Kader Benayed, à savoir, le CMP de Pressensé, l’équipe mobile de soins intensifs (EMSI) et le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). Le syndicaliste pointe par ailleurs l’absence de place de parking pour les agents et d’espace extérieur pour les patients.

Les équipes commencent à être à bout. On n’a pas notre mot à dire.

Patricia, infirmière

Patricia et Anne-Lise regrettent que les informations arrivent au compte-goutte. “On nous maintient dans un flou où les équipes commencent à être à bout. On n’a pas notre mot à dire, souffle la première. De manière générale, les équipes ont l’impression de ne pas être tenues au courant. “On aimerait qu’il communique un peu plus avec nous”, insiste Anne-Lise au sujet du directeur.

Concernant les locaux à l’étude, elle se montre soucieuse : “Nous avons une patientèle avec des troubles psychologiques, comportementaux et aussi clochardisée”. Un public qu’il sera difficile de faire entrer dans un lieu qui ne serait pas complètement adapté, par exemple s’ils doivent passer devant un vigile pour pouvoir accéder au service. Sans parler de la cohabitation qui pourrait s’avérer compliquée avec les bureaux voisins. Pour l’équipe médicale du CMP, pourtant pressée de quitter le centre hospitalier Édouard-Toulouse, les divers scénarios évoqués ne coïncident pas avec les besoins de leur profession. En attendant, le statu quo perdure. Ce qui n’est pas sans conséquence pour des patients fragiles et parfois désespérés.

*Prénom modifié à la demande de l’intéressée

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Commentaires

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  1. RML RML

    Symptomatique de l’abandon par L’Etat de la psychiatrie…
    Et visiblement, personne n’est pressé de voir le CMP se réinstaller…
    Finalement, c’est mieux la drogue…CQFD

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  2. Tyresias Tyresias

    Au vu des lieux, et de ce que j’ai entendu d’usagers, je n’ai pas compris pourquoi le maintien à Pressensé n’avait pas été assuré par un îlotage policier soutenu.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Ilotage policier soutenu qui permettrait de cibler également les consommateurs, qui sont passibles d’une amende de 250€ pour les drogues dites douces et dont la demande entraîne l’offre.

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Symptomatique de l’hyper-centre.

    A Noailles, le primeur à l’angle de la rue des Feuillants et de la Canebière :
    – abrite sous ses parasols (pas d’étals en-dessous) les dealers
    – leur sert de caisse
    – leur sert de nourrice (les cartouches sont cachées sous les étals)
    – se fait ramasser ses déchets devant sa porte par les services de la propreté, contre quelques paquets / pochons.

    Et qu’on ne me parle du fait qu’il en serait victime : il vend de vilains fruits et légumes hors de prix, qu’il renouvelle quotidiennement. Argent du trafic > achat de mauvaises marchandises qu’il se moque de vendre légalement pour blanchir > revente des mauvaises marchandises au noir sur les marchés parallèles (Gèze par exemple) > bénéfice : argent du trafic + le black de ses fruits et légumes.

    On est à 100m du commissariat. Et il ne se passe jamais rien. Et les dealers sont 4, toujours les mêmes.

    Symptomatique donc, mais surtout d’une volonté de ne rien faire.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Électoralement parlant, il est plus “rentable” pour l’État, de dépenser des sommes colossales pour mettre sur pied des opérations XXL dont le résultat est très médiocre, pour ne pas dire nul.

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    • Alceste. Alceste.

      Ne soyez pas inquiet , notre “bon ” maire est allé à Alger chercher l’inspiration.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      A 100 m du commissariat de police, il ne se passe en effet rien, du moins rien qui puisse inquiéter les petits délinquants de tout poil.

      J’ai déjà eu l’occasion de dire ici qu’une partie des marchandises vendues sur le marché informel de Noailles était issue d’un circuit court : le vol dans les commerces du centre-ville. Parfois, on y voit encore les étiquettes de prix qui signalent le magasin d’origine.

      Les petites bandes qui se livrent à ces vols et à ces trafics sont toujours les mêmes, elles sont connues des commerçants, qui en parlent à la police, qui regarde ailleurs.

      Il y a en effet à l’évidence une volonté de ne rien faire. Et je ne souhaiterais pas être à la place des commerçants du centre-ville, abandonnés par les autorités depuis des décennies.

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    • petitvelo petitvelo

      Heureusement qu’il y a Marsactu, parce qu’à la Provence la consigne a été claire : place nette XXL est un giga succès du super président de notre bon actionnaire milliardaire local.

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  4. Patafanari Patafanari

    « La mauvaise monnaie chasse la bonne « . On peut extrapoler la loi de Gresham à l’éthique.

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    • Alceste. Alceste.

      Vous complétez par la théorie de Carlo Cipolla extrapolée aux voyous et vous avez Marseille bébé.

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  5. didier L didier L

    Macron. La flamme olympique sont passés et nous restons là avec les mêmes problèmes. Payan peut faire beau mais des quartiers s enfoncent et le rapport de force bascule en faveur du narco trafic. La fuite de ce centre en est la preuve. Incroyable que l activité de ces soignants n ai pas pu être protégée et imposée. Les dealers ont gagné en fin de compte

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    • petitvelo petitvelo

      dealers qui ne vivent que par leurs chers clients qu’on ne veut pas soigner

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  6. Mistral Mistral

    Comme le disait Einstein « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent »

    Combien de temps encore avant que les décideurs reconnaissent qu’ils ont échoué dans la lutte contre le trafic de drogue ?

    Depuis combien d’années les politiques nous annoncent qu’ils vont y mettre fin, Sarkosy avec son karcher, Darmanin avec ses opérations XXL.
    Et toujours le même résultat nul !

    Il est donc plus que temps de trouver d’autres solutions, et d’aborder sereinement la légalisation, avant que les trafiquants ne constituent de véritables armées et des réseaux de corruption qu’il sera bien difficile de démanteler.

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  7. Claude MICHEL Claude MICHEL

    Cela fait des années que tout a été fait au niveau de cet hôpital pour laisser pourrir littéralement la situation et ce lieu de soins. Il en est résulté un transfert sur le CHET inopportun et contraire à une logique de soins de proximité. C’est à l’Etat, aux elus d’agir

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