Le coup de pression d’un agriculteur contre des journalistes de France 2 jugé à Tarascon
Important exploitant agricole de l'Ouest du département, Didier Cornille était jugé ce lundi pour une agression sur des journalistes travaillant pour Envoyé spécial. Il a foncé sur eux en 4X4 alors qu'ils enquêtaient sur la situation des travailleurs détachés.
L'avocat de Didier Cornille dans la salle d'audience du tribunal de Tarascon. (Photo : PID)
Un peu plus d’un an après, le caméraman Thomas Guéry porte encore les conséquences d’une agression qu’il a subie alors qu’il était en reportage pour l’émission Envoyé Spécial de France 2. “Il a encore aujourd’hui une forme de gêne dans le cadre de son travail”, affirme son avocat, Marc Borten.
Ce 20 décembre, l’agriculteur Didier Cornille comparait devant le tribunal de police de Tarascon pour “violence n’ayant entrainée aucune interruption temporaire de travail (ITT)”. Le patron agricole est propriétaire de plusieurs milliers d’hectares dans les Bouches-du-Rhône et le Gard en plus d’être à la tête d’une vingtaine de sociétés dans l’agro-alimentaire et l’immobilier. Il est le principal client de l’entreprise Terra Fecundis, renommée récemment Work for all. Il joue aussi le rôle d’intermédiaire pour fournir des lieux d’hébergement aux travailleurs détachés de la société d’intérim agricole espagnole. En juillet 2021, Terra Fecundis et plusieurs de ses dirigeants ont été lourdement condamnés pour travail dissimulé en bande organisée par le tribunal judiciaire de Marseille.
Le 10 septembre 2020, Thomas Guéry réalisait un reportage sur les saisonniers détachés avec la journaliste Laura Aguirre de Cárcer. Une autre journaliste indépendante les accompagnait. Elle n’a pas porté plainte et souhaite rester anonyme. À ce procès, les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT et CFDT se sont portés conjointement partie civile. Ils dénoncent la “banalisation des violences à l’encontre des journalistes.”
À vive allure en direction des journalistes
Les faits de l’agression remontent au 10 septembre 2020, à l’entrée du mas de la Trésorière sur la commune d’Arles. Un lieu qui sert au logement de travailleurs agricoles détachés fournis par Terra Fecundis. Marsactu l’a visité en juin 2020, y constatant des conditions d’hébergement indignes alors qu’un cluster de Covid 19 s’y était déclaré.
Au cours des mois précédents, l’exploitant avait reçu des visites nombreuses de l’Inspection du travail, des services de l’État, de la gendarmerie et de la Croix rouge
Comme on peut le voir dans l’extrait vidéo du reportage, repris par Arrêt sur image, Laura Aguirre de Cárcer s’est présentée, déclinant sa qualité de journaliste à Didier Cornille alors au volant d’un pick-up. L’homme répond qu’il n’a pas le temps et poursuit sa route à l’intérieur de la propriété. Il revient quelque temps plus tard à vive allure et freine à quelques centimètres des jambes de Thomas Guéry. Puis il surgit de son véhicule et se rue sur les deux journalistes de France 2, sans que l’on puisse voir à l’image la scène.
Interrogé par le juge, Didier Cornille ne reconnait pas de violences volontaires. “Je ne suis pas violent. Je ne me suis jamais battu, je n’ai jamais été convoqué pour ça, exprime le prévenu, prostré, les deux mains sur la barre. Je ne voulais pas les agresser. Ce que je voulais c’est récupérer la caméra pour qu’ils ne filment pas.” Il explique que la visite des journalistes résonnait alors en lui comme “la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’était la fin de saison et on avait vécu un enfer depuis mars.” L’enfer pour monsieur Cornille, c’est que son mas a été l’objet de nombreuses visites de l’Inspection du travail, de la préfecture, de l’Agence régionale de santé (ARS), de la direction des territoires (DDTM), de la gendarmerie et de la Croix rouge.
“J’estime qu’il a porté des coups”
Le président Francis Sellier met en doute la version du prévenu en citant les certificats médicaux des deux plaignants. Des “légères douleurs à l’épaule et des tensions musculaires”, pour Laure Aguirre de Cárcer, qui n’a pas pu venir à l’audience. “Lombalgie basse, douleur au poignet gauche, douleur cervicale et contracture musculaire au trapèze droit”, pour Thomas Guéry. Puis le juge commente la vidéo : “Ce qui m’a le plus choqué, ce n’est pas ce que j’ai vu, mais ce que j’ai entendu. Dans sa voix, madame Aguirre avait une trouille pas possible.”
Imaginons la situation où vous n’arrivez pas à freiner… Aujourd’hui vous seriez en correctionnelle, voire aux assises.
Serge Balducci, ministère public
“Si la dame a eu des coups, je m’en excuse, ce n’était pas volontaire“, concède Didier Cornille. Au moment de prendre la parole, le représentant du ministère public l’interpelle sur l’usage du véhicule : “vous aviez un 4X4 puissant. Imaginons la situation où vous n’arrivez pas à freiner, à maitriser votre véhicule et que les conséquences soient des blessures graves pour les victimes… Aujourd’hui vous seriez en correctionnelle, voire aux assises”, lance Serge Balducci.
Liberté d’informer
“Moi j’estime qu’il a porté des coups. J’avais ma caméra en bandoulière, témoigne Thomas Guery. J’ai tenu à travailler ensuite, à finir ce reportage, c’est pour cela que je ne suis pas rentré dans des déclarations d’ITT.” À la demande d’Alain Lhote, l’avocat des syndicats de journalistes, le président accepte que des représentants syndicaux témoignent. “Être journaliste aujourd’hui en France, c’est prendre le risque d’être agressé. Et je le dis à monsieur Cornille : on ne vous laissera pas faire”, affirme Alain Morvan, représentant de la CFDT journalistes. Pour Jean-Manuel Bertrand du SNJ, c’est “la liberté d’informer pour éclairer le citoyen” qui est aussi attaquée.
“Je ne représente pas des paparazzi. Je représente des journalistes qui sont là pour informer de manière très légitime sur un sujet d’intérêt général. Et le sujet n’est pas anodin”, ajoute Marc Borden, l’avocat de Laura Aguirre de Cárcer et Thomas Guéry, lors de sa plaidoirie. Il demande des dommages et intérêts à hauteur de 2000 € et, conjointement avec l’avocat des syndicats, un euro symbolique de préjudice moral. “On voit des choses qui sont inquiétantes dans cette société. On voit même des rédactions qui embauchent des agents de sécurité pour leurs journalistes. À un moment donné, il faut que la justice dise stop”, plaide Alain Lhote, pour qui le 4X4 de l’agriculteur représente bien “une arme par destination”.
Le ministère public réclame pour sa part 700 euros d’amende. “À l’avenir, essayez de garder votre calme et votre sang froid face à la presse”, lance-t-il au prévenu. En défense, l’avocat du prévenu Fabrice Baboin rappelle que les plaintes avaient été une première fois classées sans suite par le parquet pour “absence d’infraction”. Les demandes de précisions envoyées par Marsactu au procureur de la République à ce sujet n’ont pas obtenu de réponse. L’avocat de Didier Cornille s’interroge : “Est-ce le procès de cette altercation, le procès d’un exploitant agricole ou le procès des agressions contre la presse ?” S’il concède que “la séquence [qui est jugée] n’est pas belle, regrettable”, il demande à ce que le jugement reste dans le cadre d’une “infraction légère”, en respect du périmètre du tribunal de police. La décision sera rendue le 21 février.
Commentaires
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Il a donné des idées à Zemmour…
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Bonjour . Je n’ai pas de commentaire à proposer, mais deux questions:
– Qu’est-ce qui, en cette affaire, demande un tel délai pour arrêter un jugement?
– Qu’est-il advenu de la tenue du ou des procès prévus en novembre et au-delà au calendrier de l’affaire “Terre Fecundis”, de ses clients et de l’URSSAF?
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Le titre de l’article parle d’un agriculteur, on pourrait s’attendre à l’histoire d’un homme accablé… En réalité, c’est plutôt un homme d’affaires, voire un affairiste qui ne supporte pas qu’on regarde de trop près ses affaires. Ou alors un exploiteur agricole…
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Très pertinente, la formule EXPLOITEUR AGRICOLE pour désigner ce variant – pervers – du ‘politiquement correct’ EXPLOITANT AGRICOLE consacré pour remplacer le vieux PAYSAN.
Puisque nous somme corseté.e.s par la ‘langue de bois’, autant faire ‘langue de TOUT bois’, à l’instar de Happy !-)
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Il aurait foncé comme ça sur une patrouille de police, les choses ne se seraient sans doute pas passées comme ça. Mais les journalistes n’ont que leur crayon Bic pour se défendre contre les furieux. « La justice » s’est montrée bienveillante à son égard
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A ce qu’il semble, les journalistes ne disposent pas de réseaux et de “groupes de pression” équivalents à ceux des “exploitants” et “affairistes”, et susceptibles, eux, de booster la diligence de la Justice.
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