Le Comptoir Toussaint-Victorine, la mort à petit feu

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le 11 Avr 2012
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Le Comptoir Toussaint-Victorine, la mort à petit feu
Le Comptoir Toussaint-Victorine, la mort à petit feu

Le Comptoir Toussaint-Victorine, la mort à petit feu

Pénétrer dans le Comptoir de la Victorine, à la limite du quartier de la Belle de Mai et celui de Saint Mauront relève du parcours du combattant. Après la traversée d’un hangar sombre aux allures de site industriel désaffecté, l’on débouche sur une sorte de grenier recelant des merveilles: des objets lumineux, des livres entassés dans une brouette, une cabane en bois destinée à la projection de films…Et derrière une porte, une salle de théâtre, le grand rideau rouge flashant sur les voûtes de cette caverne d’Ali-Baba. Le site, créé en 1860, a d’abord abrité une manufacture d’allumettes de marque Caussemille, avant de devenir en 1910 la Société Planchon Bourget – une herboristerie et un lieu de transformation et de conditionnement d’épices. En 2006, la vente du site à un promoteur immobilier a été annoncée, mais face à la mobilisation des artistes et des habitants du quartier, c’est finalement la ville qui a acheté le Comptoir deux ans après, assurant la pérennité du lieu.

Aujourd’hui, le Comptoir Toussaint-Victorine réunit un collectif d’artistes et se scinde en deux parties indépendantes mais liées: le Comptoir de la Victorine et le Comptoir Toussaint. Le Conseil Général 13 vient de voter une enveloppe de 2,2 millions d’euros pour la réhabilitation du site tandis que la Région Paca a confirmé son intérêt pour le sujet. Pourtant, les résidents de l’ensemble sont inquiets car le site se détériore petit à petit par manque d’entretien. Les stigmates de l’altération sont à peine visibles pour l’heure mais des fissures, des petites infiltrations d’eau apparaissent ici et là. Les associations ne sont pas autorisées à réaliser des aménagements essentiels et déplorent surtout le fait de ne pas être davantage consultées. L’avenir du Comptoir n’est plus directement menacé comme il l’était en 2006, mais les artistes regrettent d’assister, impuissants, à la lente agonie d’un lieu emblématique de la culture à Marseille.

Les “occasionnels de l’art”

Dorine Julien, directrice de production pour l’association Les Pas Perdus explique l’originalité de son collectif : “il s’agit d’un groupe d’artistes et de plasticiens qui ont vocation à travailler avec des non initiés, des personnes qui ne sont pas artistes mais seulement intéressées par l’art et que nous appelons dans notre jargon les occasionnels de l’art”. Le collectif cohabite au Comptoir de la Victorine avec l’association l’Art de vivre et plus récemment avec la troupe Cartoun Sardine théâtre. Régulièrement, des orchestres et des fanfares viennent répéter et s’enregistrer dans un studio mis à leur disposition. Le collectif des habitants de La Belle de Mai et de Saint Mauront Brouette et compagnie investit provisoirement les lieux. Il organise des trocs de livres dans des brouettes, des aménagements urbains…Au rez-de-chaussée siège une cartonnerie, touche détonnante dans un tel endroit a priori dédié à la culture: “Il est intéressant de réunir dans un même lieu des structures qui possèdent une logique différente, qui ne sont pas uniquement culturelles. Cela créé des dynamiques, empêche l’entre-soi. Et puis c’est plus représentatif de la vie du quartier, à la fois culturelle mais aussi économique”  estime Dorine Julien.

Si des vols sont à déplorer de temps à autre, ce sont les problèmes de vieillissement des charpentes et de la toiture qui affectent réellement le comptoir. D’après les normes de sécurité, il ne devrait pas y avoir plus de vingt personnes en même temps sur les lieux, chose impossible au vue du nombre d’associations et des visiteurs qui passent régulièrement. La plupart des associations entretiennent en effet une relation participative avec les habitants du quartier, mais n’ont pas vocation à faire du social. Ainsi, la directrice de production des Pas Perdus précise que ” l’idée du collectif est de trouver des points de rencontre où l’on peut s’associer avec les habitants, collaborer avec eux autour d’une hypothèse de travail. Nous créons un langage esthétique avec la dimension poétique de la personne, sa part la plus individuelle, plutôt que de nous attacher à l’histoire de sa famille ou de ses origines.” 

C’est d’ailleurs dans cette logique que Les Pas Perdus ont lancé “Le Chantier tunning d’appart” : “Nous sommes partis du constat que les personnes jettent leurs meubles dans la rue pour s’en débarrasser. Des artistes et des techniciens se sont mis au service des habitants – vingt participants durant trois ans – pour réinventer des nouveaux meubles à partir de ceux qu’ils avaient jetés. C’était à la fois une démarche empirique mais aussi très philosophique car les personnes devaient parler d’elles, de leur manière de vivre, de leurs goûts, leur rapport à la vie. Nous voulions créer une sorte de mobilier à leur image.” Ainsi, un lampadaire cassé a rééclairé le quartier avec des chaises lumineuses, un aquarium a été inséré au coeur d’une armoire…

L’art autrement

Au Comptoir Toussaint, séparé par une cour du Comptoir de la Victorine, la compagnie de danse contemporaine Itinérrances existe depuis près de vingt ans et s’est implantée dans l’ancienne manufacture dix ans plus tôt. Impulsée par la chorégraphe Christine Fricker, elle organise des cours de danse gratuits un soir par semaine, anime des ateliers de danse contemporaine pour les habitants du 3ème arrondissement. Chaque association cultive ainsi sa singularité, bien affirmée autour d’une identité commune, celle d’une “fabrique d’art et de culture pour un art autrement avec les habitants autour de l’articulation entre patrimoine et création”  explique d’une traite Dorine Julien. “La ville souhaiterait peut-être davantage d’unicité dans les structures, elle aimerait peut-être en faire un ensemble tourné uniquement sur la culture, et avoir son mot à dire sur la programmation. Mais nous n’avons pas besoin d’une deuxième Friche de la Belle de mai !”

La Bicoque des anciens propriétaires du site, vieille bâtisse vestige du XIXe siècle demeure pour l’heure une coquille vide, où seuls résonnent les pas des fantômes d’autrefois, faute de réhabilitation. Alors que les nouvelles structures architecturales fleurissent, parant la ville de nouveaux atours en vue de Marseille-Provence 2013, la Bicoque abandonnée sonne le glas d’un patrimoine industriel et culturel florissant.

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Commentaires

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  1. malibo malibo

    Je crois connaître le lieu , mais j’aimerai m’en assurer . J’habite la région paca et je suis artiste peintre .
    Pouvez-vous m’envoyer un petit mail en vu d’une rencontre .Merci

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  2. Nathalie Nathalie

    honteux!! LA ville abandonne non seulement des bâtiments classés et historiques mais aussi et surtout des associations et des professionnels de terrain qui oeuvrent pour le bien être des habitants à travers l’art et la culture ouverts à tous et d’un quartier populaire….Elle est belle “MARSEILLE capitale européenne de la culture”!

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