Le calvaire quotidien des locataires d’un immeuble des Flamants squatté à 90%
L'essentiel des 145 appartements du "tripode" des Flamants (14e) sont squattés. Les conditions de vie des derniers locataires, appelés à être relogés, se sont dégradées au fil des mois. Deal, prostitution et insalubrité génèrent des tensions qu'ils n'arrivent plus à supporter.
Le calvaire quotidien des locataires d’un immeuble des Flamants squatté à 90%
Le décor tient de la routine dans les petites cités marseillaises : deux entrées, deux barrages de chariots et de poubelles, deux chaises, deux jeunes choufs. Mais les ultimes locataires réunis au pied du dernier “tripode” des Flamants (14e arrondissement) ont fini par ne plus voir les vigies mutiques et la ronde des clients. Ce bâtiment à la forme bizarroïde – trois ailes reliées à un corps central – n’en finit plus de dépérir. Et ses derniers locataires, de vivre un cauchemar.
Dans la cour, Rosalie, Sahila, Kad, Jean-Luc, Marie (*) et quelques autres discutent. Sous le ciel gris, ils ressassent leur désarroi commun. “On est tous seuls ici, abandonnés et tout le monde s’en fout”, pose Jean-Luc. Inclus dans le périmètre du chantier de réhabilitation du quartier financé en partie par l’Agence nationale de rénovation urbaine depuis 2005, le tripode, propriété de 13 Habitat doit être en partie détruit, en partie réhabilité. Avant que les travaux ne commencent – à une échéance encore bien floue – les titulaires des 145 logements sociaux doivent être relogés.
106 squats sur 120 logements vacants
L’opération s’étire en des délais incompréhensibles. Les habitants en attente d’un nouveau logement ont manifesté leur colère devant le siège du bailleur, la semaine passée. L’essentiel des résidents a vidé les lieux depuis trois ans, mais il en reste une poignée – moins d’une quinzaine -, disséminés au gré des étages. “Et tout le reste est squatté”, lâche Jean-Luc. Ce que confirme l’office HLM qui dénombre actuellement 106 squats sur 120 logements vacants.
Dès qu’un appartement se libère les gens se battent pour y entrer. Ils se tapent, ils crient. On a peur qu’ils se tuent.
Kad, locataire
De fait, les bâtiments sont loin d’être déserts. Les portes dépareillées aux serrures toutes neuves, comme les nombreuses poussettes entassées dans les halls disent que de nouveaux occupants vivent là. “Il n’y a pas un appartement de libre”, glisse Kad. “Et dès que l’un se libère les gens se battent pour y entrer. Ils se tapent, ils crient. On a peur qu’ils se tuent. Des fois, ils se prennent à coup de couteau ou pire”, complète Sahila. Sur la façade de son immeuble, elle pointe quatre impacts de balle.
Sahila grimpe les escaliers péniblement. Le bailleur a condamné les ascenseurs fin décembre “pour raison de sécurité”. Une voisine du 8e monte ses courses avec un palan. Elle attend toujours le service de portage des courses à domicile promis par 13 Habitat. Au 2e étage, la sexagénaire passe devant un logement dont l’entrée, murée, vient d’être fracassée. Des gravats et des bouts de parpaings jonchent le sol. “L’appartement n’est pas encore occupé, mais ça ne va pas tarder”, poursuit la dame.
Altercations et trafics
Soudain, devant l’entrée n°2, la tension déjà électrique devient explosive. Le ton monte brutalement à propos d’un téléphone entre plusieurs jeunes hommes qui vivent dans des appartements occupés. L’un d’eux est jeté à terre. Le bruit mat des coups de pieds et de poing sur son corps résonne dans toute la cour. À moins de 10 mètres, le chouf en poste ne bouge pas d’un cheveu. La scène est aussi surréaliste que violente. Les locataires médusés y assistent, partagés entre la peur et l’impuissance. Un homme finit par intervenir.
Les squatteurs rencontrés ne veulent pas parler. Un couple de Roms avec un chariot à provision, deux hommes blonds “originaires des pays de l’Est” dit un voisin, et beaucoup de jeunes Africains. Tous expliquent qu’ils ne comprennent pas le français. Quatre jeunes passent en direction de l’entrée 3 : ils ne veulent pas dire de quel pays ils arrivent, mais s’expriment en anglais entre eux. “Ce sont des Nigérians, croit savoir Kad. Ils sont majoritaires ici.” La situation des Flamants n’est pas inédite à Marseille, où les hébergements d’urgence et les logements pour demandeurs d’asile manquent cruellement. Plusieurs autres cités de la ville ont connu et connaissent les mêmes situations depuis plusieurs années.
Du coin de l’œil, Kad regarde le petit groupe qui tient les murs à l’entrée 2 : “Ils s’empèguent, ils se droguent et après il se tapent dessus.” Deux hommes entre deux âges s’engouffrent dans l’immeuble. Rosalie soupire : “Il y a de la prostitution, on le voit bien que ça monte. On n’est pas idiots.” Sahila a honte. “C’est pas un bordel ici ! Mes petits-enfants, miskine, ils ne veulent plus venir, ils ont peur”, se désole-t-elle. Le long des crépis beige et marron passés, des gros câbles galopent çà et là. Signe de branchements électriques non-conformes. La sexagénaire ouvre un placard et montre un fouillis de fils électriques et de boîtiers noircis par un début d’incendie. Dans le réduit voisin, un gros rat sursaute lorsqu’elle entrebâille la porte.
Dans leur appartement tout pimpant, Sahila et Hadj attendent que la fin de l’après-midi s’écoule jusqu’à la rupture du jeûne du ramadan. “Les rats, c’est pas le pire”, souffle le manutentionnaire retraité. “Moi j’ai peur qu’il y a ait un court-circuit et un incendie. Et alors on fera quoi ?”, dit l’homme très diminué par le diabète. De la cuisine, où mijotent des aubergines aux pois chiches, on entend la musique à fond à l’étage du dessous. “La situation est atroce. On ne dort ni la nuit, ni le jour…”
Zaïnaba vit dans la peur constante. Elle voudrait partir “Dans un quartier normal, avec des gens qui ont une vie normale”.
Au 10e étage du même bâtiment, Zaïnaba non plus ne ferme pas l’œil. Elle élève seule ses deux filles, adolescentes, dans la peur constante de son nouveau voisinage : “Certains squatteurs draguent mes filles. Ils leur parlent, leur disent des choses sales. La nuit, parfois, ils essayent d’entrer. Alors, je reste assise dans le salon face à la porte. Je ne dors pas.” Comme tous, la mère voudrait partir d’ici. “Dans un quartier normal, avec des gens qui ont une vie normale”, dit Zaïnaba.
160 signalements, aucune réponse
Ces nouveaux arrivants, Hadj en a assez : “Moi j’ai toujours payé. Même les charges pour l’ascenseur alors qu’il n’y en avait plus. Mais les squatteurs, eux, ils ont tout gratuit…” Kad n’en est pas si sûr. “En fait, ils se louent les appartements entre eux. Ils s’entassent à une famille par chambre.” La possibilité d’intermédiaire, marchands de sommeil qui tirerait des bénéfices sur des logements pourtant publics ? Marie ne l’écarte pas. Mais c’est le cadet de ses soucis.
Lorsque cette quadragénaire pousse la porte de son appartement, l’odeur d’humidité saisit. Les murs sont à ce point gorgés d’eau que la cloison entre le couloir et la cuisine bouge. Même chose chez Rosalie qui, au 8e, se désole de son plafond qui cloque en permanence : “Ils se branchent sur l’eau avec des tuyaux. Mon ancien assureur ne voulait plus m’assurer à cause des dégâts des eaux. J’ai changé d’assureur et je ne les déclare plus…”
Son fils dit avoir fait “plus de 160 signalements sur le site internet de 13 Habitat”, pour demander à l’office d’intervenir. “Je n’ai eu aucune réponse.” Il raconte une astuce qu’on se refile entre ultimes locataires: “Quand on paye pas le loyer, on nous envoie d’abord une feuille rouge et ensuite on nous appelle. Alors, là, enfin… on a quelqu’un de 13 Habitat en ligne.” Il n’en peut plus d’appeler à l’aide.
Le président du bailleur, Lionel Royer-Perreaut (LR) a rencontré “la préfète de police à ce sujet ainsi que la préfète pour l’égalité des chances très récemment”, répond l’office. “Les moyens restent limités et inopérants au regard de l’ampleur des problématiques qui ne peuvent pas être portées seulement par le bailleur”, précisent les services de 13 Habitat. Ils refilent la patate chaude à la préfecture de police, liée au bailleur depuis septembre 2018 par un “protocole de coopération”. Censé “renforcer la sécurité des locataires” en premier lieu, ses effets sont invisibles aux Flamants. La préfecture de police renvoie, elle, vers la préfecture des Bouches-du-Rhône, qui doit demander le recours à la force publique en pareil cas. Les conditions de vie des habitants ne font qu’empirer. 13 Habitat assure chercher actuellement des solutions de relogement adaptées à chaque locataire.
“Les élections arrivent, ils vont revenir nous voir !”
Sahila lève les yeux au ciel. Assise sur le canapé rouge et or de son salon, elle se moque. “Ah, les élections arrivent, ils vont revenir nous voir !” Elle se souvient encore des tournées pré-municipales. “[La tête de liste LR] Galtier est venu et [la maire de secteur] Bareille aussi. Ils devaient nous aider. J’attends toujours !”, regrette-t-elle.
Dans son salon tout blanc, que le couple repeint “sans arrêt” pour tenter de masquer les traces d’humidité, Jean-Luc est à bout. “On a frappé à toutes les portes. La mairie, la préfecture, le bailleur. 13 Habitat a des aides pour construire des immeubles. Des aides pour nous reloger. Ils ne le font pas.” Sur le sol mouillé, les dalles de lino ne tiennent plus. Il en pousse une du bout du pied. “Et nous, on nous laisse crever là.”
(*) À leur demande des habitants, certains prénoms ont été modifiés.
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Commentaires
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Marseille…
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Marseille !
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Il n’y a pas que Marseille dans cette situation, hélas j’ai envie de dire, ce serait circonscrit à une seule ville… Misère, précarité, chômage, immigration illégale, etc etc, la litanie sans fin des causes s’amoncellent. 160 squats sur 120 logements, il est sûr que Royer-Perreaut nantis de tant casquettes va trouver la solution. Je me demande d’ailleurs si elles existent les solutions…
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Incroyable…comment est ce possible…
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C’est possible car en 25 ans Gaudin et sa bande ont gaspillé l’argent des contribuables marseillais dans des réalisations inutiles: patinoire ,grand stade ,tramway doublonnant avec le métro ,Il a en outre hypothéqué l’avenir en accueillant les JO maritimes
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Le cocktail est complet:
Défaillance insupportable des pouvours publics, qui abandonnent des quartiers dans le dédale de procédures administratives et comptables incompréhensibles, comportements inqualifiables des squatteurs, trafics de toutes sortes … Tant qu’il n’y aura pas de crime, on fermera les yeux sur les trafics, on parlera “d’incivilités “, les bonnes âmes mettront en cause la générosité de ceux qui osent se plaindre quand on ne les accusera pas de “racisme”. Cette situation ne touche pas des nantis mais des personnes qui sont les plus modestes, captives de ces non-lieux abandonnés des pouvoirs publics.
Ce n’est malheureusement pas que marseillais bien que je soupçonne la municipalité précédente d’avoir traîné les pieds pour apporter sa quote part à l’ANRU.
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Si seulement la Ville avait depuis Gaudin imposé 30% de logements sociaux dans toutes les opérations de logements et dans tous les secteurs, à partir de 20 ou 30 logements construits, on n’en serait pas là, et une bonne partie de ces locataires et squatteurs auraient pu être correctement logés, et les projets de réhabilitation avancer plus vite….
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