Le blues des oubliés de la rue de la République

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le 29 Mai 2013
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Le blues des oubliés de la rue de la République
Le blues des oubliés de la rue de la République

Le blues des oubliés de la rue de la République

"Je ne souhaite pas que les 600 familles soient relogées sur place…" Voilà qui est plus que clair. En 2004, l'adjointe au logement, Danièle Servant, confiait déjà au quotidien Libération sa vision de l'avenir de la rue de la République. Pour les acteurs de la réhabilitation, la rénovation des immeubles allait de paire avec la régénération des habitants. Jugée trop populaire voire moribonde, la couleurs sociale de la rue devait se modifier au fur et à mesure que les travaux avançaient. 

Habitante de la rue de la République depuis une vingtaine d'années, Monique Roussel est l'une de ceux qui ont mis à mal les volontés des deux investisseurs, ANF-Eurazéo et Atemi, et de la volonté politique de la Ville. Après avoir vécu au numéro 51 pendant près de 12 ans, elle regarde désormais son ancien appartement depuis la fenêtre de son nouveau logement, de l'autre côté de la rue. "Lorsque mon bail est arrivé à son terme, on ne m'a pas proposé de me reloger. Et dire que ce sont des Américains [Atemi était une des filiales de la banque américaine Lehman brother's, ndlr] qui ont voulu me faire partir, c'est le pompon ! Je me suis battue pendant un an avant de pouvoir avoir un nouvel appartement", nous explique-t-elle.

Entre ravalement de façades et expulsions

D'autres n'ont pas eu cette chance. Aujourd'hui lorsque Monique Roussel arpente sa rue, ce ne sont quasiment que des visages inconnus qu'elle rencontre : "Nous ne connaissons pas les nouveaux arrivants. Il n'y a plus de magasins de proximité où l'on peut rencontrer les gens. On se croise sans se parler". Sur les 600 familles présentes au début du projet de réhabilitation, peu sont encore dans le quartier. Les enfants des anciens habitants ont généralement préféré écarter leurs parents, souvent âgés, de cet éternel chantier. "Beaucoup de locataires bénéficiaient de la loi 48. Ils ont loué leurs appartements au lendemain de la guerre et y ont habité sans demander des travaux préalables. Leurs loyers étaient très bas et on ne pouvait pas les augmenter ni les virer. Les investisseurs ont donc proposé des grosses sommes d'argent pour les faire partir. Et souvent ce sont les enfants qui acceptaient ces propositions", confie tristement Vincent Abad, ancien commerçant de la rue.

Lui aussi est l'une des victimes de la réhabilitation. Quand le bail de son kiosque s'est achevé, Vincent Abad a dû quitter la rue. Que ce soit Atemi ou ANF-Eurazéo, les deux investisseurs ont toujours eu beaucoup d'ambitions en matière de commerces. Bars tabac, épiceries ou boulangeries n'ont jamais eu assez d'envergure pour séduire ces pontes de l'investissement. Et à la place de l'ancien kiosque de Vincent Abad, se tient maintenant les bureaux de vente de l'une de ces deux sociétés. 

J'ai perdu mon commerce, mais je ne suis pas le seul. Je me souviens de cette boulangerie à côté de la place Sadi Carnot, les propriétaires ont dû partir aussi. Ils étaient à quelques années de la retraite et ils ont tout perdu. Pour ma famille et moi, cela a été un gros coup dur, mais nous avons avancé. A cause de cette réhabilitation, d'autres sont morts de chagrin.

Pour le commerçant, cette expropriation a été la goutte d'eau qui a fait débordé le vase : depuis la perte de son kiosque, Vincent Abad a quitté définitivement Marseille. "Je ne reconnais plus le quartier. Toutes ces histoires nous ont massacrés. On a eu l'impression que l'on était considéré comme des squatteurs. Pour eux, la rue de la République n'abritait que des miséreux. Ils ont voulu faire venir la bourgeoisie et redorer l'image du quartier. Une fois qu'ils ont fait les travaux, ils ont construit des parkings et des crèches. Nous pendant 30 ans nous nous sommes contentés de magasins fermés. Ils ont amené de l'animosité dans le quartier", s'emporte Vincent Abad, encore très ému.

De la sueur, du sang et des larmes

Pour les deux amis, membres actifs de l'association de quartier, Solidarité mieux vivre, un sentiment d'amertume persiste. Si le plus gros des travaux a été fait dans les appartements de la rue, le "renouvellement" des locataires ne semble pas encore fini. Selon David Escobar, membre de l'association Un centre-ville pour tous, l'investisseur ANF-Eurazéo continue une forme "d'exclusion par le marché". Si Atemi préfère le non-renouvellement de bail, ANF-Eurazéo a quant à lui choisi d'augmenter les loyers. A écouter, le président du directoire d'ANF-Eurazéo, Bruno Keller, cette augmentation est "inévitable" et les loyers "s'alignent strictement sur le marché". Du côté des riverains, ce n'est pas vraiment le même son de cloche. Et comme quelques années en arrière, les habitants inquiets se retournent vers les différents collectifs en quête de réponses : "Certes on en entend moins parler, ça fait moins de bruit que les non-renouvellement de baux mais ça continue. Sur le premier tronçon de la rue, entre le Vieux Port et la Place Sadi Carnot, quand un locataire veut reconduire son bail, il voit son loyer doubler voire tripler. La plupart ne peut pas rester. Au final, même si les manières diffèrent, le résultat est identique", racontent les deux acolytes.

Avec cette nouvelle vague de départs forcés, les souvenirs douloureux de ces 10 années de lutte remontent à la mémoire des membres de Solidarité mieux vivre. "Pendant des années, on n'a parlé que de ça. Quand on rencontrait des voisins, la première chose que l'on voulait savoir c'était si ils avaient reçu une lettre de non-renouvellement", confie Monique Roussel. "Les gens ont eu peur. Il y a eu des pratiques louches de la part de l'investisseur Atemi. On a eu des arrivées massives de squatteurs. Il y avait aussi des médiateurs qui essayait de convaincre les riverains de partir, parfois de manière assez musclée… Mais on s'est rassemblé et on les a bien embêtés aussi. Même si tout le monde n'a pas été relogé, on a parfois obtenu gain de cause".

Dans son nouvel immeuble, Monique Roussel, a retrouvé ses anciens voisins, relogés à leur tour. "Atemi a rempli l'immeuble avec les anciens habitants, et ensuite ils l'ont vendu au bailleur social Nouveau logis provençal. Les logements étaient pleins avant même d'être sur attribués", révèle la riveraine. Quelques victoires pour combien de défaites ? Personne n'est capable de le dire. Si les investisseurs communiquent volontiers sur les investissements réalisés, les bilans sociaux se font toujours attendre. Difficilement réalisables par les associations, ces bilans ne semblent pas être une préoccupation première des propriétaires. Plus de dix ans après le début du renouveau annoncé, le plus gros du ménage est fait, les riverains ont quitté les lieux, mais bon nombre d'appartements sont toujours vides et pas forcément encore rénovés.

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Commentaires

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  1. nico nico

    Je vis vers le bd des Dames depuis 5 ans. je n’ai donc pas beaucoup de points de comparaison sur la vie du quartier d’avant mais je peux tout de même constater certaines choses.
    Les appartements se vident et les loyers proposés sont exorbitants pour des appartements pas forcément rafraîchis : 1000€ pour 50m².
    Bon nombre de commerces sont étouffés par les loyers : les buralistes, les boulangers, les médecins généralistes, les pharmacies… on voit donc fleurir les cabinets de chirurgie esthétique ou autres trucs hype ecotrucs et biomachins.
    Ce n’est pas pour autant que les magasins restent : faudrait faire une étude mais sur la partie basse de la rue il me semble que Levi’s a fermé, Arena et bon nombres de grosses enseignes se sont cassées les dents sur les loyers.
    Enfin le traitement des anciens habitants a été purement scandaleux. Quand ceux-ci n’ont pas abandonné l’idée de rester malgré des années de travaux et des gros chèques, ils se sont faits expulser. Je me rappelle bien de l’expulsion forcée de la famille qui faisait tourner Heng Heng : plus de 150 CRS mobilisés, une personne âgée descendue de force sur un siège et jetée dans la rue pour finir par une charge avec lacrymaux à 16h30 au moment de la sortie d’école d’à côté devant des passants abasourdis.
    Menfin on s’en fout de tout ça, y a pleins de touristes, bientôt des terrasses du port, un casino… L’important c’est la nouvelle sociologie politique et le taux de rentabilité des fonds de pension.
    le port ? quel port ?

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  2. eric eric

    pour ma part lorsque l on regarde dans le retroviseur je trouve plus normal qu ene avec de si beaux batiments soient fait pour des personnes avec des moyens financiers en accord avec cette nouvelle sociologie arretons la mediocrite dans cette ville vive les gens quiammene de l argent en payant des impoots locaux et des impots fonciers en plus ceux la peuvent comsommes dans les commerces du centre ville bienvenue a ses nouvelles populations et je souhaite que des nouvelles populations plus fortunes viennent vivre en centre ville comme dans la plupart des villes de france
    marre de la mediocrite vive la petite bourgeoisie

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  3. Electeur du 8e Electeur du 8e

    La “vision de l’avenir” du centre-ville par la municipalité actuelle a aussi produit la ligne T2 du tramway, en toute rigueur inutile puisqu’elle traverse des quartiers déjà desservis par le métro. Mais elle a eu l’avantage de masquer, derrière l’apparence d’un projet de transport, un projet de rénovation urbaine dont le but était de faire progresser les prix du foncier pour “régénérer” (sic) la population avoisinante.

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  4. julijo julijo

    BOYCOTTEZ LA RUE DE LA REPUBLIQUE, EN SOLIDARITE AVEC SES ANCIENS OCCUPANTS EXPULSES, ET PARCE QU’ELLE MANQUE D’INTERET !!
    C’est lamentable ce qui s’est passé dans cette rue. “Vieille” marseillaise je me souviens de la vivacité et du dynamisme de cette rue que j’ai monté et monté vers la Rue Plumier…toute la longueur quasiment…On trouvait des tas de magasins !
    J’y suis revenue plus tard avec le tram “visiter” les nouveaux superbes magasins annoncés. Ben déçue ! à part HetM et une boutique sympa de chaussures, j’ai trouvé le reste (petit le reste) pas exceptionnel du tout. Du coup j’ai décidé de boycotter, je préfère l’humain au fric ! tout ce scandale pour ça.

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  5. Chevaldetroie Chevaldetroie

    Qu’est-ce qu’on peut se marrer sur ce site. C’est toujours bon d’y venir faire un tour. Y’en a donc qui nous expliquent que la rue de la République c’était que du bonheur avant… que la rue était dynamique et qu’elle avait plus de gueule qu’aujourd’hui. Et oui le ridicule ne tue pas. Ce qui me fait marrer c’est aussi tous ces locataires qui se prennent pour des propriétaires de la rue. Ils payaient un loyer misérable car possédaient un vieux bail jamais indexé, voire ils ne payaient pas du tout pour certains qui étaient déjà en procédure pour impayés avant même l’arrivée de Lonestar et ANF. Et donc ces locataires, grâce à qui les anciens propriétaires n’ont jamais pu réhabiliter quoique ce soit car ce n’était pas rentable, ils viennent vous dire avec dédain que les gens d’aujourd’hui ils ne les connaissent pas ? oui et après ? ANF et Marseille République puis ATEMI/Buildinvest ont investi des centaines de millions pour réhabiliter ces immeubles quasi tous insalubres et derrière ils n’allaient pas augmenter les loyers ? Il y a donc encore des adultes qui croient au père noel ?

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  6. Electeur du 1er Electeur du 1er

    J’habite rue de la République. Je paie un peu plus de 480€ de loyer pour 31 m2. Pour un appartement totalement rénové avec accès sécurisé, en plein centre ville, c’est un tarif tout à fait correct ! J’ai connu des loyers plus importants pour des surfaces plus petites.
    Alors cessez de vous plaindre. Les loyers à Paris sont beaucoup plus pires que cela. Dans mon immeuble, il y a de tout : des actifs, des étudiants, des retraités. La sociologie est bien représentée.

    Je ne comprends absolument pas les gens qui se plaignent que des investisseurs aient dépensés de très grosses sommes d’argent pour réhabiliter un quartier entier. Réjouissons-nous plutôt de cela ! Une grande partie des Marseillaises et Marseillais sont très heureux du résultat obtenu par rapport à ce que c’était il y a encore quelques années (un “squat à ciel ouvert” j’ai déjà entendu).

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  7. Céhère Céhère

    Syndrome du larbin détecté.

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  8. Nouveau République Nouveau République

    Je fais parti de ces horribles nouveaux bourgeois qui a acheté un appartement Rue de le République (pas à ATEMI cependant… mais dans un rare immeuble de copropriétaires)… quelle horreur n’est-ce pas? je travaille, j’ai un bon salaire, je vais payer plein d’impôts, je n’attends que consommer… et j’espère qu’une mixité saine va prendre dans cette rue…
    Il faut peut-être arrêter de toujours opposé les gens. C’est sûrement malheureux pour ces gens, mais cette rue était quand même à l’abandon et insalubre… A 2 pas du port c’est peu glorieux…
    Marseille a besoin de se relancer, et cette rue fait partie de la promotion d’un dynamisme… et pour cela il faut de l’argent malheureusement, des investisseurs, des gens qui peuvent payer aussi…
    Tout n’est pas réussi, tout n’est pas fini non plus… Mes voisins en HLM vivent dans un bel immeuble pour un prix modéré… tant mieux pour eux, et pour le quartier, il faut cette mixité… mais c’est aussi possible parce que des gens comme moi veulent investir aussi dans l’avenir de ce quartier…

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  9. Un marseillais parmi tant d'autres Un marseillais parmi tant d'autres

    Pourquoi tant de personnes aiment la médiocrité?!!!! la rue de république il y a cinquante ans offrait certes un dynamisme incroyable avec le port qui accueillait chaque jour des centaines de marins qui allaient dépenser dans les nombreux bars… C’est pareil pour le Cours Belsunce et pour la Canebière…. Mais les temps on changeait, la politique de la ville d’une certaine époque a délaissée le centre ville pour en faire une zone de kebab et de marché à la sauvette, avec une population de gens qui ne travaillent pas de la journée… Aujourd’hui on veut remettre les choses à leur place, et ça dérange? Ca dérange qui? Surement ces personnes qui profitent du système, et qui se complaisent dans la “misérabilité” de leur propre vie. Qui préfère vivre dans une rue sale, aux immeubles insalubres, et à la sécurité plus que douteuse? Les fadas surement!!! Mais toutes personnes censées et qui aiment Marseille veut qu’enfin elle se relève pour redevenir la Marseille d’autre fois!

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  10. lartisan lartisan

    Bonjour. Je suis né rue de la République , parti a 6 ans et revenu à Marseille à l’age de 16 ans. C’est une artère que j’ai toujours trouvé magnifique mais elle était franchement méprisée. Une artère haussmanienne laissée dans l’état dans lequel elle se trouvait c’était vraiment pas glorieux. Pour ma part j’applaudis à ce réaménagement ; à Euromed 1 et 2. Certes cela aura bousculé les habitudes douillettes de privilégiés bénéficiant de loyers loi 48 (c’était notre cas d’ailleurs avant de partir). Mais comme toute location, elle peut prendre fin ; c’est vrai pour tous comme pour les anciens habitants de la République. Pourquoi seraient ils logés à un autre enseigne ? Vous trouvez cela normal qu’ils puissent bénéficier d’un logement haussmanien, avec les dimensions que l’on connait, à des prix très très très en dessous du marché, et cela à vie, voire de génération en génération… forcément ça devait prendre fin. Et tout cela au bénéfice réel d’un quartier qui peut maintenant être une vitrine pour Marseille. Il faut être fou pour préférer l’avant. J’ai vécu rue de la République et rue Felix Eboué ; et franchement maintenant c’est mieux. Si j’avais pu j’aurais pris un appart dans cette rue ; je n’ai pas pu …. et alors c’est la faute aux autres ? De la mème manière je ne peux pas acheter dans Paris 17eme ; cela veut simplement dire que je n’en ai pas les moyens… c’est tout;… personne à blâmer c’est la loi du marché ; et c’est vrai pour tout

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  11. ano ano

    Une Belle rue, mais toujours autant de rats dans les rues.

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  12. Anonyme Anonyme

    Il y a des marseillais qui vivent à Marseille, travaillent, ont un peu d’argent et méritent ces beaux appartements.
    Un bel appartement, ça se mérite par le travail, par grâce à un bail inuste de 1948 qui condamne le propriétaire à ne jamais gagner un Euro. Marseille redeviendra une ville normale et attractive si sa bourgeoisie revient en centre ville… et chasse les populations médiocres qui ont tant détérioré la ville et son image.

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  13. Trésorier Trésorier

    Je suis abasourdi par certains commentaires :

    – louer la Rue de la Ré avant réhabilitation est une foutaise totale. C’est vrai qu’on a tendance à enjoliver naturellement le passé…. La plupart des marseillais n’y foutaient plus les pieds en raison de sa fréquentation ;
    – pour les apparts, les loyers ridicules ont entraîné un entretien déficient et un délabrement certain en plein centre ville ;
    – est il normal d’occuper en 2013 un appart Loi 1948 (il y a 65 ans…) !!!!!

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  14. Pabo Pabo

    On a chassé les gueux du cartier pour attirer les petits bourgeois

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