Le futur tramway des Catalans se heurte à l’hostilité des riverains

Réunion publique de lancement de la concertation du tramway du 4-septembre. (Photo : B.G.)

Ambiance studieuse, discussions courtoises et franche opposition au menu de l’unique réunion de concertation pour le tramway des Catalans. “Tramway du 4-Septembre, de la place de Rome, ce sont plusieurs appellations pour le même projet”, balaie Catherine Pila, habitante du quartier et présidente de la Régie des transports métropolitains (RTM) qui préside la séance. À ses côtés, l’adjointe au maire chargée des mobilités, Audrey Gatian a le sourire et les poings faits. Le Printemps marseillais a déjà dit son opposition à cette ligne, qualifiée de “la chose la plus bête” par Benoît Payan lui-même. Son adjointe ne varie pas : “Nous ne sommes pas favorables à ce projet. Pour nous, la priorité est de désenclaver les quartiers Nord. Il faudrait d’ailleurs un vote pour clarifier les positions“.

À ses côtés, l’ancienne maire de secteur et toujours conseillère départementale du canton, Sabine Bernasconi, a, elle, changé de position. Opposée quand elle était aux affaires, la voilà favorable dans l’opposition : “Il ne faut pas passer à côté de la chance d’avoir les moyens de se déplacer dans le centre-ville. À chaque fois, on nous dit : les gens du 7e, vous ne lâchez jamais la voiture. On la lâchera si la desserte est bonne en transports en commun.”

2,1 kilomètres

Toujours à la tribune, le secrétaire général de la préfecture, Yvan Cordier, est venu apporter l’onction “Marseille en grand” à cette nouvelle ligne. Il confirme bien qu’il fait partie des 15 projets retenus par le conseil d’administration du groupement d’intérêt public qui pilote le pôle transports du plan présidentiel. Mais il faudra l’insistance du public pour qu’il précise le taux de subvention apportée par l’État : 11 %, loin des 50 % de financements étatiques actés pour les lignes du Nord de la ville.

Avec le tramway, on espère transporter 22 000 personnes en heure de pointe, 70 000 sur la totalité de la ligne jusqu’à la Blancarde.

La société en charge de la maîtrise d’œuvre

Une représentante de la métropole et de la société Ingerop en charge de la maîtrise d’œuvre entament ensuite un duo pour présenter le projet de 2,1 kilomètres qui doit permettre de relier la place de Rome au quartier des Catalans en passant par le cours Pierre-Puget, l’avenue de la Corse et la Corderie. “C’est un quartier inscrit dans la zone à faibles émissions (ZFE), avec une forte densité. On y comptabilise 41 000 habitants et 27 000 emplois, débite Romain Coiffet. Avec le tramway, on espère transporter 22 000 personnes en heure de pointe, 70 000 sur la totalité de la ligne jusqu’à la Blancarde“.

Les quartiers des 6e et 7e arrondissements traversés affichent une densité élevée. Extrait de la brochure de concertation.

L’écoute studieuse se mue en brouhaha quand le propos des techniciens aborde “la question délicate” de la trame circulatoire. Avec l’arrivée du tramway boulevard de la Corderie, il est question de supprimer le tourne-à-gauche vers la rampe Saint-Maurice. Or, cet axe est très emprunté, car il permet de rejoindre, depuis le 7e arrondissement, les tunnels du Vieux-Port et du Prado Carénage pour quitter Marseille via les autoroutes A55 et 57. “Comment on va faire ?, s’emporte un monsieur aux cheveux blancs. On va passer par l’avenue Pasteur et Charles-Livon, mais c’est déjà le boxon“. “On empile les voitures, bravo la pollution !“, enchaîne une dame aux lunettes en ailes de papillon.

“Vous voulez qu’on se téléporte ?”

La réunion entre donc dans le vif du sujet : et ici la voiture, c’est sacré. “Je suis une simple habitante et je ne comprends pas votre projet. Mon mari travaille à Vitrolles et emprunte le tunnel tous les jours comme beaucoup de gens. Comment va-t-on faire ? Vous voulez qu’on se téléporte ?” La plupart des intervenants redoutent le transfert d’une partie du trafic de transit vers les petites rues autour de la rampe Saint-Maurice ou l’avenue Pasteur. Une habitante de cette artère qui plonge du 4-Septembre vers le jardin du Pharo s’affole : “C’est une avenue avec des bâtiments des deux côtés avec déjà beaucoup de voitures. Vous imaginez après ?”

Dans ses petits souliers, le représentant de l’aménageur a quelques chiffres pour donner une idée : “Aujourd’hui, il y a 600 voitures par heure. Avec la suppression du tourne-à-gauche, cela sera 400 de plus en heure de pointe“. Un habitant, chef d’entreprise, fait un rapide calcul : “Cela fait une voiture toutes les dix secondes ! [en réalité toutes les 3 secondes]” Lui veut des chiffres pour se faire un avis construit. “Vous nous concertez sur un projet et il nous manque des données, peste-t-il. À combien évalue-t-on le trafic de transit ? Vous nous dites que les chiffres vont arriver après. Pour un projet à 70 millions, ça n’est pas sérieux.”

Programme Gaudin en 1995

Catherine Pila espère que les données en question tomberont d’ici à la fin de la concertation mais la promesse n’apaise pas les inquiétudes. “On parle d’un sujet ancien qui était inscrit dans le programme de Jean-Claude Gaudin en 1995, rembobine Frédéric-Joël Guilledoux, administrateur du CIQ de Bompard. 30 ans plus tard, le projet est toujours le même : il est daté, voire dépassé.”

Illustration avec le sujet des pistes cyclables. Sur plusieurs tronçons du tracé, les pistes envisagées devront voisiner avec les trottoirs, voire emprunter des rues adjacentes. Pour le collectif Vélos en ville, Cyril Pimentel sort la sulfateuse : “Notre association a déjà fait huit procès à la métropole pour non-respect de la loi concernant les aménagements cyclables. Et, une nouvelle fois, vous proposez des aménagements qui ne respectent pas une loi qui a 30 ans d’existence”. Il prend pour exemple les zones dites “apaisées” où le trafic est limité à 30 kilomètres par heure : “Elles ne sont pas compatibles avec le passage des vélos. Or, si vous ne faites pas une vraie place aux piétons et aux vélos, le tramway et les pistes cyclables seront vides“. “C’est un projet pour lequel on recherche les compromis”, avance timidement Romain Coiffet en guise de réponse.

Trolleybus

Les représentants du comité d’intérêt de quartier présents disent tous leur hostilité : ils craignent un effet sur le stationnement, le réseau de bus actuel, sans compter les trépidations au pied des immeubles. “Franchement, celui qui a conçu cela est resté devant son ordinateur et n’a jamais mis les pieds dans le quartier“, s’indigne Jean-Pierre Galeazzi, du CIQ Pharo Catalans, soutenu par des applaudissements. Il défend un projet de trolleybus.

Les voitures qui viennent de loin et qui vont loin, je ne pense pas qu’on puisse les éliminer d’un claquement de doigts. Le trafic va se reporter sur les petites rues et rendre fou les riverains

Sophie Camard, maire de secteur

Une proposition reprise par la maire de secteur, Sophie Camard (Printemps marseillais), qui a refusé de rejoindre la tribune, histoire de marquer physiquement son hostilité au projet. “Développer les transports collectifs, cela coûte cher et il faut que ça soit performant. Avec 22 000 voyageurs supplémentaires, 70 340 si on regarde la ligne entière, cela fait une augmentation de seulement 2 %, souligne-t-elle. Et ce projet vient buter sur le plan de circulation mis en place au moment de la semi-piétonisation du vieux-Port. Les voitures qui viennent de loin et qui vont loin, je ne pense pas qu’on puisse les éliminer d’un claquement de doigts. Le trafic va se reporter sur les petites rues et rendre fou les riverains“. Là aussi, les applaudissements sont nourris.

L’élu municipal et métropolitain Les Républicains, Jean-Baptiste Rivoallan a beau moquer une “Sophie Camard qui défend la voiture, c’est ahurissant”, la saillie ne prend pas. Stationnée ou en transit, la voiture est ici un sujet sur lequel on ne plaisante pas. En 2005, le passage de gratuit à payant du stationnement de surface avait entraîné une véritable jacquerie avec manif jusqu’au Vieux-Port.