L’Après M, restaurant solidaire aux grandes ambitions et au budget serré

Échappée
le 9 Déc 2023
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Entre une trésorerie faible et la nécessité de réaliser des investissements importants, le fast food solidaire du rond-point de Sainte-Marthe traverse une crise de croissance. Et lance un appel aux dons pour consolider et développer ses actions.

Ahmed, un bénévole, trie et range des denrées alimentaires sur la plateforme de stockage et de valorisation qui sort de terre sur le parking de l
Ahmed, un bénévole, trie et range des denrées alimentaires sur la plateforme de stockage et de valorisation qui sort de terre sur le parking de l'Après M. (Photo : C.By.)

Ahmed, un bénévole, trie et range des denrées alimentaires sur la plateforme de stockage et de valorisation qui sort de terre sur le parking de l'Après M. (Photo : C.By.)

En ce début de matinée, le restaurant n’a pas encore ouvert. Mais à l’arrière de l’édifice dont les murs peints de rose et de bleu sont désormais la signature, on s’affaire. À côté de l’immense rond-point de Sainte-Marthe (14e), l’ancien restaurant McDonald’s – dont la liquidation judiciaire a été prononcée fin 2019 – a été réinvesti par d’ex-salariés et des acteurs associatifs dès les premières heures du Covid-19, en mars 2020. Avec un objectif double : dans un premier temps, relancer la production de burgers, milk-shakes et frites en devenant un restaurant d’insertion, pour permettre, dans un second, de financer et consolider des actions solidaires. En particulier la distribution de colis alimentaires démarrée au plus fort de l’épidémie. “L’un ne va pas sans l’autre”, glisse Kamel Guemari. Le nez au ras d’un petit gobelet de café, le président de l’Après M, rappelle que le site doit “marcher sur ses deux jambes.”

Dans sa doudoune noire, le fer de lance de la lutte contre McDo et son franchisé qui voulaient fermer le site à partir de 2018, sourit soudain. À vrai dire, cet endroit, “c’est plutôt un mouton à cinq pattes”, s’amuse-t-il. Manière de souligner l’air de rien que l’aventure dans laquelle se sont engagés les repreneurs du lieu, dont les murs ont été rachetés au groupe américain par la Ville de Marseille en juillet 2021, est multi-facettes. “Nous sommes dans un territoire rongé par la précarité, reprend Kamel Guemari. Nous devons aussi apporter notre pierre à l’édifice de ce combat-là.” Les vagues de Covid ont reflué, mais les distributions alimentaires n’ont pas faibli depuis lors. Chaque lundi, l’Après M distribue 700 colis, et jusqu’à 800 en fin de mois.

Cercle vertueux

Zied, le directeur du restaurant, souligne “le cercle vertueux” entre le fast food en lui-même et le volet solidaire de l’Après M : “la plupart de ceux qui sont venus chercher du travail ici ont d’abord été des bénéficiaires de la distribution de colis”. En plus d’offrir un emploi aux 32 salariés, dont 20 équivalents temps-plein en insertion, qui œuvrent sur le site, l’Après M ambitionne donc de renforcer son action sociale en faisant sortir de terre, sur l’arrière de son bâtiment principal, un “village des initiatives d’entraide”. Soit la création d’une plateforme de stockage et de transformation des denrées collectées avant d’être réparties en colis.

Mona et Ahmed, deux bénévoles, gèrent la réception des dons et achats alimentaires qui seront ensuite distribués. (Photo : C.By.)

Sous un vaste auvent métallique conçu par les ateliers Sud Side, à la cité des Arts de la rue, s’alignent d’ores et déjà une demi-douzaine de containers. Mona et Ahmed s’emploient à ranger des monceaux de paquets de coquillettes dans une grande étagère industrielle. Sur un chariot, des dizaines de boites de petits pois-carottes attendent leur tour. Les quantités sont imposantes. Il ne faut pas s’y tromper. “Là, on a de quoi tenir pour un demi-mois seulement”, lâche Mona devant le container quasi plein. Emmitouflé dans son blouson aux couleurs de l’US Trets, Ahmed confirme. Chaque jour, il effectue la tournée pour aller collecter les dons en fruits et légumes, dans des magasins ou au marché d’intérêt national des Arnavaux. En moyenne, il ramène à l’Après M deux à trois tonnes de fruits et légumes par semaine. Chaque mois, le site achète également 12 tonnes de produits secs à la Banque alimentaire.

Pour distribuer quatre tonnes de fruits et légumes par mois, on en jette entre quatre et six tonnes.

Tanina Ouadi, chargée de développement

À la nécessité évidente de stocker ces denrées, s’ajoute celle de les valoriser. Le village du fast food social se rêve donc en modèle d’initiatives solidaires mais également durables. À terme, les abords doivent donc voir sortir de terre de quoi recycler les produits alimentaires non distribués. “Il faut se dire que pour distribuer quatre tonnes de fruits et légumes par mois, on en jette entre quatre et six tonnes”, synthétise Tanina Ouadi. Ex-chargée du développement de ces projets et désormais bénévole, la jeune femme prolonge : “Ces déchets-là, il est évidemment absurde de ne pas les valoriser. Nous avons imaginé deux options : d’abord, on transforme ce qui est un peu abîmé dans une conserverie ou on les cuisine sur place pour les distribuer dans des maraudes que réalisent plusieurs de nos partenaires et ensuite, on transforme le reste en biogaz”.  

Conserverie, cuisine et méthaniseur

Sur le parking qui jouxte le restaurant, un préfabriqué gris accueille quatre congélateurs, encore grands ouverts, dans cet espace qui devrait muter en cuisine collective, dans les mois à venir. Deux containers en plus permettront, eux, de jeter les bases d’une conserverie où les fruits et légumes endommagés deviendront soupes, sauces et purées. “L’idée, c’est aussi de développer un circuit exemplaire qui puisse sensibiliser les habitants, les écoles du coin, etc.”, poursuit Kamel Guemari. Entre la future cuisine et la conserverie, un petit local blanc en dur va devenir une micro-unité de méthanisation.

Avec un kilo de déchet on peut générer environ 20 minutes de temps de cuisson.

Alexandre Cancel, ingénieur

Les denrées non distribuées et les déchets organiques générés par le restaurant sont jusqu’à présent donnés par l’Après M à des fermes pour nourrir des animaux. L’installation d’un méthaniseur devrait assurer la transformation de ces résidus en gaz de cuisson. “Avec un kilo de déchet, on peut générer environ 20 minutes de temps de cuisson”, cadre Alexandre Cancel, ingénieur qui travaille sur le développement de systèmes de micro-méthanisation et accompagne bénévolement l’Après M sur le sujet. Le principe est celui d’une réaction chimique naturelle qui se joue à la température de 37° : dans un caisson fermé, des bactéries vont produire du gaz, en l’occurrence du méthane, en consommant les parties alimentaires des détritus. “Il ressort du méthaniseur du gaz d’un côté et du digestat, un engrais, de l’autre. Soit deux choses valorisables”, se félicite encore l’ingénieur qui ambitionne de voir fleurir à Sainte-Marthe un méthaniseur capable de traiter entre 6 et 15 kg de déchets par jour dans le courant 2024.

Couteau suisse, mais faible trésorerie

Kamel Guémari, le président de l’Après M. (Photo : C.By.)

Mais les ambitions de “couteau suisse” du lieu se heurtent à la délicate question de leur financement. Le restaurant locomotive peine encore à entraîner pleinement la machine. “Ce mois-ci, on est tout juste à l’équilibre”, s’inquiète Kamel Guémari. Pour l’heure, le chiffre d’affaires généré annuellement avoisine les 800 000 euros pour l’année en cours. Ce qui ne suffit pas à tout financer. “Idéalement, pour s’autogérer, il faudrait un chiffre d’affaires entre 1,6 et 1,8 million d’euros”, commente Zied, le directeur.

On a besoin de dons pour fonctionner et devenir rentables à terme. Notre objectif est d’atteindre les 300 000 euros.

Kamel Guémari, président de l’Après M

Avant d’atteindre cet – encore hypothétique – équilibre, l’Après M va devoir muscler sa trésorerie. Dans un premier temps, la structure lance un appel aux dons. “On en a besoin pour fonctionner et devenir rentables à terme. Notre objectif est d’atteindre les 300 000 euros”, précise Kamel Guémari en direction “des particuliers, entreprises sensibles, et mécènes”. Les emplois d’insertion sont en partie financés par les pouvoirs publics. Et si la Ville de Marseille a acquis le foncier et le restaurant, l’Après M s’acquitte d’un loyer mensuel de 2500 euros pour pouvoir les occuper. Mais la fragilité du modèle économique rappelle que le fast food solidaire et sa petite galaxie de projets fonctionnent sans subventions directes.

Bientôt, une cuisine collective, une conserverie et un méthaniseur permettront de valoriser les fruits et légumes abîmés. (Photo : C.By.)

La région traîne la patte

La structure a, par exemple, candidaté comme nombre d’entreprises régionales pour obtenir l’aide au démarrage octroyée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui affirme être “le premier partenaire de l’économie sociale et solidaire.” Le dossier de l’Après M a été ficelé et étudié par les services qui tablaient sur une enveloppe de 190 000 euros. Or, il semble que l’échelon politique, lui, traîne la patte. Joint par Marsactu, l’entourage de Renaud Muselier, président (Renaissance) de la région, confirme sa réticence à soutenir un projet qu’il estime trop estampillé “Ville de Marseille” à ses yeux : “Les conditions dans lesquelles le projet avait été lancé par la mairie [qui n’est pas porteuse du projet mais propriétaire du site, ndlr] avaient complètement exclu la région, pourtant compétente en matière économique, des premiers échanges, de la construction du tour de table et du modèle économique. La région n’a donc pas vocation, et c’est normal, à soutenir financièrement un projet auquel elle n’a jamais été associée, de près ou de loin.” Toutefois, indique la même source, “des contacts constructifs” ont été pris avec les porteurs du projet eux-mêmes et un rendez-vous est prévu en janvier 2024 : “Cela ne présage aucunement d’un soutien, mais permettra d’avoir un dialogue direct jamais mis en place jusqu’à présent.”

Une bénévole soupire : “On n’a pas à payer ces guerres politiques. On voudrait juste que notre travail d’utilité publique soit reconnu.” Sous l’auvent métallique, Mona et Ahmed sont bien loin de ces petits coups bas. Il reste encore des palettes de boites de conserve à trier et des courges à stocker dans le container frigorifique. Tout sera ensuite dispatché dans des sachets, puis distribué à celles et ceux qui se présenteront lundi. D’ordinaire, les premiers bénéficiaires arrivent dès cinq heures du matin.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci d’avoir décrit dans le détail l’organisation de cette structure. Je ne l’imaginais pas d’une telle envergure. C’est un beau projet depuis le début, qui tient sur plusieurs pieds : solidarité, aide sociale, insertion, emploi, gestion, innovation, environnement… A soutenir, vraiment.
    L’attitude du sieur Muselier ?minable.
    La droite ne peut soutenir ce type de structure qui contredit tous leurs clichés sur les quartiers nord de Marseille.

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  2. marseillais marseillais

    L’Après M, une expérience unique de lutte qui mérite notre soutien, moral et maintenant financier. Rendez-vous y , surtout un lundi de distribution de l’aide alimentaire; on y trouve des files impressionnantes de personnes dans la plus grande précarité aidés par une formidable équipe de bénévoles, solidaire, fraternelle.
    L’Après M c’est un fast food social, un lieu ouvert et chaleureux, ouvert sur la ville, à la culture, s’inscrivant dans la transition écologique, car les quartiers nord sont également concernés.

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  3. Dark Vador Dark Vador

    La guéguerre picrocholine entre la Région et la ville de Marseille donne envie de vomir. Surtout quand on sait le pognon de dingue que la Région distribue à d’autres destinataires déjà bien pourvus (inutile d’en faire le descriptif, on connait les récipiendaires, amis de Muso dont on ne ventera jamais assez les talents de comique troupier). Cela prêterait à sourire si ça ne concernait pas de pauvres gens dans le besoin primaire de se nourrir. “L’après M” est une belle réussite, mais cette problématique n’intéresse pas assez nos zélus. 😡😡😡

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  4. RML RML

    La Région commence a vraiment puer le méthane ( pour rester poli).
    La reponse de Muselier est une honte…
    Mais, il est vrai, qu’attendre de cette petite mafia?

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  5. julijo julijo

    comme “marseillais” plus haut, je conseille vivement !!
    un lieu plein d’humanité et leur menu est varié et très bon.

    allez voir : https://www.apresm.org/
    et allez y !

    sur le sujet “régional” !! il aurait été presque incongru que muselier se penche un peu sur cette initiative pleine de bon sens, il a autre chose à faire…alors éventuellement financer ?
    à gerber !
    leur réponse : La région n’a donc pas vocation, et c’est normal, à soutenir financièrement un projet auquel elle n’a jamais été associée, de près ou de loin. est incorrecte. depuis le début, la région n’a pas voulu s’associer à ….

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  6. Moaàa Moaàa

    Je ne savais pas que le budget de la région était propriété personnelle de muselier ou celui du département, métropole à vassal… (ironie) En même temps c’est leur politique, les quartiers nord on les laisse mourir. J’ose espérer que les habitants vont se soulever aux prochaines élections, doux rêve…

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  7. mrmiolito mrmiolito

    Une belle histoire en effet, pour ma part j’y étais le jour de l’inauguration et j’essaye d’y retourner dès que possible…
    Parce que c’est BON aussi, ne l’oublions pas – et c’est la façon la plus simple de les soutenir !
    2 burgers “OVNI” conçus par Passedat, un burger vegan très original (falafel, chou rouge, ananas, confit d’oignons)… et les références plus “basiques” des simples amateurs du Mc Do : un équivalent du Big Mac, des potatoes, du cheese burger etc..
    Il ne manque rien à la carte pour faire plaisir à petits et grands, aux fast food addicts et aux autres ! Aucune excuse pour ne pas y aller donc 😉

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  8. kukulkan kukulkan

    minable la position de la région… Sinon PS pour y être allé j’ai été déçu du menu etc ils ont bcp trop copié Mc Do…

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    • julijo julijo

      deux recettes de burger “ovni” créés par passedat pour l’aprèsM !! rien à voir avec mac do !

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    • mrmiolito mrmiolito

      La réponse était dans mon commentaire, juste au dessus 😉
      C’est un choix délibéré de leur part de faire une carte à deux facettes : au moins 3 recettes originales et susceptibles de plaire à un plus large public (OVNI & co), mais aussi garder les “basiques” de McDo parce que le public historique du lieu demandait aussi ça…
      Dommage que vous ayez “mal” choisi, selon vos goûts !

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  9. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    Bonjour,
    Solidarité !
    C’est quoi kukulkan ??

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