La violence sexuelle ordinaire d’un directeur de recherche de l’IHU devant la justice
Cinq ans après la révélation des faits de harcèlement moral, sexuel et d'agression sexuelle, E.G. s'est confronté durant un jour et demi à ses deux accusatrices, ancienne collègue et stagiaire. Au bout des débats, il encourt trois ans de prison avec sursis.
Malade d'un cancer, E.G. a pu répondre assis, à la barre. Croquis : Ben 8
E.G. se redresse à l’écoute des réquisitions du procureur Étienne Perrin. Pour la première fois, il rejoint le banc des prévenus et non pas celui de la défense que le président lui a accordé par confort. “Je ne l’avais vu”, dit-il en s’asseyant sur ce banc si symbolique. “Je vous l’avais pourtant indiqué dès le premier jour”, tacle le président Pierre Jeanjean.
Au bout d’un réquisitoire qu’il appuie fermement sur les propres déclarations d’E.G., Etienne Perrin demande au tribunal d’entrer en voie de condamnation avec une peine de trois ans de prison avec sursis, assorti de mesures probatoires sur deux ans pour les faits de harcèlement moral, sexuel et d’agressions sexuelles. Droit contre son dossier, l’ancien chercheur en biologie de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection ne quitte pas l’attitude qu’il a conservée tout au long du jour et demi d’audience. Échine baissée, stylo à la main, prenant fébrilement des notes à l’écoute des témoins ou de ses accusatrices, A. et B.
À la barre, il se tient assis, considérablement diminué par un cancer des os, toujours actif. Cette maladie qui a ressurgi en 2020, il la relie volontiers au “calvaire” qu’il dit vivre depuis la révélation des faits qui lui sont reprochés. C’était en 2017 dans les colonnes de Marsactu. Cette attitude n’enlève rien à sa combativité. Il mouline, coupe, tranche, refuse de répondre, reprend même parfois le procureur ou le président Pierre Jeanjean.
Un jour et demi d’audience, 71 pièces, neuf témoins
Ce dernier fait preuve de patience avec le prévenu comme avec les deux victimes. Il s’agace aussi, parfois vivement, devant une audience qui s’étire. Les passes d’armes avec Brice Grazzini, l’avocat d’E.G. se font tendues. Le conseil multiplie les questions, reformule, creuse sans répit. Dans une volonté de combler les lacunes de l’enquête préliminaire, il a encore déposé de nouvelles pièces à l’ouverture de l’audience, cité neuf témoins, dont Éric Chabrière et Pierre-Edouard Fournier, deux pontes de l’unité de recherche de Didier Raoult puis de l’IHU dont le prévenu était l’un des chercheurs phares.
“Un jour et demi, c’est long, tance Pierre Jeanjean. C’est le temps qu’on consacre parfois pour juger un viol aux assises.” Le parallèle n’est pas inopportun. Les faits que dénoncent A, ingénieure en stage venue spécialement de Tunisie pour parfaire sa formation, sont graves. À la barre, dans un récit entrecoupé de larmes, cette jeune femme aux longs cheveux qui tombent sur une silhouette gracile raconte le calvaire qu’elle dit avoir vécu en 2015.
Un Janus, tour à tour harceleur et agresseur
Sur les six mois que dure son stage, elle décrit un Janus, dont les deux faces renvoient aux deux versants de la prévention, le harcèlement et l’agression : “Dans un premier temps, il me disait que je n’étais bonne à rien, il me rabaissait en permanence, explique-t-elle. Ensuite, son comportement a changé du jour au lendemain. À partir du moment où il s’est mis à me caresser, il est devenu un ange. Il fermait la porte pour qu’il n’y ait pas de témoin. C’était ma parole, celle d’une étrangère face à celle d’un directeur de recherches“.
Elle fond en larmes, à nouveau, avant de décrire les mains qui courent sur son corps, qui caressent ses seins, s’immiscent sous sa robe. Chaque soir, elle rentre pleurer à la cité U Galinat, située juste en face de la faculté. Dans ce “9 mètres carrés” qu’E.G. lui propose de venir visiter.
Une porte s’entrouvre
Les agressions connaissent leur acmé lors d’un rendez-vous dans le bureau du directeur adjoint du laboratoire. “D’habitude, la porte était fermée. Là, elle était entrouverte, explique-t-elle. J’y ai vu une voie pour être libérée : soit il y a un témoin qui pourra témoigner, soit ce sera mal interprété et je serais l’aguicheuse qui veut entrer en master.”
Ce jour-là, selon A, E. G. se frotte contre elle. “Était-il en érection ?”, interroge Mandana Samii, assesseure de Pierre Jeanjean. “Il était dur”, souffle la jeune femme en serrant les poings. Le directeur du laboratoire, Jean-Louis Mège apparaît à la porte. Les versions divergent sur ce qu’il voit, mais il perçoit une situation anormale. Il enverra alors B, la seconde plaignante, prendre des nouvelles de la jeune stagiaire.
“Parler en bougnoule”
B est ingénieure de recherche, elle aussi Tunisienne. Les femmes se connaissent depuis l’arrivée d’A., quelques mois auparavant. La défense mettra en avant leur lien d’amitié. “Quand E. G. me l’a présentée, je lui ai souhaité bienvenue en tunisien, raconte B. Il a dit “vous n’allez pas commencer à parler en bougnoule, hein !”.”
Ces saillies racistes émaillent le témoignage de la jeune femme. Elles alternent avec des crises de colère, des “sortez-vous les doigts du cul”, des “tu es une merde”, des allusions graveleuses, par SMS, par mail… Elle dit avoir vécu ce harcèlement moral et sexuel dès 2011, alors qu’elle a rejoint le service dès 2006. Elle dénonce également des agressions sexuelles, “des mains baladeuses sur le dos, les fesses, les jambes”. La prévention retient une période bien plus courte, de janvier 2015 à décembre 2017, calant une histoire de victime sur l’autre. Durant l’enquête préliminaire, d’autres témoignages vont venir corroborer cette attitude de harcèlement, avant et après 2015.
En 2015, le succès et la douleur
Cette année 2015 est celle de la bascule pour E.G.. En 2014, il a publié une découverte au retentissement mondial sur le ver planaire, ce ver aux facultés incroyables présent dans les cours d’eau. C’est aussi à cette période que son épouse se voit diagnostiquer un cancer du sein sévère. Même Didier Raoult, le grand patron de l’Urmite puis de l’IHU, s’étonne du changement de comportement d’E.G.. Ce dernier reconnaît ce changement : il doit faire face à une pression médiatique et professionnelle inédite. Il doit également accompagner sa femme, s’occuper de sa petite fille de cinq ans…
Pour le reste, il nie tout, avec vigueur. “Jamais d’attouchements”, tranche-t-il. Jamais de parole déplacée, que de l’humour mal compris. “L’esprit carabin ?”, avance le président Jeanjean. E.G. acquiesce volontiers, comme une soupape à la pression de la recherche. “J’ai besoin d’excellence, pas de bon ou de très bon, explique-t-il. Il faut y aller à fond. Durant un stage, on a un temps très court pour faire ses preuves”. On reconnaît la patte Raoult dont il est sous la coupe : la science vue comme un sport de combat. “Je suis pète-sec”, “j’ai un humour parfois limite”, “je peux être désagréable quand je ne suis pas satisfait”.
L’apprenti laborantin, génie de la recherche
S’y ajoute son destin particulier. Il entre en recherche comme simple apprenti laborantin, puis gravit les échelons un à un, jusqu’à la gloire. Ce succès explique beaucoup de choses pour E.G. C’est la jalousie qui anime B qui, selon lui, veut être associée à son succès. Une relation intime, d’amitié, qui dérape, finit-il par reconnaître. Quant à A, elle cherche à obtenir une carte de séjour, une certitude pour la poursuite de son master, jure-t-il.
La jalousie est encore sa justification pour expliquer le rôle de Jean-Louis Mège, son maître qui réunit les premiers témoignages, alerte Raoult, témoigne contre lui devant la commission administrative paritaire du CNRS qui étudie les sanctions disciplinaires. En défense, Brice Grazzini demandera à son client de rappeler un voyage en Chine où Jean-Louis Mège ne supporte pas que son ancien disciple soit invité par l’ambassade à visiter un laboratoire d’excellence.
Pas de complot, “une guerre d’égos”
Dans son réquisitoire, Étienne Perrin balaie ce “complot” qu’il lit comme “une guerre d’égos“. “Jean-Louis Mège avait 10 000 opportunités pour éclater la carrière d’E.G.”, indique-t-il avant de souligner les hésitations du co-directeur du laboratoire, son malaise.
En défense, Brice Grazzini remonte le long fil de l’histoire, tente une synthèse, de l’acharnement du CNRS aux lacunes de l’enquête préliminaire qu’il a tenté de compenser avec ses multiples pièces, ses neuf témoins et ses questions insistantes.
Avant lui, le procureur s’est appuyé sur les propos d’E.G., ce qu’il admet de son caractère, les “éléments objectifs, car reconnus par lui” pour caractériser les faits qui lui sont reprochés. “Bien sûr que ce n’est pas le collègue, le mari, le directeur de thèse décrit par les témoins”, estime-t-il.
Il y a ces deux femmes dont Rudy Romero, l’avocat de B décrira la “gémellité de victimes”. Mais il y a d’autres femmes qui font le même récit et décrivent le comportement sexiste, sexué, violent d’un homme. “Nous y sommes arrivés”, souffle Stéphanie Spitéri, avocate d’A. “Subir, subir et encore subir”, formule Rudy Romero en écho pour dire encore l’attente des deux femmes. Une attente de justice qui durera au moins encore jusqu’au 4 juillet. Ce matin-là, après des années d’attente, le tribunal rendra sa décision.
Actualisation le 6 mai à 11 heures : correction du détail des réquisitions, sur la durée du sursis et des mesures probatoires. Nos excuses à nos lecteurs pour cette méprise.
Commentaires
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Pourquoi dans cette affaire ne nommez vous pas ouvertement le prévenu ? Alors que d’autres (Le Monde par exemple) ne s’en privent pas, et que dans les autres affaires judiciaires que vous suivez la encore les prévenus sont bien identifiés ? Question sans arrière pensée, mais je ne comprends pas ce fonctionnement à géométrie variable ?
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Bonjour, à ce sujet nous suivns une règle simple. Si le ou la prévenu(e) est une personnalité publique connue, alors nous estimons normal de citer son nom. Cela a été le cas pour le procès en appel de messieurs Maggi et Jorda, ancien député, maire pour l’un et colonel des sapeurs-pompiers de l’autre. Dans le cas présent, M. G. est un chercheur connu dans son domaine mais n’est pas une personnalité publique. C’est pour cette raison que nous ne citons pas son nom ou celui de ses victimes présumés. En la matière, chaque journal suit sa propre règle conduite.
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