La Ville de Marseille entre sur le terrain du e-sport en ouvrant une salle de gaming

Décryptage
le 4 Nov 2023
14

La municipalité vient d'acter une enveloppe de 550 000 euros pour ouvrir une salle publique de e-sport au sein du complexe Vallier. Au-delà d'être un lieu dédié aux jeux vidéo, elle visera à prévenir les risques liés à la pratique excessive et à orienter vers les métiers du numérique. Mais le projet n'est pas exempt de critiques, au sein de la majorité et même du milieu du gaming.

Un joueur dans une salle de gaming marseillaise. (Photo : VA)
Un joueur dans une salle de gaming marseillaise. (Photo : VA)

Un joueur dans une salle de gaming marseillaise. (Photo : VA)

Une lumière tamisée, des écrans partout où l’on pose le regard, des consoles dernière génération agrémentées de manettes, souris et tours qui clignotent, une légère odeur de transpiration. Les salles de gaming ont quelques choses de futuriste pour la plupart des boomers, peu à l’aise avec la technologie. Elles sont, à l’inverse, l’univers de certains digital natives, nés ou presque avec Internet et qui baignent depuis plusieurs années maintenant dans Counter Strike, League of Legend ou encore Fortnite. À Marseille, comme dans d’autres grandes villes, ces salles dédiées aux jeux vidéo en ligne fleurissent. Si certains entrepreneurs ont fait le pari d’y investir, les collectivités territoriales commencent également à s’intéresser au sujet.

C’est le cas de la mairie de Marseille, qui a voté lors du dernier conseil municipal une délibération assortie d’une première enveloppe. La Ville compte en effet investir 550 000 euros pour ouvrir, dès 2025, une salle d’e-sport, comprendre de sport électronique, au sein du complexe sportif Vallier. La première salle municipale dédiée aux jeux vidéos en France, n’hésite pas à souligner Sébastien Jibrayel, adjoint au maire chargé des sports, qui signe la délibération. D’autres salles publiques existent toutefois déjà en France comme à Aix ou à Paris. “À Marseille, il y a entre 120 et 150 000 joueurs. Mais le e-sport ne trouve pas toute sa place ici, constate-t-il. On a donc décidé de créer une maison du e-sport, non pas pour inciter au gaming, mais pour sensibiliser aux effets négatifs sur la santé d’une utilisation longue.”

“Le e-sport comme prétexte”

Dans la délibération votée par le conseil municipal, les enjeux sont posés : “Il apparaît aujourd’hui indispensable de créer une maison du e-sport à Marseille afin de favoriser les bonnes pratiques e-sportives, encadrer la pratique « grand public », « loisirs » et « amateurs », prévenir des addictions liées à la pratique abusive des jeux vidéos et former aux métiers liés à la discipline”. Pour ce faire, Sébastien Jibrayel imagine les locaux voisins de la piscine Vallier – 86 m² de l’ancienne cafétéria et 57 m² de la terrasse couverte attenante – divisés en plusieurs espaces. Une salle de gaming, donc, avec des encadrants, mais aussi un espace dédié à la présentation des métiers autour du e-sport, le tout accompagné de la présence d’experts santé.

“Après les travaux, nous allons lancer un appel à manifestation d’intérêt, il pourra être séparé en trois lots : un lot gaming, un lot emploi et un lot santé. La salle d’e-sport n’ouvrira pas si les trois thématiques ne sont pas présentes. Elle est un prétexte”, précise Sébastien Jibrayel, qui ajoute que l’accès sera gratuit. L’élu va plus loin. Il souhaite, explique-t-il, utiliser l’e-sport pour amener les jeunes à une pratique plus… physique. “L’idée, c’est aussi de dire : est-ce que ce sport à l’écran ne pourrait pas aussi être intéressant à l’extérieur, sur un terrain. Tu joues à Fifa, c’est bien, mais si on allait aussi voir un club de foot ?”

“Une maison fourre-tout pour faire d’jeuns” ?

L’argumentaire peut paraître louable, notamment pour certains parents démunis face à la passion de leurs enfants, mais il ne séduit pas dans l’ensemble de la majorité municipale. Après ce vote, certains au sein du groupe écologiste se disent dans l’incompréhension. “Cette somme est très importante, et elle va être investie dans un milieu prospère. Il aurait été plus intéressant de solliciter le privé, surtout quand, en même temps, on nous parle de restrictions budgétaires, glisse-t-on du côté d’EE-LV. Il n’y a pas eu d’étude budgétaire, pas de fléchage. Pourtant, il faut identifier les priorités, surtout quand on voit la gabegie sur les piscines.”

Non précisé dans la délibération, le recours au financement privé est, selon l’adjoint aux sports, prévu dans le projet. “Tiktok ou Snapchat pourraient être intéressés, ils ont un intérêt à s’associer à un projet de sensibilisation à ces questions”, défend Sébastien Jibrayel qui mentionne également une participation possible de l’État grâce à l’agence nationale du sport.

Mais dans le milieu même du gaming, la vision municipale fait débat et peut avoir tendance à agacer. Renaud* est sur le point de devenir papa, mais, en tant que gamer de longue date, il n’adhère pas forcément au discours moralisateur. “Ça sent un peu le type qui n’a pas tout compris. Le e-sport tend à se développer à fond, avec des gamers pro qui s’entrainent comme des athlètes traditionnels et qui luttent énormément pour être reconnus dans leur pratique. Donc aborder le truc comme ça, c’est un peu nier l’aspect sportif et prendre le e-sport dans le mauvais sens”, réagit-il. Il nuance cependant : “La partie professionnelle, c’est top ! Mais pourquoi utiliser le e-sport pour ça ? Fais une maison du numérique, straight to the point [Droit au but, ndlr]. Il ne faudrait pas créer une maison fourre-tout pour faire “d’jeuns”, comme disent les vieux.”

Has been et experts

Ne pas faire has been. Forcément, Sébastien Jibrayel a l’enjeu en tête. “On ne veut pas faire les donneurs de leçons. Mais c’est notre rôle de dire “attention” quand cette pratique va trop loin. On ne prétend pas être des experts du e-sport, c’est pour cela que l’on travaille avec des personnes qui ont déjà monté des ateliers et qui peuvent nous dire les attentes des joueurs.” L’adjoint aux sports a plus précisément en tête une structure : MCES, Mon club esport. Implantée à l’Épopée dès la création de ce tiers lieu présenté comme un “village de l’innovation éducative” cher au président de la République, MCES est une entreprise marseillaise crée en 2018 qui a su se faire un nom dans le milieu du gaming.

Son dirigeant et cofondateur, Romain Sombret, a été formé à l’école de commerce Kedge avant de passer par Gemalto, spécialiste de la puce électronique, en tant que directeur commercial. Sur le site internet de MCES, qui officie dans plusieurs lieux en France, il définit le “credo” de la boîte dans des termes quasi identiques à ceux employés par l’adjoint aux sports : “Développer notre concept de Gaming Center au sein d’institutions pour réussir à toucher les jeunes et les ramener vers la pratique d’une activité physique en conciliant encadrement professionnel et éducation aux bons usages.” MCES délivre également des formations e-sport menant à des diplômes reconnus. La structure dispose ainsi de formateurs à temps plein, tels Matthieu Jamet, 22 ans. Rencontré sur place, il explique qu’après avoir suivi la formation, il a pu être embauché au sein de l’entreprise, le rêve de sa vie de gamer.

MCES déjà dans les starting blocks

Avec douze postes avec fauteuils de gaming dernier cri et set up complet (écran, console, clavier, manettes…) pour un investissement qui tourne autour de 5000 euros chacun, la salle marseillaise de MCES est clinquante. On y accède à l’occasion de stages, de formations ou en rejoignant “l’academy”. Les tarifs mensuels varient de 40 ou 50 euros. Pour rejoindre cette academy, la formation à l’année, comptez 400 euros par an. L’organisation d’événements “avec collectivités ou entreprises” peut, elle, s’élever à 890 euros pour 32 joueurs. “Le sport électronique offre un potentiel phénoménal. Notre business plan prévoit une croissance de 200 % du chiffre d’affaires”, déclarait Romain Sombret en 2018 à Go’met.

La salle de MCES au sein de l’Épopée, à Sainte-Marthe. (Photo : VA)

Le projet de la mairie de Marseille est-il un bon filon pour MCES ? Contacté, Sylvain Vachier, directeur général adjoint de l’entreprise, confirme avoir travaillé avec la mairie pour “donner l’esprit, la philosophie et aider dans la manière d’appréhender l’e-sport”. Et même si à ce stade, la relation de travail ne va pas plus loin, assure-t-il, “il y a des discussions, une volonté commune d’avancer ensemble dans un univers en construction. Toutes les initiatives qui vont en ce sens sont bien accueillies”, poursuit ce spécialiste en marketing, venu du milieu du sport traditionnel (en l’occurrence, de l’OM). “Si nous n’étions guidés que par l’argent, on aurait choisi un autre projet”, conclut-il.

L’économie du secteur reste en effet fragile. “Au départ, nous étions cinq à Marseille, nous ne sommes plus que trois”, détaille Yazid Aboud, qui a monté sa salle de e-sport, la Lyost, dans le 15e. Le professionnel n’avait pas encore eu vent du projet municipal, mais reconnait la place de MCES dans le milieu. “Ils ont beaucoup de moyens, beaucoup d’aides, mais avec les mêmes moyens, d’autres font mieux”, glisse-t-il.

Qui sera aux manettes de la salle de e-sport marseillaise ? Sébastien Jibrayel semble attaché au fait que MCES fasse partie du game. Mais les règles du jeu de la commande publique permettront à tout le monde de candidater, une fois l’appel à manifestation d’intérêt lancé. Même si certains ont déjà repéré le circuit.

Actualisation le samedi 4 novembre à 12h : ajout du fait que d’autres salles portées par les pouvoirs publics existent dans plusieurs villes françaises, contrairement à ce que nous écrivions dans un premier temps.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Agnès R Agnès R

    Quand on voit la pauvreté,la pollution, la toxicomanie ,la crasse et autre, qui nous accompagnent au quotidien dans les rues de Marseille, je me demande où est la priorité de ce projet.
    C’est consternant

    Signaler
  2. Alceste. Alceste.

    L’ Aven est précoce cette année avec la mairie de Marseille. Vous savez cette tradition qui tous les jours précédents Noël ,donnent lieu à un petit cadeau.Mais là, ce ne sont pas des présents, mais des âneries à 500 000 euros. Hier ,un espace “ressources”temporaire à 520 000 euros dont l’utilité reste à definir ,aujourd’hui une salle de gamingueûûu à 500 000 euros ,lieu d’abrutissement par définition. Et demain c’est quoi ?..□Un bar à ongles, un centre de bronzage à 500 000 .
    Mais que peut-on attendre de cette équipe, rien Sinon des opérations de communication coûteuses, qui ne servent à rien.De la poudre aux yeux.
    Putain,encore trois ans !.

    Signaler
  3. Bentouch Bentouch

    Le projet n’a rien de novateur. Sur Aix en Provence, c’est la mission locale qui pilote la Gaming house de l’insertion en faisant appel à des coachs en e-sport mais aussi activités physiques et nutrition. L’objectif est d’identifier ses compétences pour travailler son projet professionnel.

    Signaler
  4. leb leb

    Un circuit cyclable pédagogique ne coûterait pas forcément plus cher mais serait beaucoup plus utile. Très difficile de trouver des espaces sécurisés pour apprendre aux enfants la pratique du vélo au centre ville !

    Signaler
  5. Mathilde C. Mathilde C.

    550 ke, une paille dans les 30/50 millions de taxe foncière prélevés en plus cette année et chaque année d’ailleurs.

    Recrutement d’encadrants, d’experts santé…gestion possible par un privé évoquée à la fin, tout ça dans 143 m2.

    Même si l’on a envie d’éviter de critiquer toute nouvelle démarche de la municipalité, on peut trouver cette idée un peu loufoque, de là à ce que d’ici 2025, elle soit mise aux oubliettes, ça ne m’étonnerait pas.

    Dernière chose, qu’aurions-nous pas entendu de Benoît et ses amis quand ils étaient dans l’opposition sur cette proposition étrange ? « les petits Marseillais n’ont pas de piscîne, les musées et bibliothèques sont à l’abandon et la municipalité « crame » 500 ke dans une salle de même pas 100 m2 ».
    J’imagine Benoît s’égosiller en conseil municipal sur le sujet…une farce.

    Signaler
  6. Christian Christian

    Je n’arrive pas à me faire une opinion sur l’intérêt du projet, peut-être en a-t-il un qui m’échappe, je suis prêt à m’y rallier s’il existe, mais dans tous les cas je trouve très rigolo que ce jeu soit baptisé “SPORT”. Là il y a un sérieux problème de vocabulaire.

    Signaler
    • julijo julijo

      oui tout pareil !
      très paradoxal ce terme : sport !!! (de l’esprit ?)

      donc pas d’opinion non plus sur cette création fabuleuse, si ce n’est qu’il me semble quand même qu’il y avait (peut être) d’autres priorités (ou pas !) pour le “sport” !

      Signaler
  7. Kitty Kitty

    Le tourisme de masse, le “Gaming”, Plus belle la vie, et les complexes aqualudiques de S. Ghalli. Voilà l’avenir économique proposé aux marseillais…
    Quel manque d’imagination.

    Signaler
  8. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    La vache ! on dirait un projet à la mord moi le n*eud de l’équipe Vassal !
    Gaudin et feu Richard Miron nous ont gratifié d’une patinoire inaccessible en transports en commun à la Capelette
    Voila que Payan et Jibrayel fils nous font une salle d’e sport
    Pendant ce temps les équipements municipaux…

    Signaler
  9. Patafanari Patafanari

    Pourquoi pas. Si ça peut faire sortir les jeunes de chez eux pour respirer un peu et pratiquer un sport collectif qui conforte le vivre ensemble. Et puis c’est tout de même moins violent que le bridge. Concernant les locaux, il est fort dommage que ne soient pas prévu-es les e-vestiaires et les e-douches.

    Signaler
  10. Peuchere Peuchere

    `cette manière de vouloir faire croire qu’on est à jamais les premiers !!
    On est les premiers à faire une salle de esport: faux

    Le meilleur étant le nouveau magazine de la mairie ou PAYAN dès la première phrase de l’édito ment effrontément en affirmant que c’est la première fois à marseille qu’il y a un magazine municipal. Gaudin nous avait pourtant déjà infligé le sien.

    Payan qui a toujours été second, et est aujourd’hui maire par effraction, fait il un complexe?

    Signaler
    • Alceste. Alceste.

      Le Benoît dans un entretien à la Provence il y a quelques temps s’épenchait sur son mal être d’être à la place où il est aujourd’hui. Son éditorial dans la soit disant nouvelle revue municipale est tout à fait révélateur. Le reste de la revue au passage, est un ramassis de communication du niveau de vendeurs de cravates de la Plaine. Bref,revenons à cet éditorial. Marseille capitale,Marseille reconstruite, Marseille est deux fois plus grande que Paris,etc. Champfort écrivait au XIXeme:” Le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion, mais le bonheur repose sur la réalité” .Voilà tout est dit en ces quelques mots.Pour être heureux notre Benoît se berce d’illusions ( Cf .l’edito,), mais face à la réalité marseillaise et l’action de sa municipalité il prend en pleine poire cette dernière. Il reste trois ans au Maire à se bercer d’illusions, cela le rassure ou plutôt cela freine ses angoisses du non résultat, mais pendant ce temps cette ville s’écoule au milieu des illusions perdues.

      Signaler
  11. jacques jacques

    Il existe bien une revue de mots croisés qui s’appelle “sport cérébral”, alors pourquoi pas “e-sport”. tant qu’on y est, , ça fait moderne . Pour une fois je ne suis pas loin d’être d’accord avec les grincheux pathologiques de service. La dent creuse plus Vallier ça fait 1 million d’euros cramés pour un résultat assez aléatoire.

    Signaler
  12. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    L’e-sport est une réalité à enjeux (emplois, attractivité, budgets devenus mirobolants dans certaines compétitions), n’en déplaise à ceux qui en sont encore à s’en moquer (les années 90 vous appellent, vous leur manquez). Que la Ville s’y implique n’a rien d’incohérent, c’est même louable et intéressant.

    Ceci étant…

    Comme toujours, un budget très conséquent alors que non, tout joueur que je sois je ne peux pas dire que ce soit la priorité pour notre ville. Un lieu gabarisé étrangement entre la taille du local et l’effectif prévu, bref, ça sent le plan fumeux que nos zélus se sont faits une fois de plus vendre par le premier marchand de sommeil venu. Impliquer MCES ? Super idée, ils sont une référence dans le domaine (pour les critiques du concept, le patron de MCES vient de chez Décathlon). Mais “impliquer” veut bien dire ce qu’il veut dire : “ok vous pouvez venir, mais vous ne piloterez pas”, donc c’est inutile.

    Ce n’est pas l’intention qu’il faut blâmer (finalement c’est rarement le cas), mais bien l’incompétence et le manque de recul.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire