La vie ne tourne plus rond au Moulin de la Villette
Traverse du Moulin de la Villette (3e), les locataires d'une petite résidence HLM du même nom se débattent avec des incivilités à répétition. Incendies, squat des parties communes, incivilités en tout genre...Ils en veulent au logeur, à la peur commune et à ce vivre-ensemble qui se déglingue.
La vie ne tourne plus rond au Moulin de la Villette
Il y a eu un moulin. Le nom de la traverse le dit bien. Elle part à angle droit depuis le boulevard National, monte jusqu’à un petit pont qui enjambe la voie ferrée de la Belle de mai puis serpente en lacet sous le tablier de l’autoroute A7. C’est à ce point culminant que le moulin prenait le vent. Le montreur d’ours en béton et membre du bureau des guides, Nicolas Mémain, a vérifié pour nous son existence. Il en a trouvé trace dans des plans de 1830 et 1864. “D’après le Dictionnaire historique des noms de rue de Marseille, d’Adrien Blès, la traverse s’appelait la traverse du moulin à vent, lequel était daté de 1735 sur le linteau. Par ailleurs, Horace Bertin écrit dans Marseille intime que les ruines du moulin étaient encore visibles en 1875.”
L’arpenteur d’archives indique que la traverse reprend probablement le tracé d’un chemin du Moyen-Âge utilisé par les paysans de l’arrière-pays marseillais. Aujourd’hui, depuis le pont ferroviaire, le promeneur sans bœuf ni mule peut contempler la mutation de la ville à 360 degrés. À l’Ouest, le quartier neuf conçu par Euroméditerranée sur les terrains jadis gagnés sur la mer. Le quartier neuf, métallique et bétonné, présente ses blocs rectilignes jusqu’à Arenc. À l’est, de l’autre côté du pont, le paysage de faubourg populaire de la Villette, la Belle de Mai et plus loin le massif de l’Étoile.
Côté collines et côté rue
Ce paysage, Sylvain Chenut le contemple tous les jours. Au n°50, ce fonctionnaire d’État habite une résidence HLM du Nouveau logis provençal qui a pris le nom de la traverse. De sa fenêtre, il voit bien le soleil qui se lève sur les collines. Côté rue, le spectacle est moins réjouissant. La résidence fait face à une autre plus ancienne, Fonscolombes, gérée par Logirem. En permanence, un jeune homme occupe un siège rembourré juste en face de l’entrée du Moulin de la Villette. Il est guetteur pour un point de vente de stupéfiants, un “plan stup” dans le vocabulaire policier. La fonction fait partie du paysage. La cité Félix-Pyat n’est pas loin. Les scooters en roue arrière offrent un spectacle quotidien sur cette frontière entre un Marseille neuf et un autre plus ancien.
C’est à l’intérieur que ça se gâte. Trois fois depuis le début de l’année, un incendie a pris dans le parking souterrain. “La dernière fois, c’était la semaine passée, constate Sylvain Chenut. Un voisin a éteint sinon on cramait tous.” L’incendie le plus grave a eu lieu le 23 septembre, à 18 h 30, obligeant les locataires à sortir de leurs logements le temps que les pompiers interviennent. La colère partagée, le sentiment d’abandon, ont décidé Sylvain Chenut a se poser en intermédiaire et à saisir la presse. Déjà en février, lors de la dernière grosse frayeur, ils avaient envoyé une lettre ouverte au président du Nouveau logis provençal, menaçant de bloquer les loyers.
Portes cassées
À notre première visite sur place, l’état des parties communes détonne avec la jeunesse relative des lieux. Érigé en 2001 sur cette falaise sur laquelle s’adosse le boulevard National, l’ensemble HLM a toutes les qualités de ce que les logeurs sociaux appellent une “résidence” : le portail et le garage s’ouvrent avec un badge, les entrées sont munies d’interphones avec caméras. À l’arrière, des jardins en balcon offrent un terrain de jeux pour les enfants.
Rien de tout cela n’est vrai aujourd’hui. Le passant entre ici comme dans un moulin. Le portail claque au vent, les portes des trois bâtiments accolés sont ouvertes en permanence. Les enduits s’effritent. Les graffitis fleurissent. Les parties communes servent d’urinoirs. Les boîtes aux lettres ne s’ouvrent plus ou restent ouvertes. “Un jour, il y a quelques années, j’en ai eu marre, j’ai pris un pot de peinture pour repeindre le petit muret qui fait face à l’entrée, raconte Sylvain Chenut. C’était Noël d’un coup. Tout le monde sortait, venait voir. Que quelqu’un agisse, c’était formidable.” Depuis la peinture s’est effritée. L’ambiance dégradée.
Le jardin commun est un champ de déchets. L’enfant qu’on y croise est là par hasard. La plupart du temps, la gardienne maintient les lieux fermés. Celle-ci concentre pas mal de flèches assassines des locataires en colère. “Elle gère le laxisme. C’est la championne des devis, formule Sylvain Chenut. Elle nous annonce des travaux, des réparations et rien ne vient. Je dis souvent que le jour où il y aura un mort, elle en sera à faire des devis pour les pompes funèbres.”
Des toiles d’araignée noires de suie
Il en tient pour preuve l’état du parking. Plus de 15 jours après l’incendie, la rampe qui y mène est noire de suie. Les toiles d’araignée tombent en suaires d’Halloween. “La porte ne ferme plus. Du coup, plus personne ne gare sa voiture ici alors que nous payons 42 euros par mois. Le parking sert à toutes sortes de trafic. Il y a des voitures désossées, on dirait des squelettes de dinosaures.” Un état de fait est difficile à constater faute de lumière. À notre deuxième visite, une équipe nettoie le parking à grands coups de jets. Preuve que les devis ont payé. Pour le reste, le moulin est toujours ouvert à tous vents.
Alors que Sylvain Chenut nous accompagne dans les étages à la rencontre de ses voisins, on tente de cerner d’où vient le problème. “Le lieu est à la mode. Dès que l’hiver arrive, des groupes de jeunes arrivent de l’extérieur et viennent squatter les parties communes, le parking. Ils y font leurs petites affaires.” Diagnostic partagé par Saci Righi, locataire quelques étages plus haut. Il habite ici depuis 2002. “À l’époque, le gardien était un homme, c’était top. Tout était propre, bien gardé. Depuis qu’il est parti, il n’y a plus de sécurité.” Il rêve de son Algérie natale, de son coin de désert où il part chaque été. “J’irai bien y vivre s’il n’y avait pas les enfants”, regrette-t-il nostalgique.
“On attend l’hiver, ils vont revenir”
Au bâtiment B, la dame qui nous reçoit sur son palier est plus discrète. Nous l’appellerons Nora. “Depuis 3 ou 4 ans, les jeunes ont commencé à se rejoindre ici pour fumer, boire. Il y a des moments où ils fument tellement que ça pue dans mon appartement. Si je leur dis gentiment, ils s’en vont. Là, on attend l’hiver, ils vont revenir.” Elle ne veut pas aller plus loin avec eux, s’inquiète pour ses filles de 6 et 16 ans, qu’elle tient bien serrées. Les autres voisins ? “Ils ont peur”.
Cette peur partagée suinte à tous les étages. Une peur dont l’objet est invisible, extérieur et intérieur. Entre soi et les autres. Au bâtiment C, Abdelli Zerouali regrette la Batarelle, dans les quartiers Nord, où il était avant. Il ne mâche pas ses mots. “Il nous faut un gardien. Un homme. Par exemple, un ancien légionnaire, dit-il. Mais le problème, c’est nous. On laisse faire. On se tait devant des jeunes. Chacun s’enferme chez soi.” Pour lui, le souci est à la fois interne à la résidence et national. Un problème de “vivre ensemble” comme on dit désormais.
Un grand coup de pied
Quelques jours plus tard, dans le salon de Sylvain Chenut, un autre voisin fait le même constat. Lui a grandi sur les rives du fleuve Sénégal, sans jamais dériver. “Il y avait du respect. Les grands contrôlaient les petits. Et personne n’aurait jamais répondu à un adulte.” Ici, ses enfants n’ont pas le droit de déroger au parcours école/maison, à part un détour par la mosquée. “Le problème est que personne n’assume. Les jeunes font n’importe quoi. Les portes, ce sont les locataires qui les cassent. Le jour où il y en a un qui a oublié sa clef, il met un grand coup de pied et la porte reste ouverte.” Lui-même ne veut pas donner son nom. “Je n’ai pas peur mais il y a les enfants.”
Personne n’agit et la situation s’enkyste. Contrairement à certaines cités HLM, il n’y a pas ici d’association de locataires. Abdelli Zerouali se verrait bien en faire une “avec mes locataires à moi”, ceux du bâtiment C qu’il rêve de voir séparer des A et B. Sylvain Chenut y pense aussi mais personne ne passe le pas. Même le logeur verra cela d’un bon œil. “C’est sûr que cela faciliterait les choses, reconnaît Jean-Claude Cuniet, le directeur de la gestion locative au Nouveau logis provençal. Cela permettrait d’avoir un interlocuteur unique, repéré aussi bien par nous que par la police.” Pour l’heure, personne ne passe le pas et chacun rejette la faute sur le logeur, la gardienne, trop vieille, trop faible… Certains relevant même ses origines algériennes qui la rendraient plus coulante. Cette gardienne fait figure de bouc-émissaire facile, seule figure quotidienne du logeur lointain.
“Je porte plainte à chaque fois”
À force de venir, nous croisons celle-ci dans la petite cour de devant, aidant une locataire qui a du mal à marcher. Elle ne veut pas être citée. Elle-même a quitté le logement de fonction qu’elle avait dans un des bâtiments “parce qu'[elle avait] peur”. “Les devis, je suis obligée de les faire, dit-elle en référence à la formule qu’elle connaît bien de Sylvain Chenut. Il en faut trois pour le moindre chantier. C’est la loi. Et pour le vandalisme, je porte plainte à chaque fois.” Une information difficile à vérifier sans date précise pour les dépôts.
Mais la préfecture de police explique que le quartier est suivi de près par le commissariat d’arrondissement. “Le point de deal est connu, y indique-t-on. Il y a des descentes régulières sur les consommateurs comme sur les vendeurs. Maintenant il vaut mieux que les locataires se rapprochent du chef d’arrondissement s’ils ont des problèmes spécifiques à faire remonter.”
Pas d’amalgame avec la police
Du côté du logeur, Nouveau Logis Provençal, la gêne est sensible. Le Moulin de la Villette pose problème depuis plusieurs années. “Je sais qu’il y a des incivilités sur cette résidence, reconnaît Jean-Claude Cuniet, directeur de la gestion locative. Nous avons été alertés à plusieurs reprises. Le problème est que les gens font un amalgame entre les services de police. Ce n’est pas à nous de faire les enquêtes.” Il dit être en contact permanent avec la police “ne peut rien dire par crainte de gêner leur travail”.
Il reconnaît la détérioration de l’immeuble : “La gardienne fait ce qu’elle peut. Mais être gardienne, ce n’est pas faire la police. Elle assure le ménage et fait remonter le moindre problème.” Il se dit “sensible” et comprendre “la peur des représailles” qui paralyse les locataires.
Les caméras comme solution miracle
Face à cela, il a bien une solution, le recours à la vidéo-surveillance. “Nous allons mettre des caméras dans les halls et les parties communes. Nous allons sécuriser les entrées et installer ce système en même temps. Nous avons lancé une consultation pour comparer les prix.” Bien entendu, ce système de caméras ne sera pas relié à un centre de surveillance. “Nous n’en avons pas le droit, reconnaît-il. Cela permettra de mettre un visage sur les incivilités et apporter les bandes à la police quand nous irons porter plainte.”
Il espère surtout qu’avec l’enquête en cours sur le point de deal, celui-ci finisse par céder au harcèlement et quitter l’immédiate proximité de la résidence. On lui fait remarquer que les résidences voisines, dans la même rue, semblent préservées. Il lâche, fataliste : “Personne n’est à l’abri”.
Actualisation : mercredi 2 novembre à 10 H 47. A la demande d’un des témoins, son témoignage est rendu anonyme.
Commentaires
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Bon article, sensible. Avec du temps pour rencontrer les gens. Merci pour eux.
(juste une faute en fin d’article, semblent préservées, pas préserver)
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Et à votre avis combien de temps vont fonctionner les caméras ??? C’est de l’argent foutu en l’air !! Il faudrait bien mieux organiser les habitants de ces immeubles pour qu’ils soient solidaires face à leur difficultés.
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“le quartier est suivi de près par le commissariat d’arrondissement” Heureusement, quelle serait la situation si ce n’était pas le cas ????
On peut comprendre les locataires qui se taisent, la pression est forte et les peurs bien ancrées d’autant qu’elles sont bien réelles. Evidemment si personne ne dit trop rien la situation n’est pas près de s’arranger mais pourquoi serait-ce en premier la responsabilité des locataires ?
Je persiste à penser que la ste d’HLM a une responsabilité importante. C’est à elle de réparer, entretenir faire en sorte que les dégradations cessent…etc. Evidemment une association de locataires serait un plus… clarifierait la communication entre la sté d’hlm et pourrait intervenir auprès de la police en étant mieux entendue qu’un simple particulier.
Les “il y qu’à – faut qu’on” sont faciles.
Et si les HLM commençaient par réhabiliter le secteur, nommer un gardien efficace, insister auprès-s du commissariat, cela semble une priorité…il serait plus facile peut être aux locataires (un peu seuls aujourd’hui) de s’organiser en se sentant plus soutenus dans un lieu rénové, déjà plus confortable….
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La politique du “carreau cassé” du maire de New York M. Giuliani qui veut qu’entre autres choses les autorités répondent et traitent résolument chaque dégradation a porté ses fruits. Ici c’est la politique et le choix du “pourrissement” avec en point d’orgue la feinte sensibilité du bailleur social au problème. Ces gens là sont aussi sensibles aux problèmes qu’un petit notaire de province depuis sa résidence pavillonnaire pour un ticket d’alimentation. Les trafics n’ont rien à voir avec le délabrement du bâti et le fait qu’un bailleur ne daigne donner un coup de peinture de propreté de temps à autres,au moins par dignité.
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Excellent article.
Et édifiant. Hélas !
La démonstration est évidente : les habitants ont besoin de davantage de présence et d ‘intervention humaine. Pas de caméras ou autres dispositifs techniques inutiles qui seront dégradés comme le reste.
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En voyant les photos, en lisant l’article, je ne peux penser qu’au film Dheepan … cela avait l’air tellement sur-réaliste pourtant !
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