Salade terre-mer
La marche contre les boues rouges lance l’année cruciale d’Alteo
Une décision de justice défavorable en janvier, une manifestation en mars, une enquête publique en avril et une date butoir en décembre : l'année 2019 est balisée par les enjeux pour l'usine d'alumine de Gardanne. Elle devra simultanément mettre aux normes son rejet en mer et convaincre de l'absence d'impact sanitaire et environnemental du stockage de boues rouges séchées à Mange-Garri.
La bauxite, venue de Guinée, dont est extraite l'alumine. (Photo d'illustration issue des archives de Marsactu)
La pression ne faiblit pas. Ce dimanche, trois associations organisent à Mange-Garri une “marche contre la pollution des boues rouges”, à laquelle se joindra notamment le député européen Europe écologie les Verts José Bové. Une nouvelle étape dans la contestation à laquelle fait face l’usine d’alumine de Gardanne autour de l’impact environnemental de son activité. En février, l’un des organisateurs de la marche, l’association Zea, avait tapé fort en déchargeant des tonnes de matière rouge devant le ministère de l’écologie et le siège de l’actionnaire de l’usine Alteo. L’industriel a porté plainte, avançant qu’il s’agissait en fait de minerai de bauxite, volé sur son site de stockage, et non de déchets.
“Ça suffit de faire semblant de ne pas comprendre, de raconter délibérément des mensonges pour faire peur, s’agace Éric Duchenne, directeur opérationnel de l’usine, qui martèle que les résidus “ne sont pas toxiques, pas dangereux. On va finir par se fâcher et porter plainte pour diffamation”. L’ambiance est posée avec les militants écologistes, avant une séquence 2019 qui s’annonce intense.
La mobilisation s’est cristallisée fin 2015 et début 2016, au moment du renouvellement par le préfet de la dérogation préfectorale dont bénéficie l’entreprise pour rejeter des effluents polluants en Méditerranée. Depuis, les actions se développent aussi sur les enjeux à terre, autour du site de Mange-Garri (Bouc-Bel-Air), où s’accumulent les boues rouges séchées. L’année 2019 concentre plusieurs rendez-vous cruciaux dans ce dossier. Tour d’horizon.
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Mange-Garri, l’enquête publique imminente
La date précise n’est pas encore connue, mais ce serait pour avril, selon l’AFP. Dans quelques semaines, Alteo devra présenter au public une évaluation complète de l’impact de son activité, comprenant le rejet en mer et le stockage à Mange-Garri. Cette nouvelle enquête publique, après celle organisée fin 2015, se tient sur ordre du tribunal administratif de Marseille, saisi par plusieurs associations écologistes.
Ces derniers considéraient que le précédent dossier d’enquête était trompeur en n’évaluant pas la conséquence à Mange-Garri de l’arrêt complet des rejets en mer de boues rouges. Issus du procédé industriel de transformation de la bauxite en alumine, ces déchets étaient déversés tels quels au large de Cassis depuis des décennies. Depuis 2016, seule la partie liquide est rejetée, la partie solide étant, elle, déchargée à Mange-Garri, à 1,5 kilomètre à vol d’oiseau de l’usine de Gardanne.
Cette colline était utilisée depuis des dizaines d’années par Alteo, mais de manière marginale. Le volume stocké est monté en puissance, comme le montre le graphique ci-dessous, réalisé par Alteo. Rapidement, les riverains se sont inquiétés de l’envol des poussières en provenance du site, s’agissant d’un déchet chargé en métaux lourds (lire notre article).
2. Un dossier d’enquête qui s’annonce touffu
Pour l’heure, les seuls éléments qui ont filtré sur la nouvelle étude d’impact proviennent de l’autorité environnementale, une émanation du ministère de l’Écologie. Si l’on en croit son avis rendu le 6 février, le débat s’annonce touffu. “Le dossier fourni, qui comprend plus de cent pièces, dont 33 au titre des compléments requis [par le tribunal], est cependant très difficilement assimilable. Il conviendrait au minimum de recenser et de hiérarchiser ses différentes composantes”, souligne-t-elle. Elle recommande par ailleurs de fournir au public un “résumé non technique” en un seul document. “Nous sommes en train de préparer notre réponse, dont nous réservons la primeur au préfet et à l’autorité environnementale”, indique Éric Duchenne.
Le point le plus observé sera sans doute celui de l’impact sanitaire, lié notamment aux poussières. L’autorité environnementale rapporte que “les conclusions de l’évaluation des risques sanitaires tant pour le site de Mange Garri que pour l’ensemble des deux sites” (usine et Mange-Garri) menée par Alteo “n’ont pas mis en évidence de dépassement du quotient de danger et d’un excès de risque”. De quoi conforter Éric Duchenne dans sa dénonciation des “tracts mensongers”. Mais l’avis ne mentionne pas la source de l’évaluation et sa méthodologie, alors qu’une étude publique de 2017 a pointé la difficulté de la tâche, avec à la clé une campagne de mesures par l’organisme Air PACA (lire notre article).
D’autre part, elle s’étonne que l’estimation de la capacité de Mange-Garri ne soit pas actualisée. “Les perspectives de valorisation et de saturation ou non du site sont des éléments importants pour l’information du public et des décideurs”, souligne-t-elle. Pour le maire de Bouc-Bel-Air Richard Mallié (LR) c’est tout vu : il “s’opposera formellement au renouvellement de l’autorisation de stockage après 2021 lorsque la Préfecture le saisira” estimant que “les réponses [qu’Alteo] apporte ne le satisfont pas”.
2. La chambre de commerce à la rescousse pour aider Alteo à vendre ses déchets
Quand Mange-Garri arrivera-t-il à “saturation” ? La question dépend en effet de l’ampleur de la “valorisation” des résidus séchés, qu’Alteo cherche à commercialiser sous le nom de bauxaline. Faire d’un déchet une ressource : le principe est à la base de l’économie circulaire, sujet pris à bras le corps par le député de la circonscription François-Michel Lambert (UDE). Mais près de vingt ans après le dépôt de la marque, le “produit” n’a pas encore trouvé son marché. Le seul débouché massif trouvé jusqu’à présent est la couverture de décharges d’ordures ménagères, où son potentiel concurrentiel est limité à un rayon géographique proche, comme le notait Marsactu dès 2010.
Trois pistes principales sont sur la table : matériaux de construction, dépollution des sols, et sidérurgie. Dans cette tâche complexe d’écouler 350 000 tonnes par an, Alteo reçoit actuellement le renfort de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), qui a lancé en janvier “une démarche visant à structurer les filières d’économie circulaire industrielles en Provence”. Avec la bauxaline comme premier cas concret. “Des groupes de travail se mettent en place où sont présents préfecture, CCI, acteurs patronaux, avec l’idée de travailler filière par filière”, expliquait le vice-président de la CCI Maurice Wolff au micro de Radio JM. L’idée est “qu’Alteo rencontre d’autres industriels” potentiellement intéressés, avec un premier point d’étape en juin. Un appui indispensable pour Éric Duchenne :
Créer des filières industrielles, on n’est pas capables de faire ça. Notre métier, c’est de fabriquer de l’alumine, pas de l’acier ou des parpaings.
En réalité, le début d’année a été plutôt mauvais sur ce front. L’été dernier, Alteo avait trouvé preneur avec l’aciérie Celsa, située à la frontière des Landes et des Pyrénées-Atlantiques. La bauxaline devait être mélangée avec 14 000 tonnes de matériaux pollués au plomb pour servir à la voirie de l’extension de l’usine. Sauf que les préfets des deux départements, qui avaient autorisé l’opération, ont révisé leur jugement après une mobilisation d’associations. “L’examen des résultats des analyses réalisées sur la bauxaline fait apparaître [qu’elle] ne satisfait pas aux exigences” pour être utilisées dans des couvertures routières, apprend-on dans un nouvel arrêté préfectoral. Sa conclusion ? Il faut remballer la bauxaline et utiliser des matériaux dûment autorisés.
“Les services de l’État n’ont pas bien compris le cadre réglementaire : la bauxaline n’était pas là pour la couverture routière mais pour dépolluer en captant le plomb, regrette Éric Duchenne. Pour lui, “l’expérience est très positive car les résultats de cette dépollution à grande échelle sont exceptionnels”. Il veut croire que cet épisode “a pu montrer à certaines personnes les limites de la réglementation si on veut faire de l’économie circulaire”.
3. Le 31 décembre comme date butoir pour le rejet en mer
En parallèle, le temps tourne sur le plan de la remise aux normes du rejet en mer. En janvier, la justice a confirmé l’accélération du calendrier. L’arrêté du préfet qui donnait jusqu’à fin 2021 pour réduire les concentrations de polluants a été modifié par le tribunal administratif de Marseille (lire notre article) pour avancer la date butoir au 31 décembre 2019. Au début de l’année, la cour d’appel n’a pas jugé la situation suffisamment urgente pour suspendre ce décalage de deux ans du calendrier, en attendant le jugement en appel sur le fond.
Elle estimait notamment dans son arrêt qu’Alteo n’avait pas démontré que “le terme de la dérogation pour ces substances [polluantes], pour lesquelles la solution de traitement en est au stade de la mise en œuvre, ne pourrait pas raisonnablement être ramené au 31 décembre 2019″, estimait-elle dans son arrêt. La “solution de traitement” évoquée, qui consiste en une injection de CO2, sera d’ailleurs inaugurée ce 22 mars. Elle complète la filtration mise en place depuis 2016, dont les bons résultats ont déjà incité à la préfecture à durcir certains plafonds de pollution. Pour autant, Alteo maintient qu’il lui sera difficile de respecter l’ensemble des normes fin 2019. Si l’arsenic, l’aluminium et le pH devraient être traités par la nouvelle station, deux paramètres concernant l’eutrophisation du milieu pourraient continuer à être largement hors des clous.
4. Pas de fermeture immédiate en cas d’échec
Mais, la cour administrative d’appel “précise les mesures qui pourraient être prises pour poursuivre l’exploitation au-delà du 31 décembre 2019”, notait bien Alteo dans le communiqué de réaction à la décision. Autrement dit, tout en lui donnant tort, la cour déroule un scénario rassurant pour l’industriel. Le risque de fermeture de l’usine et de casse sociale ? “À supposer même que (…) les résultats attendus ne seraient pas atteints [cela ne suffit pas pour établir que] la société serait conduite à cette même date à cesser toute activité et à licencier ses quatre cent soixante et onze salariés comme elle le soutient“, soulignent les juges.
Qu’Alteo se rassure, poursuivent-ils : “Ni le jugement attaqué ni l’arrêté préfectoral du 28 décembre 2015 ne prévoient l’existence d’une telle sanction”. La voie logique serait une mise en demeure du préfet avec un (nouveau) délai pour rentrer dans les clous. Puis, si le dépassement des valeurs limites de pollution persiste, il peut décider d’“une ou plusieurs des sanctions administratives”. Si “une suspension provisoire” du fonctionnement de l’usine peut faire partie des mesures, elle n’équivaut pas exactement à une fermeture définitive.
De plus, “pour être légale, [cette suspension] doit être proportionnée à l’importance des nuisances générées par l’installation”, rappelle par avance la cour administrative d’appel. Or, il est fort possible qu’Alteo réussisse à convaincre que les deux paramètres non conformes ont “un impact limité sur l’environnement marin”. “Ce dernier point est essentiel puisqu’il permettra en tout état de cause d’assurer la continuité de l’activité après cette échéance”, se félicite l’industriel dans son communiqué. Un refuge juridique bienvenu pour l’usine, alors que la pression pourrait redoubler à l’annonce des premiers rejets officiellement hors la loi.
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On hésite à conclure entre une inadaptation des règles administratives au recyclage et une esbroufe analogue au retraitement du combustible nucléaire. Si on peut faire de l’électricité sans nucléaire, peut-on se passer d’aluminium ? Est-ce qu’il ne faudrait pas investir plus dans la recherche en bio-ingénierie pour produire des matériaux bio-sourcés renouvelables et substituables à l’aluminium ? Diminuer l’usage de l’aluminium ou amplifier son recyclage ?
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