La justice blanchit un assistant du tribunal de Marseille soupçonné de conflit d’intérêts
Le cas d'Antoine P., assistant au tribunal judiciaire de Marseille, a été examiné par la chambre de l'instruction. Ce spécialiste des sujets environnementaux était accusé de conflit d'intérêt par le principal suspect dans une affaire de trafic de déchets. Celui que l'on surnomme le "roi des poubelles" demandait en parallèle l'annulation de la procédure. Une demande rejetée par la chambre.
Le magistrat écope de huit mois de sursis, contre cinq en première instance. (Photo : C.By.)
L’histoire avait fait grand bruit dans les couloirs du palais de justice de Marseille. Il y a quelques mois, la presse relevait la délicate position de l’un des assistants spécialisés du pôle environnement. L’homme était alors visé par une plainte émanant du principal prévenu dans une importante affaire de trafic de déchets. Les qualifications pénales alléguées ? Prise illégale d’intérêt, corruption et trafic d’influence. En parallèle, Richard Perez, que l’on surnomme le “roi des poubelles”, et ses conseils, demandaient l’annulation de la totalité de la procédure.
Il faut dire qu’Antoine P., l’assistant spécialisé en question, a été durant plusieurs années gérant d’un cabinet de conseil, avec pour clients des entreprises citées dans l’instruction. Cabinet de conseil dont il détenait toujours des parts au moment de l’instruction du dossier de Richard Perez, pour laquelle il a été sollicité à plusieurs reprises. Mais la chambre de l’instruction, compétente pour juger cette requête en nullité, vient de rejeter la demande de Richard Perez. Pour l’instance, le rôle d’Antoine P. ne suffit pas à justifier une partialité de la justice dans cette affaire, ni une quelconque inéquité dans la procédure.
Contacté, Antoine P. n’a pas souhaité réagir auprès de Marsactu au sujet de cette décision. Une source au tribunal indique que ce dernier est, logiquement, toujours en poste. En revanche, il n’est plus affecté au suivi du dossier qui met en cause le “roi des poubelles”. De leur côté, les avocats de Richard Perez n’ont pas souhaité commenter la nouvelle. Visiblement bien décidés à ne pas s’en tenir là, ils indiquent préparer un pourvoi en cassation.
Une “intervention limitée”
Pour la chambre de l’instruction, la conclusion est pourtant claire. Si Antoine P. a bien participé à la procédure dans laquelle Richard Perez est mis en examen pour de nombreux chefs d’accusation, il n’y participe pas “« partout, tout le temps », comme le prétend la requête”, écrit l’instance de la cour d’appel. Sur 15 000 actes, la chambre n’a repéré qu’“une intervention limitée”. Soit, tout de même : la réalisation de trois documents de synthèse, deux correspondances avec des services préfectoraux ainsi que sa présence lors d’interrogatoires et de deux déplacements sur les lieux et enfin l’assistance ponctuelle à des officiers de police judiciaire dans leurs investigations. “Il n’a assisté le juge d’instruction que lors d’un nombre restreint d’actes d’information, appuie la cour. Il ne saurait donc être considéré que, sur le plan purement quantitatif, Antoine P. aurait exercé sur le cours de l’instruction une influence centrale, permanente et déterminante.”
Quant aux éléments qui auraient pu être réalisés par Antoine P. dans le cadre de l’enquête sans être versés au dossier, comme cela est théoriquement possible, la cour estime qu’elle ne peut se référer “à un libellé très théorique de profil de poste [et] des notes purement hypothétiques, mais exclusivement aux pièces figurant au dossier”.
La chambre d’instruction note par ailleurs qu’“aucun grief n’est invoqué concernant l’irrégularité intrinsèque de tel ou tel acte auquel a participé Antoine P et ce n’est qu’au regard de ses activités privées qu’il est soutenu que la procédure pénale s’en trouverait contaminée.”
Pas de “couple juge-assistant”
Pour rappel, le cabinet de conseil d’Antoine P. a pour client, par exemple, le groupe Sclavo, “l’un des principaux apporteurs des déchets déposés sur le site de Milhaud”, précisait la plainte des avocats de Richard Perez. Mais aussi, selon des éléments consultés par Marsactu, sur les sites de Meyrargues et Saint-Chamas, là même où d’importants incendies ont déclenché le début de l’enquête. Dans leur plainte, les avocats du “roi des poubelles” ajoutent : “cette entreprise est concernée par les faits présumés de gestions irrégulière, transfert illicite et dépôt illégal de déchets”. Pour autant, Sclavo ne fait pas partie des mis en examen.
La chambre d’instruction s’attèle à développer un second argument : l’assistant spécialisé ne peut, en aucun cas, se substituer au rôle décisionnaire du magistrat qu’il assiste. “Contrairement à ce que laisse accroire la requête, ce n’est pas un couple juge d’instruction-assistant spécialisé qui interroge les mis en examen”, détaille par exemple la cour ou encore : “l’ensemble des interventions précitées d’Antoine P a été préalablement autorisé par le magistrat instructeur.”
“Plus on a d’assistants, mieux on se porte”
Visiblement agacés par cette vision de l’assistant tout-puissant présente dans la requête du “roi des poubelles”, les magistrats insistent : “l’assistant spécialisé n’est nullement l’alter ego au plan technique du magistrat instructeur […]. Il n’a aucunement eu pour mission d’impulser, orienter ou diriger l’instruction, ordonner des investigations ou trancher en droit, toutes prérogatives réservées aux magistrats.” Les assistants ne sont même pas, conclut la chambre, “assimilables à des experts judiciaires.” Ainsi, il “ne saurait-être considéré que l’assistant spécialisé serait soumis, par nature, à un quelconque principe d’impartialité au même titre ou dans les mêmes conditions qu’un juge.” Et, jusqu’à preuve du contraire, ce dernier n’a pas “fait preuve d’une quelconque partialité.”
En attendant le pourvoi en cassation de la défense, l’instruction de cette affaire hors normes va donc pouvoir poursuivre son cours. À ce stade, 22 personnes morales et physiques ont été mis en examen pour des chefs allant de la gestion irrégulière et l’exportation de déchets en bande organisée, en passant par le mélange non autorisé de déchets dangereux. Ce trafic concerne des centaines de milliers de mètres cubes de déchets passant par de nombreuses communes du Gard et des Bouches-du-Rhône (Saint-Chamas, Marignane, Bouc-bel-air…), avec des chiffres d’affaires de dizaines de millions d’euros. Bref, un dossier titanesque.
“Ce qu’il faut noter, dans cette histoire, ajoute une source au sein du tribunal judiciaire, c’est surtout que l’on manque d’assistants spécialisés qui sont précieux sur ces dossiers. Actuellement, on doit se les partager entre le siège et le parquet. Or, plus on a d’assistants spécialisés, mieux, on se porte“. Même sans le “roi des poubelles”, Antoine P. risque donc d’avoir rapidement à nouveau du pain sur la planche.
Commentaires
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“Pour l’instance, le rôle d’Antoine P. ne suffit pas à justifier une impartialité de la justice dans cette affaire” : lapsus révélateur ?
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Révélateur de quoi?
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“Lapsus” corrigé
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Les conseils de Monsieur Perez ont été mauvais. Ces avocats avaient cru trouver un biais pour faire capoter la totalité de la procédure sur un point très mineur d’un conflit d’intérêts éventuel. Malheureusement leur demande auprès du tribunal semble avoir été si touffue et capillotractée que le tribunal n’a eu aucune difficulté pour l’écarter d’un revers de manche rigolarde. Gageons que ces conseils déposeront encore moult procédures pouvant retarder la condamnation quasi certaine de Monsieur Perez, toujours présumé innocent, bien sûr.
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