La fin du “squat thérapeutique” de la rue Socrate
Le squat dit "thérapeutique" de la rue Socrate, en plein centre-ville vient d'être évacué. Ses occupants, une trentaine de personnes, risquent de se retrouver à la rue. Parmi eux, des familles avec enfants et des personnes atteintes de maladies mentales.
Une trentaine de personnes, dont des familles avec enfants, vivaient dans ce squat. (Photo: Violette Artaud)
Les cabas s’entassent au pied de l’immeuble. La mine défaite, ses anciens occupants regardent les déménageurs en sortir les meubles. Une dizaine de policiers bloque la rue. Karim fume clope sur clope, les sourcils froncés. “Je veux pas redevenir comme avant. Si je suis dehors, je sais que je vais dérailler”, s’inquiète-t-il, en fixant le sol. Karim a 44 ans et des problèmes d’alcool. Il est arrivé au squat du 3 rue Socrate il y a 4 mois. “J’étais en train de descendre la pente, j’ai vécu une séparation difficile, j’ai sombré dans l’alcool, j’ai perdu mon travail et je me suis carrément retrouvé à la rue, explique cet homme au visage boursouflé. On m’a dit qu’ici il y avait de la place et quand on a un toit, même si on garde nos problèmes, je peux vous dire que ça soulage.” Ce matin, Karim est de nouveau sur le bitume. Le Samu social lui propose une chambre d’hôtel dont il pourra bénéficier dix jours au maximum. Charge à lui de trouver une solution pour la suite.
Le 30 juin dernier, la justice a rendu une décision ordonnant l’évacuation du lieu après une plainte des propriétaires. Cela faisait maintenant deux ans que le squat de la rue Socrate avait été institué [lire ici notre article lors de son ouverture] avec l’aide de l’association Marabout. Ce squat, qui s’élève sur les quatre étages d’un ancien hôtel particulier et qui compte dix-sept chambres, avait pour but d’accueillir principalement des sans-abris atteints de maladies mentales, seuls ou accompagnés des leurs. Une trentaine de personnes vivaient ici, dont de nombreuses familles avec des enfants. Comme Jeanne, son mari et leur petite fille de quatre ans. Ils logent ici depuis huit mois, date à laquelle ils ont perdu leur RSA et avec leur logement.
“Dans les centres d’accueil ils n’acceptent pas mon mari. Nous, on veut rester tous les trois, explique la jeune femme de 24 ans, on va devoir trouver un truc rapidement parce qu’en septembre, la petite reprend l’école”. Jeanne et son mari ont eux aussi des problèmes d’addiction. Pour le moment, ni l’un ni l’autre n’a de travail. Ils vont donc aller à l’hôtel mais dans dix jours, si rien n’est fait, ils se retrouveront à nouveau dans la galère.
“Ajouter de la fragilité à la fragilité”
Sur la trentaine de personnes hébergées dans ce squat, une bonne dizaine sont des enfants. Véronique Juillan, coordinatrice à Osiris (une association de soutien thérapeutique aux victimes de torture et répression politique), suivait ici une famille serbe de cinq personnes, dont trois enfants. “Dorénavant le suivi risque d’être beaucoup plus compliqué, ces gens ont vécu des traumatismes lourds, ils sont fragiles et les mettre à la rue, c’est ajouter de la fragilité à la fragilité”, décrit-elle. Une fois par mois, le père de cette famille doit se rendre au centre d’Osiris pour être soigné. Avec l’évacuation du squat, Véronique doute de le revoir.
Cette famille, comme la plupart des personnes qui vivaient dans ce squat, vont être hébergées en urgence dans des hôtels payés par l’État, de façon provisoire comme le prévoit le système d’hébergement des Bouche-du-Rhône, considéré par un rapport sénatorial comme l’un des plus restrictifs en France [lire notre article]. “5 familles ont été mises à l’abri. L’association HAS (qui travaille sur l’accès au logement des publics fragilisés, ndlr) a été mobilisée par l’Agence régionale de santé pour une éventuelle prise en charge de personnes souffrant de troubles psychiques”, précisaient mercredi soir les services de la préfecture. Les hébergements proposés sont provisoires. Et encore faut-il que les personnes acceptent de se rendre à l’hôtel.
“Dans la rue on peut disjoncter à tous moments”
Guillaume hurle contre les membres du Samu social. Ce jeune homme de 27 ans, casquette à l’envers sur la tête, est atteint de paranoïa à tendance schizophrène. Cela fait un an qu’il vit dans le squat de la rue Socrate. Pour lui, pas question d’aller à l’hôtel. Il devrait pour cela laisser seule sa copine, Cindy, qui n’a que 17 ans et pas de papiers. La jeune fille ne peut pas être prise en charge sans l’accord de ses parents.
“J’ai fugué de chez eux il a plusieurs mois parce qu’ils étaient alcooliques”, retrace Cindy. Guillaume lui, fuyait de “mauvaises fréquentations”. “Avant je prenais de l’héroïne et de la cocaïne, maintenant j’y touche plus”, raconte-t-il la tête haute. Mais Cindy est inquiète, elle sait que s’ils se retrouvent à nouveau dans la rue, tout peut basculer. “Dehors on peut disjoncter à tous moments, il y a la drogue, l’alcool, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Je fais la manche toute la journée, le soir j’ai envie de rentrer quelque part”.
Pour les associations, la situation à Marseille est catastrophique. Sur le terrain, les militants ont le sentiment que les personnes à la rue sont de plus en plus nombreuses, même si le nombre exact de sans-abris qui errent dans la ville est difficile à définir. Selon les dernières estimations de la fondation Abbé Pierre, ils seraient 12 000 à Marseille. Des réflexions au long terme sont menées entre la préfecture et les associations. Mais pour le moment, aucune solution sur le court terme n’émerge. Certaines associations, dont Marabout, ont opté pour la réquisition de force de logements vacants, comme cela fût fait pour le squat de la rue Socrate en août 2015. Une méthode que menace d’employer le “collectif des délinquants solidaires” lancé récemment et composé notamment de la Fondation Abbé Pierre et de Médecins du monde.
“Nous soutenons ces réquisitions car nous n’acceptons pas la façon dont notre société criminalise la pauvreté, déclare Fathi Bouaroua, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. C’est le mythe de Sisyphe, en ce moment on arrête pas de virer des gens, on essaye de les loger et puis ça recommence. Nous sommes en plein été, tout le monde est en vacances c’est le bon moment pour les évacuations”. Pour le moment, le collectif se pose surtout en soutien d’actions, lancées par des “ouvreurs” de squats, qui agissent la plupart du temps à titre individuel. Ces derniers réfléchissent à de nouveaux lieux qu’ils pourraient investir et peaufinent leurs méthodes, et les petits détails juridiques qui peuvent permettre de retarder les procédures d’expulsion. Au début du mois, une tentative de réquisition avait échoué à la Blancarde. La prochaine fois, les “ouvreurs” promettent de prendre plus de précautions pour contourner la loi de la propriété et faire appliquer le droit au logement opposable.
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