Julien Chauzit : “Dans mon film la vision des usines les sort de l’insouciance des vacances”
Dans un docu-fiction disponible en ligne, le jeune Martégal retourne dans sa ville natale pour raconter le choc de quatre amis face à la découverte des industries de l'étang de Berre. Avec Marsactu, il revient sur son propre éveil écologique, son rapport au territoire et à ses enjeux économiques.
Trois jeunes Marseillais et une Parisienne en vacances à Martigues se questionnent sur ce territoire. (Photo : Capture d'écran / Les autres films)
Passer des paysages exceptionnels de la Côte bleue aux cheminées d’usines sur la route de Fos. Trois jeunes Marseillais et une Parisienne en vacances à Martigues se questionnent sur ce territoire où réside le plus grand étang salé d’Europe, encerclé d’un immense complexe pétrochimique.
Présenté en 2021 au FID Marseille, La Colline est le premier film de Julien Chauzit, sous forme de docu-fiction. Actuellement au catalogue de la plateforme documentaire Tënk et diffusé par Mediapart, il a notamment été remarqué par Libération. Nous avons rencontré le réalisateur de 27 ans, natif de Martigues, qui aborde cette thématique forte de Marsactu.
D’où est partie l’idée du film ?
À l’été 2018, il y a eu plein d’articles de presse sur le changement climatique et ses conséquences. J’étais sur un tournage de fiction et je me disais « mais qu’est-ce qu’on fait là à faire de la fiction alors que le monde brûle ». Je crois qu’un rapport du GIEC [groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr] était sorti et m’avait foutu des bouffées d’angoisses. Alors, j’ai eu envie d’articuler un film de vacances à une réalité documentaire. Je voulais parler d’une génération un peu dépossédée de ses moyens d’agir et qui ne sait pas comment s’incarner dans le monde car je constatais cette pénurie d’engagement dans mon entourage. Je me suis mis à chercher un projet écocide en France. Et en revenant à Martigues pour voir ma famille, j’apprends que l’usine de La Mède, propriété de Total, s’était reconvertie à la production de biocarburants. Je n’y avais même pas pensé une seconde pour le film. Le fait d’être parti m’a permis de voir que j’avais grandi à côté d’une usine sans jamais me poser la question de la pollution et de ses impacts, ça s’était normalisé dans ma tête. Alors que la pollution, on en parlait à l’école depuis longtemps. Donc voilà, je suis parti de cette réalité un peu autobiographique. Le personnage de Mélisande va suivre le même cheminement que moi : avoir grandi là et poser un regard complètement nouveau en revenant avec des amis. Voir les usines comme pour la première fois.
Les trois locaux les découvrent au même titre que la Parisienne. Était-ce voulu ?
Ça part d’une réalité documentaire. Je voulais des acteurs locaux pour ancrer le truc. Ils ont gardé leurs prénoms. Mateo, Ilan et Mélisande se connaissaient et Solène est Parisienne mais a grandi à Arles. Martigues n’était pas une ville qu’ils connaissaient, ni ses usines.
Quel était votre regard sur Martigues et ses usines avant cette prise de conscience ?
J’y suis né en 1996 et j’y ai fait toute ma scolarité jusqu’à l’obtention de mon bac au lycée Jean Lurçat. Quand j’étais petit, je passais devant les usines tout le temps pour aller faire les courses. Et puis ça puait. On n’était pas dupes sur la pollution, mais ça restait à un niveau d’inconscience quand même. Mes parents savaient que la région était très polluée et ils ont envisagé de partir une fois, mais ils travaillent tous les deux à Fos-sur-Mer. Donc ils n’ont pas pu pour des raisons professionnelles.
Les emplois que génèrent les usines ne peuvent pas être mis de côté. Il y a eu une époque où la réduction des emplois inquiétait plus que la pollution.
Effectivement, et je suis concerné. On a vécu en partie grâce à l’argent de mon père qui travaille à ArcelorMittal. Disons que ce paradoxe est indépendant de ce que l’on pense. Notre réalité idéologique et économique ne se superposent pas toujours, surtout dans une région industrialisée. Du côté de Fos, il y a de gros employeurs. La question après, c’est comment on peut s’en défaire. Mais à l’échelle individuelle, c’est difficile.
Comment ont réagi vos proches en visionnant votre film ?
Ma tante qui habite aussi dans le coin m’a dit que depuis le film, elle ne supporte plus le bruit et les odeurs des usines. Au début, mes parents ne savaient pas ce que je faisais dans le détail, mais ils m’ont soutenu matériellement parce qu’on n’avait pas de sous et aussi en me prêtant la maison. Mon père ça l’amusait un peu vu qu’il travaille à Arcelor. Ils ne m’ont jamais dissuadé de le faire.
La patronne d’un restaurant, situé à quelques mètres d’une torche de la raffinerie, exprime bien ce paradoxe dans le film. D’autres artistes, comme le photographe Franck Pourcel en 2006 ou plus récemment Véronique Esterni, chroniqueuse de Marsactu, ont mis en lumière ces “vies oubliées”. Vous aussi avez choisi de filmer des figures locales comme Daniel Moutet. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela apporte ?
Je cherchais quelqu’un qui était engagé sur les questions de santé dans la région. Je ne connaissais pas Daniel Moutet, c’est [mon directeur de la photographie] Cyril Pedrazzini qui m’a beaucoup aidé. Il m’a donné son nom et je l’ai appelé. D’une part, je voulais que le film puisse apporter des connaissances, d’un point de vue factuel. Même si on a beaucoup coupé après. C’était aussi une façon de documenter les modes d’engagement qui existent dans la région et de lui rendre hommage. Il est une figure qui impose le respect étant donné qu’il a donné sa vie à ça. Il ne le fait pas entre le fromage et le dessert, c’est un combat quotidien et il a eu des soucis pour ça.
Il y a aussi une certaine esthétisation avec les plans des usines au coucher de soleil et la musique saisissante.
Oui, je pense qu’il y a une fascination esthétique pour cet endroit parce que ce sont des images assez percutantes. Il y a une espèce de beauté industrielle avec son architecture très particulière et son ancrage dans la nature, au creux des collines et à côté des plages. Cette hybridation-là interroge notre rapport à un territoire. Dans le film, l’usine n’est pas seulement filmée sous un prisme documentaire. Le son va en faire une espèce de monstre. Elles font du bruit et sont vivantes à leur façon. Je me suis inspiré du Seigneur des anneaux pour le plan d’ArcelorMittal. Avec sa fumée qui colore les nuages, un peu comme le Mordor [région maléfique dans la trilogie de fantasy, ndlr].
À côté de ça, il y a des scènes très contemplatives des jeunes en vacances, parfois dénuées de dialogue…
Il y avait l’idée d’une maturation un peu silencieuse, pour laisser un espace au spectateur. Je voulais qu’il conduise sa réflexion avec le son, les images et pas seulement un discours. En tout cas, c’était la mission des acteurs et des actrices. Pendant le tournage, j’ai compilé des articles de presse sur les questions climatiques pour qu’ils les lisent pendant l’installation des prises, qui peut parfois être longue. Quand on commençait à tourner, ils avaient quelque chose derrière la tête. Lors des rencontres avec les personnages documentaires, ils ont une position d’écoute et deviennent secondaires, pour inciter le spectateur à tendre l’oreille.
L’éveil écologique n’est pas forcément une réaction naturelle chez tout le monde, comme pour vos personnages…
On ne sait pas quel est leur positionnement sur l’écologie. La vision des usines les sort de l’insouciance des vacances. Le film montre des jeunes qui veulent profiter, aller à la plage, s’aimer et cette vision va les en empêcher. J’avais envie de montrer leur sentiment d’impuissance et leur tâtonnement. Effectivement, il y a des gens qui s’en foutent, mais je pense que leur vie ne leur permet pas de réfléchir à ces choses-là. Quand on travaille, on n’a pas l’espace mental pour se documenter et lire une synthèse du Giec [groupe international d’experts sur l’évolution du climat, ndlr]. J’ai choisi des jeunes qui sont dans une espèce de désœuvrement qui leur permet de s’intéresser à ce sujet-là et de se poser la question de comment rester optimistes.
Vous êtes-vous confrontés à des mécontentements ou des critiques durant le tournage ? Je pense à la scène de rap engagé lors de la sardinade à Martigues. Y a-t-il eu des réactions ?
Il n’y a pas eu de réactions particulières. On s’était mis d’accord avec les musiciens pour monter sur scène. À ce moment-là, tout le monde est parti pour aller manger. Je ne suis pas sûr que le public ait bien entendu le texte même si Ilan les prévient au début. Pendant le tournage, je me souviens d’une discussion avec des ouvriers qui mangeaient pendant la scène au restaurant. C’était en bonne intelligence et on sentait bien qu’ils défendaient leur lieu de travail et c’est normal. Encore une fois, ça pose la question de l’échelle individuelle, les solutions doivent être trouvées plus haut pour penser les reconversions professionnelles. Mais le but de notre film ce n’est pas de dire qu’il faut fermer les usines, ça serait absurde. Mais déjà qu’elles respectent les normes et qu’elles protègent en premier lieu les gens qui y travaillent. S’il n’y avait pas eu des gens comme Daniel Moutet qui mettent un coup de pied dans la fourmilière, rien n’aurait changé.
Après le festival de cinéma de Marseille et la diffusion sur la plateforme documentaire Tënk, quelle est la suite pour ce film ?
Peut-être une petite tournée dans la région en automne et puis partout en France. J’espère aussi organiser des rencontres comme on a déjà fait dans mon ancien lycée et dans un Ehpad. C’est une des belles choses qu’a apporté le film, à la fin on ne rentre pas chez soi.
Commentaires
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Par ces temps de chômage, pas facile de trouver un autre emploi…À moins de changer radicalement de vie…
Heureusement qu’il y à vous, pour documenter un tel film.
Merci.
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