Jacques Saadé, l'immortel

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le 8 Juin 2011
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Quand Jacques Saadé marche sur l’eau

« La beauté parfaite, la force inépuisable et l’immortalité« . C’est par ces doux mots que Laurence Parisot, la patronne des patrons, a baptisé le 27 mai dernier à Dunkerque « le Titan », le dernier né des porte-conteneurs géants de la CMA CGM. 363 mètres de long, 45 de large et capable de transporter plus de 11 000 conteneurs EVP. Pour ceux qui voudraient éviter de passer pour des lecteurs de newsofmarseille du côté du quai d’Arenc, EVP ça veut dire Equivalent Vingt Pieds, la taille standard d’un conteneur.

Marseillaise, flons flons, VIPs en grande tenue, dont Renaud Muselier,  cocardes tricolores, lâcher de ballons, et tout ça sous un magnifique ciel bleu côte d’Opale. « Quand le vent est au blé, quand le vent est au rire, quand le vent est au sud », comme chantait Jacques Brel. En cet fin du joli mois de mai, alors qu’il pleut à Marseille, le grand port du Nord a déployé le tapis rouge pour l’homme du Sud Jacques Saadé, troisième armateur mondial et patron absolu de la CMA. L’Immortel, c’est lui.

Fluctuat nec mergitur

Après l’annus horribilis qu’il a passé l’an dernier, Saadé n’a plus peur de rien. Même pas des symboles. Appeler un navire Titan, aucun autre armateur, depuis un certain 15 avril 1912 n’aurait osé. Fluctuat nec mergitur, comme on dit à Massilia… Saadé marche sur l’eau. Surtout à Dunkerque, le paradis des armateurs, « un port qui ne fait jamais grève« , comme il se fait une joie de régulièrement le répéter.

Pourtant, il n’y pas que sur les docks de la cité de Jean Bart qu’il a fait exceptionnellement lourd ces dernières semaines. Ca a cogné aussi sur le quai d’Arenc. Et la machine de guerre de Tanya Saadé, la fille de Jacques et patronne de la com’, assistée par la tout aussi redoutable Anne Méaux, présidente d’Image 7, a tourné à plein régime pour transformer de grosses tempêtes médiatiques potentielles en maigres filet d’eau dans la presse nationale et internationale. Sans parler de la presse locale. Mission 100% réussie. Retour sur une belle gestion de crise(s).

Drames humains

D’abord les drames humains. Le temps n’est plus au rire. Au début de cette année, on apprenait le suicide d’un commandant, qui n’aurait pas supporté une forme de « mise à pied » suite à un accident qui s’était produit à la fin de l’année dernière. Le Lapérouse, le porte-conteneurs qu’il commandait, et alors qu’il n’était pas de quart, était entré en collision avec un caboteur au large des Pays-Bas, comme l’ont raconté nos confrères de Mer et Marine. Pas de langue de bois ici, la CMA n’a pas la réputation d’avoir un « funky » management. L’entreprise est dure, le business aussi.

Mais là un homme s’est donné la mort. Et l’ensemble de l’entreprise, du rez-de-chaussée aux étages de la direction a été profondément touchée par ce drame. « L’entreprise assumera toutes ses responsabilités. C’est la première fois que cela arrive, mais il faut faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise pas », a déclaré le DRH de l’armateur, cité par Mer et Marine.

Nouveau terrible coup du sort quelques semaines plus tard, avec le décès de deux jeunes officiers marins, cette fois dans un tragique accident lors d’un exercice de sécurité à bord du Christophe Colomb, dans le port de Yantian, en Chine. Deux jeunes marins originaires de Marseille, issus de son école de la Marine marchande, et là aussi un drame qui a retourné le quai d’Arenc, et la communauté maritime marseillaise.

Trafic d’armes

A côté de ces drames humains, la CMA a dû faire face à des soupçons de trafic d’armes, suite à la saisie par les services secrets israéliens de conteneurs remplis d’armes lourdes, comme des missiles, obus de mortiers et autres joyeusetés, le 15 mars dernier au large de l’Egypte, comme l’a raconté France Soir – le seul média français à en avoir réellement parlé :  »des missiles pour le Hamas : la CMA sur le grill« . Si la responsabilité de la CMA n’est absolument pas engagée comme l’expliquait ce matin au Canard Enchaîné un collaborateur de Gérard Longuet, le ministre de la Défense – « la Cma n’a commis aucune faute » – ça tombait plutôt mal.

Car d’une part c’est la troisième fois en quelques mois que des armes sont saisies sur des navires de l’armateur marseillais, comme nous vous l’avions déjà raconté, et d’autre part l’armateur est candidat à un appel d’offre, justement pour le compte de l’armée française, afin d’en ravitailler ses troupes dans tous les pays du monde. Toujours selon le Canard, il s’agirait d’un contrat de plus de 1 milliard d’euros. Se faire soupçonner au même moment de trafic d’armes, ça la fiche plutôt mal. Mais Hervé Martin, le journaliste du palmipède, ne semble pas très inquiet sur l’issue de ce dossier : « tout est bien qui finit bien« , conclut-il. A suivre.

La commission européenne contre les conférences

Last but not least, on apprenait, il y a quelques jours, et là aussi très discrètement, que la Commission européenne, via sa redoutable direction de la Concurrence, avait déclenché une enquête car elle soupçonnait plusieurs armateurs européens, dont la CMA d’avoir enfreint les règles de l’Europe en matière de concurrence. « La Commission européenne a des raisons de croire que des compagnies maritimes auraient pu ne pas respecter les lois anti-trusts et de s’être entendues sur les prix« , déclarait le service de presse de la commission, ajoutant que l’enquête « ne préjugeait en rien de la culpabilité des compagnies« .

En réalité la commission soupçonne fortement les principaux armateurs européens d’avoir continué leur ancien système dits de « conférences », qu’ils s’étaient pourtant engagés, mais en trainant largement des docksides, a totalement arrêter à la fin 2008. En effet pendant des années les armateurs se réunissaient régulièrement en « conférences » pour fixer ensemble les prix auxquels ils allaient commercialiser leurs conteneurs (les taux de fret), à leurs clients les « chargeurs ». Sous la pression de ces derniers – qui représentent généralement les plus grandes entreprises industrielles et de distribution européennes, dont le transport maritime pour leurs importations et leurs exportations représente des coûts importants, et ont plutôt e
nvie de faire jouer la concurrence – la Commission a interdit ces pratiques.

Pas de bol pour les armateurs, au même moment ils ont connu une crise terrible en 2009 qui a failli en couler quelques uns, dont la CMA. Et ce qui a un peu surpris la direction de la concurrence bruxelloise, c’est de constater qu’après avoir très brutalement chutés en 2009, les taux de fret sont prodigieusement remontés en 2010. Ils ont donc ouvert dans la plus grande discrétion une enquête et envoyés quelques fonctionnaires européens, assistés de quelques collègues nationaux faire une  descente et des perquisitions à l’improviste au siège des principaux armateurs européens, le 17 mai dernier. Histoire d’essayer de faire la main sur quelques documents qui pourraient prouver ces ententes.

Perquisition à la tour Zaha Hadid

Ils se sont rendus à Copenhague chez Maersk, le premier armateur mondial, au siège de Hapag-Lloyd à Hambourg et le même jour à la tour Zaha Hadid , à la CMA. Là non plus, et contrairement à leurs collègues danois et allemands, l’armateur du quai d’Arenc n’a pas souhaité faire de commentaire sur cette enquête. Nos appels téléphoniques n’ont jamais été retournés. Pourtant, si de telles ententes étaient avérées , les entreprises concernées pourraient être condamnées à une amende allant jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires. Ce qui peut représenter plus de 1 milliard d’euros pour la Cma. Pour le même type « d’entente », cette fois dans le trafic aérien, Air France vient d’être condamné à une amende record de 340 millions d’euros.

En tout cas, ça n’a pas l’air d’empêcher de dormir Jacques Saadé, qui le jour de l’inauguration de son Titan des mers à Dunkerque s’offrait même le luxe de se payer les enquêteurs de la Commission en déclarant à nos confrères de WK Transport Logistique   »certains étaient bien habillés, d’autres moins. Ils se sont assis dans mon fauteuil et ont fouillé mon bureau. Ils m’ont confirmé que CMA CGM pouvait parler avec une compagnie chinoise, mais pas avec une compagnie européenne. Alors j’ai ajouté que j’allais bientôt m’installer en Chine« . Peur de rien. Anne Méaux va encore avoir du boulot.

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Commentaires

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  1. Pseudo Pseudo

    ANus Horribilis ?

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  2. Glandouille Glandouille

    Ecrire “annus” avec un seul “n”, ça peut laisser entendre qu’il y a un jeu de mot, même si on cherche lequel. Mais écrire “loser” avec deux “o” en gros caractères comme en page d’accueil sur newsofmarseille, c’est dire si le post est rieur et combien la manie compulsive et mal maîtrisée du “franglais” écorne toute prétention à la rigueur !

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  3. liseron duveteux liseron duveteux

    Cela s’adressait à DSK

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  4. Pierre Boucaud Pierre Boucaud

    Merci c’est corrigé. Bien évidemment aucun très mauvais jeu de mot ( pour une fois)

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  5. MrCasimir MrCasimir

    Pour le grand Jacques, “Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille” ,comme nous le signale un autre site d’information (le commerce du levant).
    Coté famille, chez les Saadé, c’est aussi bien que ‘Dallas’ . Merci Johnny

    http://www.lecommercedulevant.com/node/19009

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  6. jardin jardin

    LE MYTHE D’UNE CONCURRENCE GÉNÉREUSE, QUI FAIT BAISSER LES TARIFS

    Il n’y a pas que la Commission Européenne qui s’intéresse aux ententes sur les tarifs. L’organisme italien chargé de “l’anti trust” mène une enquêtes sur trois compagnies maritimes qui naviguent, “de conserve”, entre l’Italie et la Sardaigne. Parmi ces trois compagnie, une est bien connue des marseillais.
    La presse française s’intéresse peu à ce qui se passe à l’étranger, c’est bien connu. Même si l’événement nous concerne indirectement et… directement. Si vous tapez l’adresse du site suivant et/ou « cari traghetti » sur internet, vous trouverez une série d’articles qui montrent que l’autorité italienne nommée « Antitrust », vient d’ouvrir une enquête contre plusieurs compagnies maritimes soupçonnées d’entente pour pratiquer des prix élevés, sur les lignes entre l’Italie et la Sardaigne. Parmi ces compagnies, on trouve la Corsica-Sardinia Ferries, qui n’est que l’appellation locale de la Corsica Ferries. Vous y verrez comment une concurrence, qui était censée faire baisser les tarifs, pratique l’entente pour les augmenter. Après avoir participé, avec la complicité de l’État, au naufrage de la compagnie publique, la TIRRENIA. Toute ressemblance avec une histoire se passant entre la Corse et le continent français ne serait que pure….
    http://www.informare.it/news/gennews/2011/20110852-indagine-Antitrust-sui-prezzi-traghettifr.asp

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