Ils ont payé pour être embauchés à la métropole : deux hommes témoignent
Après notre première enquête sur Alain Nobili, technicien à la métropole et figure de FO qui monnayait des promesses d'embauches comme éboueur, nous avons pu échanger avec Antoine et Victor. Tous deux ont payé, sans obtenir le poste qu'ils attendaient. Récit d'une escroquerie.
Une "arroseuse" des services propreté dans les rues de Marseille début janvier 2022. (Photo SL)
Assis au bord d’un fauteuil, Victor* balaye l’écran de son téléphone tout en remuant sa jambe frénétiquement. Vêtu d’une doudoune noire mi-longue et d’un jogging gris, il fait défiler la conversation avec Alain Nobili, cet ancien technicien, au service propreté de la métropole Aix-Marseille Provence et figure de Force ouvrière. Comme l’a révélé Marsactu, il est visé par une enquête préliminaire du parquet de Marseille et a reconnu avoir monnayé des emplois à la métropole pour des montants entre 5 000 et 14 000 euros. Victimes de cette escroquerie, Victor et Antoine* livrent le récit de leur tentative d’intégrer par un canal informel les rangs d’une institution publique. Les échanges et les documents que Marsactu a pu consulter illustrent le mode d’emploi d’une combine ratée.
Des promesses de remboursement, des rendez-vous décalés et des excuses en cascade remplissent les bulles de messages, souvent écrits en phonétique. “On se voit demain ce est sûr et certain tu peut compter sur moi y aura pas de feinte ou quoique se soit Je serais bien là avec les sous“, peut-on lire. “Ça me met une haine de revoir ça“, s’agite le jeune homme de 28 ans, visiblement sur les nerfs.
En mai 2021, il dit avoir donné 10 000 euros au fonctionnaire pour que ce dernier lui permette d’être embauché comme cantonnier. Son ami d’enfance Antoine*, habitant à La Penne-sur-Huveaune, a déboursé 7000 euros pour la même promesse. Finalement jamais embauchés par la collectivité, ils suivent aujourd’hui des formations dans le domaine de la logistique et du bâtiment.
7 000 euros avant, et 3 000 à la signature du contrat
Son casque de moto à peine retiré, Victor sort un chewing-gum pour tenter de se détendre. Il le mâchouille nerveusement. Depuis le printemps 2021, le jeune homme se voyait déjà cantonnier puis éboueur. Ses économies et celles de sa famille y sont passées. “Après un accident, ma sœur a eu un chèque de 6000 euros qu’elle m’a donné”, raconte-t-il, désabusé. Avec sa compagne et leur très jeune enfant, ils vivent chez ses parents. Rentrer à la métropole, avec la stabilité de l’emploi, était l’espoir d’un changement de situation. “J’avais le projet de partir et faire mon petit cocon avec ma famille. Lui [Alain Nobili, ndlr], il prend mon argent comme ça“, se désole-t-il. Son ami Antoine explique aussi avoir des difficultés financières depuis qu’il s’est délesté de 7000 euros et assure être à découvert, “à moins mille”, sur son compte en banque.
En mai 2021, les deux hommes rencontrent le technicien de la métropole, dans une pizzeria du 10e arrondissement de Marseille. Ils restent évasifs sur les circonstances. “Il était à la table d’à côté, on a discuté et sympathisé avec lui“, commence Victor. Selon leur récit, Alain Nobili leur propose alors de “rentrer à la ville” comme cantonnier. La compétence du nettoiement des rues et du ramassage des ordures était autrefois exercée par la mairie de Marseille, avant de passer à la métropole au début des années 2000. L’agent ne donne pas tout de suite son identité, alors Victor l’enregistre sur son téléphone au nom de “Mec Ville Rentre”.
C’est la planque, on ne va pas se le cacher. Le travail n’est pas trop fatiguant, tu fais pas beaucoup d’heures, et tous tes crédits passent à la banque.
Victor
Les deux amis sont attirés par l’offre d’Alain Nobili et le “statut avantageux” des éboueurs marseillais. Ils l’assument : “C’est la planque, on ne va pas se le cacher. Le travail n’est pas trop fatiguant, tu fais pas beaucoup d’heures, et tous tes crédits passent à la banque“, égraine Victor. Diplômé d’un BTS dans le secteur du bâtiment, il a travaillé auparavant pour un gros groupe français de construction. “J’étais payé 1100 par mois et les horaires, c’était l’enfer”. Quelques jours après cette rencontre, ils donnent leurs CV et une liasse d’argent à Alain Nobili.
Le deal, c’est 7 000 avant, et 3000 à la signature du contrat. Victor paye les 10 000 en une seule fois. À une question posée par Victor en août 2021, Alain Nobili répond dans un sms : “Alors d’abord le [balai] le temps de passer les tests pour la benne et les test pour l arroseur ! On verra pour la benne si on peut avant mais l arroseuse c est impératif“.
Un étrange intermédiaire
Une fois la transaction effectuée, un long jeu du chat et de la souris s’installe. Alain Nobili leur dit qu’ils seront contactés par un interlocuteur de l’institution. Les deux hommes reçoivent le même message les informant de la date à laquelle ils devront passer un entretien d’embauche et une première visite médicale. Le texte que Marsactu a consulté est là aussi truffé de fautes d’orthographe et signé d’un certain “Didier Reynaud”.
À plusieurs reprises, la veille de l’entretien, ce dernier décale le rendez-vous d’une semaine. Les jeunes hommes commencent à se méfier. “Avec ma femme, on est allés voir sur internet si le nom correspondait. Il n’y avait que Didier Réault qui sortait à la métropole“, rapporte Antoine, en citant le nom de l’élu LR de Mazargues, dont le nom n’est à aucun moment ressorti au cours de notre enquête. Victor écrit alors à Alain Nobili pour lui faire part de ses inquiétudes. “Dans ma tête je me pose plein de question. Je te fais confiance Alain“. “Tu peut !!!”, lui répond l’intéressé. Le numéro de ce “Didier Reynaud” n’est aujourd’hui plus attribué.
“Au premier message, on se dit, impec, on va entrer à la métropole. Mais il nous enrhumait à chaque fois”, enrage Antoine. Le motif du report alterne entre Covid, grève et budget. Son ami abonde : “Il nous mangeait les méninges“.
D’une promesse d’embauche à une promesse de remboursement
Le manège dure huit mois. Victor voit venir la fin de ses droits au chômage et sa femme est sur le point d’accoucher. Il angoisse et réclame à Alain Nobili un remboursement. De la même manière, avec une régularité exemplaire, Alain Nobili promet des virements chaque semaine. Les deux hommes conservent un ton cordial et prennent de leurs nouvelles l’un et l’autre, notamment quand l’agent évoque des difficultés de santé. “Je suis obligé de faire le mea culpa. Quand tu donnes des sous, t’es pas en position de force, grince Victor. Le jeune homme raconte aussi avoir contacté Martine Vassal sur les réseaux sociaux pour lui faire part de sa situation. Au bout d’un moment, mon père m’a dit : arrête tu perds ton temps. J’ai perdu un an et demi de travail“. Malgré les mois qui passent, dans les échanges que Marsactu a pu consulter, le technicien de la métropole insiste et promet de nouvelles échéances.
Pour le faire patienter, Alain Nobili ira jusqu’à lui faire faire signer un contrat de trois mois comme pour un poste fictif d’aide éducateur sportif avec l’Asand, association sportive de ping-pong. L’ancienne figure de Force ouvrière en a été le président durant plusieurs années. Victor reçoit des bulletins de paie, mais ne touchera jamais d’argent. Pour mettre un coup de pression dans le but de récupérer sa mise, il se rend au siège de la métropole et à la direction de la propreté à Rivoire et Carret (11e) : il envoie une photo à l’ancien agent, en le menaçant de révéler la combine à sa hiérarchie.
“J’ai loupé plusieurs offres de CDI dans ma boîte à force d’avoir attendu, appuie Antoine. Sa colère monte et il enchaîne les sous-entendus. “La vérité, il vaut mieux que la police l’arrête avant que moi je le trouve”. Conscients de leur position de corrupteurs, ils ont décidé de parler à la presse comme dernière tentative de pression sur le fonctionnaire corrompu. Ils hésitent désormais à porter plainte.
Marsactu avait convenu d’une rencontre avec Alain Nobili afin de recueillir sa version des faits. Sans surprise, il a décalé notre rendez-vous. Deux fois.
*Les prénoms ont été modifiés.
Commentaires
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“C’est la planque, on ne va pas se le cacher. Le travail n’est pas trop fatiguant, tu fais pas beaucoup d’heures”… Il sera compliqué pour FO de justifier la “pénibilité” pour la prochaine grève habituelle des éboueurs…
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Le futur « comité d’accueil « d’ Alain Nobili à sa sortie de prison. « Libérez notre camarade ! »
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Finalement, il y a une morale à cette histoire: les deux prétendues victimes, corrupteurs de fait, en sont pour leurs frais.Ils n’ le grand corrompu va aller en taule. Et FO sort “grandie” de cette combine
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FO municipaux a fait sienne comme sa nouvelle devise, cette réponse napolitaine face à la Mafia
Je n’ai rien vu
Je n’ai rien entendu
Je n’y étais même pas
Et si j’y étais, je dormais.
Pour ceux qui la souhaitent en Napolitain, c’est possible.
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Vermines. Vraiment marre de ces étrons humains prêts à tout pour ne rien faire et encaisser tranquillement.
Comment espérer que le citoyens lambda se comporte normalement ? Je me demande parfois où nous trouvons la force de rester dignes quand on vit sur ce territoire de bordilles.
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Pitoyable. Désespérément. Les moutons se piétinent ou se bouffent la laine sur le dos. La misère pousse à la bêtise.
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Contacter Vassal via les réseaux sociaux, quelle riche idée. Elle qui bloque quiconque ne lui fait pas de courbettes…. Et au moins elle pourra dire qu’elle n’était pas au courant.
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il en fait embaucher combien avant cette histoire le nobili ?
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