Hydrogène, biomasse et emplois : les clés de la reconversion de la centrale de Gardanne
Le feuilleton qui entoure la centrale de Gardanne depuis l'annonce de la fermeture de l'unité de charbon en 2018, connaît un nouveau tournant. Un premier projet de production de carburants "décarbonés" se présente sur la ligne de départ. Marsactu fait le point.
La centrale de Gardanne. (Photo : Clémentine Vaysse)
La reconversion de la centrale thermique de Gardanne se précise, après des années de crises sociales et d’incertitudes. À partir du 19 septembre, le groupe allemand Hy2gen présentera son projet dans le cadre d’une concertation publique, encadrée par la commission nationale du débat public.
Un an après la signature d’un accord avec GazelEnergie, propriétaire du site, et avec 50 emplois directs et 150 indirects promis, l’installation de cette unité de production de carburants issus de ressources renouvelables apparaît comme la locomotive du “pacte pour la transition écologique et industrielle du territoire de Gardanne-Meyreuil”.
Signé en décembre 2020 par GazelEnergie avec l’État, les collectivités, le port de Marseille-Fos et la chambre de commerce et d’industrie, ce pacte visait à accompagner la fermeture de la dernière tranche charbon, effective en janvier 2022. Après les négociations, l’impact social s’est précisé en juillet 2021 : suppression de 98 des 150 postes directs de la centrale, dont 45 licenciements contraints. “Les décideurs économiques et politiques, y compris le gouvernement qui a décidé de l’arrêt des tranches charbon et promeut le développement de l’hydrogène, doivent prendre leurs responsabilités”, insistait alors la CGT. Alors que le projet d’Hy2gen se dévoile, zoom sur les enjeux et les autres projets qui pourraient voir le jour sur le site.
150 millions d’euros de subventions pour faire voler des avions sans pétrole
Identifié dès l’origine par le pacte comme “un projet industriel majeur”, Hynovera ambitionne de produire à terme 100 000 litres par jour de carburants pour l’aviation et 200 000 litres d’un autre type (e-méthanol), qui intéresse notamment le transport maritime. “Avec ce projet, nous participons à la décarbonation de ces secteurs“, pose le président du groupe allemand Hy2gen, Cyril Dufau-Sansot, interrogé par Marsactu. D’après le groupe, l’émission de gaz à effet de serre de ces carburants serait de 93 % inférieure à celles de leurs homologues d’origine fossile. Le dossier de concertation insiste sur l’adéquation du projet à la stratégie nationale de neutralité carbone et, sur les 460 millions d’euros du financement, Hy2gen espère plus de 150 millions d’euros de subventions, et 109 millions d’euros de prêts bancaires.
Ce projet repose sur la combinaison de trois procédés, qui nécessiteront 6 des 80 hectares libérés par GazelEnergie avec l’arrêt du charbon. Le plus imposant aura lieu dans un gazéificateur de 65 mètres de haut, qui produira du gaz à partir de plaquettes forestières, issues du broyage de bois. Mais celui qui donne son nom au projet est la production d’hydrogène, qui aura lieu dans un électrolyseur. Cet hydrogène sera considéré comme vert, car produit à partir d’électricité renouvelable, à la différence de l’hydrogène “gris”, produit à partir de gaz naturel, comme c’est quasi exclusivement le cas en France actuellement. Enfin, un dernier procédé doit combiner les deux premiers pour donner des carburants.
Si Hy2gen obtient toutes les autorisations nécessaires en 2023, la construction pourrait démarrer en 2024 pour une première phase de production en 2027, avec une deuxième phase en 2030.
Une usine gourmande
On l’entrevoit, Hynovera s’annonce comme un gros consommateur d’électricité, de bois et d’eau. Côté électricité, la comparaison avec la centrale voisine de GazelEnergie, dont une des tranches a été convertie du charbon à la biomasse en 2018, est éclairante : la consommation annoncée est du même ordre de grandeur, autour de 1000 gigawattheure par an en 2030. À la différence près que GazelEnergie n’a pas encore réussi à atteindre ce rythme de croisière. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’usine ne sera donc pas approvisionnée en direct par un énorme câble en provenance de la centrale. Le groupe allemand contractualiserait son approvisionnement en électricité verte via un contrat long-terme d’approvisionnement en électricité verte auprès d’un agrégateur. Selon Hy2gen plusieurs fournisseurs sont retenus, mais pour l’instant aucun contrat n’a encore été signé.
Face au contexte de tension sur l’approvisionnement en électricité, Cyril Dufau-Sansot déclare qu'”un des mécanismes privilégiés par les fournisseurs d’électricité est de pouvoir ‘effacer’ les gros consommateurs pendant les pics d’hiver. Il faut savoir qu’un électrolyseur est un outil parfait pour cela, car il peut démarrer et s’arrêter quasiment instantanément.” Hynovera ne menacerait ainsi pas le réseau de coupures en cas de pic de consommation.
En ce qui concerne les besoins en plaquettes forestières, Hynovera ne sera pas aussi gourmand que GazelEnergie, dont les conditions d’approvisionnement ont mobilisé les écologistes. Mais les volumes annoncés sont loin d’être anecdotiques : 275 000 tonnes par an à terme, contre 825 000 pour la centrale. Dans son dossier, l’industriel s’engage à utiliser “prioritairement du bois certifié PEFC” et que le plan d’approvisionnement est encore “à l’étude”. Selon lui, le projet participerait à “la montée en puissance de la filière” via un débouché qu’attendent les propriétaires et exploitants pour investir dans l’exploitation de ressources supplémentaires.
Quant à l’eau utilisée par Hynovera, 870 000 m3 par an en 2030, elle serait issue du canal de Provence. À titre de comparaison, 25 industriels consomment plus d’un million de mètres cubes par an dans la région. “Après le procédé d’électrolyse, l’eau peut retourner dans le canal”, assure le groupe.
Un autre projet des “travailleurs”
Si Hy2gen est le premier à arriver au stade du débat public, avec en prime un contrat avec GazelEnergie, les anciens salariés continuent de plancher sur leur propre projet, “Green Gaz Gardanne”. Structurés avec l’association des travailleurs de la centrale de Gardanne, accompagnés de la CGT, ils ont négocié auprès de GazelEnergie et de l’État pour en obtenir la prise en compte dans le pacte. “Du côté de l’État, nous avons eu deux relevés d’engagement datant du 4 mars et du 8 avril“, explique Jean-Michel Roccasalva, secrétaire du syndicat CGT des Travailleurs de Gardanne.
De manière simplifiée, s’agirait de produire du gaz, le méthane, à partir de biomasse. Le procédé est voisin de l’un des deux projetés par Hynovera, sans faire intervenir ensuite l’hydrogène. “Aujourd’hui le but est avant tout de sauver les 45 emplois tout en participant à la transformation du site”, assure Jean-Michel Roccasalva. Selon le syndicat, la production commerciale du projet pourrait débuter en 2025 et coûterait un peu moins de 100 millions d’euros. Une étude de faisabilité plus poussée doit démarrer ce mois-ci.
Vers une “éco-plateforme”?
Exploitant de l’unité biomasse et propriétaire du site depuis 2019, GazelEnergie, filiale du groupe EPH joue un rôle majeur dans les discussions sur les projets prévus autour de la centrale. “Notre but est de créer des synergies et que le site devienne une éco-plateforme industrielle. Nous souhaitons valoriser et accueillir de nouveaux industriels pour permettre un retournement total de l’activité de la centrale”, se positionne Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie.
La première concrétisation pourrait concerner Hynovera, qui espère être plus qu’un simple locataire : “En opérant la centrale biomasse, GazelEnergie est un investisseur potentiel dans le projet. Ils pourraient prendre les opérations sur la partie d’électrolyse et avoir l’opportunité d’investir avec nous“, déclare Cyril Dufau-Sansot. “C’est évident que sur le long terme, nous deviendrons des investisseurs du projet Hynovera. Nous allons participer avec eux à la construction, mais également à la production et, par la suite, nous trouverons les futurs clients, notamment dans le secteur aérien“, confirme Camille Jafrello.
C’est aussi directement sur la centrale que doit venir se brancher le projet “canal thermique de Provence”, visant à alimenter les réseaux de chaleur d’Aix-en-Provence, Gardanne et Meyreuil, à partir des fumées émises. Parmi les différents projets listés par le pacte de transition fin 2020, le site va aussi probablement accueillir une scierie portée par la société forestière énergie bois (SOFEB), qui serait en lien avec le précédent et fournirait en partie la centrale. Ils ajouteraient ainsi une vingtaine d’emplois à la revitalisation du site. On retrouve aussi une start-up qui cherche qui “cherche à s’agrandir sur un foncier plus grand”. Enfin, l’implantation d’une unité de production de membranes d’électrolyseur, qui permet un rendement plus important dans la production d’hydrogène renouvelable est en cours d’évaluation.
De leur côté, les travailleurs de la centrale attendent que GazelEnergie respecte ses engagements pris à la préfecture et laisse à disposition les 3 hectares disponibles pour permettre la réalisation de leur projet. “Nous attendons également que GazelEnergie s’engage à simplifier les démarches administratives, mais également qu’il laisse en libre mise en œuvre les unités de méthane même si les futurs actionnaires sont des fournisseurs concurrents“, déclare Jean-Michel Roccasalva. Avec le retour sur le site des anciens salariés, la transition de la centrale serait alors complète.
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