Huit ans après la reprise de leur usine de thés, les ex-Fralib toujours sur le fil
Symbole de la lutte contre les multinationales de l'agroalimentaire, SCOP-Ti peine à pérenniser son modèle économique et voit son chiffre d'affaires régresser depuis deux ans. Avec la hausse des coûts de l'énergie, l'avenir est préoccupant, mais ne démotive pas les coopérateurs à lancer de nouveaux projets.
Olivier Leberquier, ancien délégué CGT, est le président du conseil d'administration de Scop-TI. (Photo SL)
Quelques effluves de plantes aromatiques s’échappent des machines aux bruits cadencés. Sur leurs tapis roulants, les boîtes en carton siglées “1336” se remplissent de petits sachets de mousseline contenant le gourmand mélange de l’infusion Fruits rouge. Au-delà du produit fini, elles représentent la victoire de salariés face à une multinationale de l’alimentaire, Unilever. Leur SCOP-Ti (société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions), “sans patrons”, est née en mai 2015 d’une lutte pour garder l’usine de Gémenos entre les mains des travailleurs.
Mais difficile de s’implanter sur le marché de la grande distribution. Depuis deux ans, le chiffre d’affaires recule de 8 % par an. Et avec la hausse du prix de l’énergie et des matières premières, l’avenir reste incertain. Huit ans après le départ d’Unilever, la majorité des automates appelés C2000, dorment en silence. L’usine tourne à 20 % de ses capacités pour une production de 200 tonnes par an.
Dépendance à la grande distribution
On est des très mauvais capitalistes et on l’assume.
Olivier Leberquier, président de Scop-TI
En 2010, une partie des ouvriers de cette usine – baptisée alors Fralib – des thés Lipton et infusions Éléphant ont décidé de ne pas laisser faire une délocalisation annoncée en Pologne. Après presque quatre ans d’occupation du site et autant de batailles juridiques, ils ont obtenu le maintien des machines sur place. Soit au bout de 1336 jours, d’où le nom donné à leur marque.
Ils sont aujourd’hui 36 salariés-coopérateurs aux manettes. “Le luxe par rapport aux autres ouvriers, c’est qu’on est fiers de notre produit“, souligne Yves Baroni, en regardant la gamme de thés bio défiler. Derrière lui, le laboratoire aux manettes d’Anne Rouprich contrôle la qualité des produits qui entrent et qui sortent. À la reprise de l’usine, le mot d’ordre était simple : bannir les arômes artificiels et relancer la filière des plantes aromatiques d’origine France.
SCOP-Ti s’est lancée avec un modèle économique atypique. Avec un peu moins de trois millions d’euros de trésorerie en poche et tous les emplois à préserver, la société partait déjà en déficit pour les premières années. “On est des très mauvais capitalistes et on l’assume, résume en rigolant Olivier Leberquier le président du conseil d’administration de SCOP-ti, dans les bureaux de l’usine où un Che Guevara est accroché au mur. On aurait été contraint de choisir entre le personnel et c’était pas notre logique.” Malgré tout, d’une année sur l’autre, les coopérateurs parviennent à réduire le déficit. En 2020, ils réalisent même leur premier exercice positif, malgré la pandémie de Covid-19.
Le soutien de réseaux de vente militants via des organisations politiques, syndicales ou associatives a été important. Notamment par l’intermédiaire de Fraliberthé, l’association de soutien de la coopérative occupe les anciens bureaux de la direction de l’usine. À l’intérieur, des adhérentes s’occupent d’étiqueter et d’emballer les coffrets spéciaux pour les fêtes. Mais 80 % de l’activité répond aux commandes des marques distributeurs des supermarchés : Système U, Leclerc, Intermarché… mais aussi des articles bio d’Ethiquable. Le reste de la production est consacré aux propres marques de la coopérative.
Tout ce système respecte la “marche en avant” : les matières premières arrivent par le haut dans les machines qui remplissent le sachet, tissent le fil, collent l’étiquette, avant que les boîtes partent dans la salle des livraisons. Pendant la pandémie, la grande distribution a mis en avant leurs produits “maison”, permettant à la fabrique de se maintenir financièrement. Mais à partir de 2021, plusieurs enseignes décident de réduire leurs références disponibles en magasins. En parallèle, les marques de SCOP-Ti peinent à obtenir de la visibilité dans les rayons.
Explosion des coûts de l’énergie et des matières premières
Plus récemment, l’explosion des coûts de l’électricité et des matières premières a fait grimper les dépenses. Tout comme la dépréciation de l’euro face au dollar, la devise utilisée pour acheter tous les thés et produits importés. S’ajoute l’augmentation du prix du transport de marchandises. “La hausse de l’énergie je veux bien. Mais comment le prix d’un container peut être multiplié par six ?”, s’agace Olivier Leberquier qui dénonce des “pratiques frauduleuses”. Le prix des emballages a, lui aussi, fortement augmenté.
“On subit la réalité du marché comme les petites PME et on voit le gouvernement aider les grands groupes”, déplore Yves Baroni. Si le chanteur de Los Fralibos – un groupe de musique issu de la lutte – aimerait voir l’usine se pérenniser, il rappelle surtout les victoires passées au fil de la visite. “On a été maîtres de notre destin et on a réussi à faire partir des copains avec une retraite à taux plein. Ça, c’est une victoire”, souligne-t-il en égrainant les autres luttes sociales du département, comme la reprise de l’ancien McDonald’s de Saint-Barthélémy en “Après-M” à Marseille.
D’un autre côté, une bonne nouvelle aurait pu aider SCOP-Ti. En janvier, un groupe de mutuelle va racheter le terrain de l’usine, actuellement loué à la métropole au prix de 240 000 euros par an. Les coopérateurs se verront offrir une année avant de voir leur loyer abaissé à 100 000 euros par an. De quoi leur permettre de se requinquer ? “C’est simple, l’économie qu’on va faire sur le loyer, on va la mettre dans l’énergie”, pose Olivier Leberquier, l’air grave.
Négociations avec les distributeurs
Pour absorber cette explosion des coûts, l’augmentation de leurs tarifs est inévitable. Sur 1336, Olivier Leberquier estime devoir augmenter les prix de 30 % pour pouvoir tenir. Dans cette aventure, l’ancien technicien de maintenance a découvert les négociations commerciales avec les distributeurs. Elles devraient se terminer en février. “On attend des retours, j’espère qu’on va sortir par le haut. Sinon, on sera contraint de dénoncer le contrat puisqu’on travaillerait à perte et c’est illégal, songe le cinquantenaire. On est pris entre le marteau et l’enclume.”
Ces ruptures de contrats mettraient en péril toute l’activité de l’usine. Alors que le manque de trésorerie les empêche d’augmenter les salaires et de verser de primes. “Dans une période de forte inflation, ça devient problématique. C’est une décision collective au vu de la situation économique”, regrette Olivier Leberquier. Les nouveaux projets sont aussi freinés. Leur dernière nouveauté ? Des infusions et des thés glacés pour pallier la baisse de demande de boissons chaudes en période estivale. Mais comme pour le reste, elles manquent de visibilité et ne sont disponibles qu’à l’Auchan d’Aubagne, distribuées par Fraliberthé ou sur leur site internet.
Ces signaux inquiétants n’empêchent pourtant pas le président du conseil d’administration d’imaginer la “sortie du tunnel” en 2023. La société est en passe de concrétiser un appel d’offres de Carrefour. “Le bon équilibre financier se situe à 50 % des contrats distributeurs et 50 % de notre marque, pour pouvoir commencer à dégager des bénéfices et investir sur nos équipements”, espère Olivier Leberquier. Il imagine le site devenir un “pôle de l’économie sociale et solidaire [ESS], comme les élus de gauche en parlaient à l’époque”. Un projet est en cours pour accueillir deux structures de l’ESS, la chocolaterie Takomi ou la brasserie de la Plaine, et mutualiser les outils de production. Des guimauves à la verveine 1336 devraient voir le jour avant Pâques prochain. Un pari pour l’avenir que veut tenir SCOP-TI.
Commentaires
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Avant tout, bonne année aux “1336” et qu’ils s’en sortent, mais je vois avec un petit sourire en coin que les syndicalistes découvrent les “joies” et surtout les angoisses des patrons et dirigeants de PME,
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Un soutien total et une admiration sans limite pour ces gens qui incarnent le courage. Je me suis mis à boire des infusions pour les soutenir, avant l’eau chaude m’inspirait l’ennui, et maintenant je bois ma camomille tous les soirs (et je la trouve délicieuse, rendez-vous compte).
Achetez du 1336, les thés et infusions se conservent, offrez-les, c’est bien simple au final de les soutenir ! 🙂
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évidemment ça devient compliqué.
c’est très réjouissant. l’expérience fralib est édifiante.
client depuis le début où je trouvais facilement leurs boîtes de thés dans les grandes surfaces, casino et auchan notamment, il est plus difficile aujourd’hui d’en trouver. mais je m’accroche et j’en trouve !
je fais des voeux pour que ces “mauvais capitalistes” poursuivent et élargissent leurs activités.
bon vent et bonne route !
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je commande directement sur leur site internet
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Bon vent a eux.
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C’est déjà assez compliqué de se frayer un chemin parmi la grande distribution, cette année va être encore plus synonyme de casse chez les TPE/PME agroalimentaires du coin que les autres années… Courage et force à 1336 !
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le problème c’est le nom,
qui ne parle qu’aux militants,
et encore…
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Et pourquoi on demanderait pas tous 1336 dans les avis google des supermarchés ? En attendant on achètera plus d’infusions pour vous soutenir dès qu’on les trouve ✊ (un coopérateur marseillais)
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Depuis le début de 1336, leurs thés “trônent” sur nos tables. Une vraie qualité que l’on fait partager aux amis à travers le pays. Mais il est vrai qu’il est plus difficile de s’approvisionner en direct, tout en étant marseillais. Certaines enseignes commerciales rechignent…Dommage. Soutien affirmé et courage aux coopérateurs.
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