Harcèlement sexuel au conservatoire d’Aix : deux nouveaux témoignages accablent le directeur

Enquête
le 23 Juin 2022
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Suite à nos révélations du 7 avril, Marsactu a été destinataire de nouveaux témoignages concernant le directeur du conservatoire d'Aix. Deux autres femmes s'estiment, elles aussi, victimes de harcèlement sexuel de sa part. L'une d'elles avait alerté la mairie dès 2016.

Le conservatoire à rayonnement régional Darius-Milhaud d
Le conservatoire à rayonnement régional Darius-Milhaud d'Aix-en-Provence. (Photo: I.D.)

Le conservatoire à rayonnement régional Darius-Milhaud d'Aix-en-Provence. (Photo: I.D.)

Tandis que l’enquête pénale suit son cours, les témoignages continuent à affluer concernant les agissements supposés de Jean-Philippe Dambreville, directeur du conservatoire d’Aix-en-Provence. Dans une enquête parue le 7 avril, Marsactu révélait les récits de neuf femmes, anciennes étudiantes ou professeures, se déclarant victimes de harcèlement moral et sexuel. La majorité de ces témoignages avaient été versés à l’enquête interne ouverte en mairie à l’automne pour “harcèlement moral et sexuel”. En avril, c’était au tour du parquet d’Aix-en-Provence d’ouvrir une enquête préliminaire.

Depuis cette date, Marsactu a été destinataire de plusieurs nouveaux témoignages. Parmi eux, celui de Ludivine* interroge particulièrement. Cette ancienne salariée contractuelle avait déjà alerté la Ville d’Aix-en-Provence dès 2016, contactant même l’actuelle maire Sophie Joissains. Sans succès.

Ludivine préfère prévenir d’emblée : elle a eu une relation avec Jean-Philippe Dambreville “pendant quelques mois” avant d’être victime, soutient-elle, de harcèlement moral et sexuel. Puis d’être “mise au placard”. Cette professionnelle de l’évènementiel rencontre le directeur du conservatoire via Bernard Magnan, le directeur général des services de la Ville. Engagée sur différentes manifestations culturelles de la région, elle obtient ensuite un contrat d’un an au sein même de l’établissement pour coordonner l’inauguration du nouveau bâtiment. Rapidement, Ludivine dit découvrir le directeur sous un autre jour. “J’ai été très surprise de voir que les femmes salariées étaient aussi peu considérées. C’était aussi un environnement avec beaucoup de blagues salaces. C’était autorisé et tout le monde riait. Pour moi, le comportement de Dambreville avait des conséquences sur les conditions de travail.”

Un courrier évoque des “mains aux fesses”

Les scènes décrites par Ludivine sont semblables aux impressions déjà recueillies par Marsactu. Ludivine décide de mettre un terme à sa relation avec le directeur. Elle commence alors, dit-elle, à subir de sa part un harcèlement moral et un comportement “tyrannique”. Elle se souvient d’avoir reçu des remontrances “très humiliantes devant plusieurs personnes qui m’en ont reparlé ensuite, tellement elles étaient choquées. C’était dans l’auditorium, il m’accusait de ne pas savoir faire mon travail. Il criait.” Les incidents s’accumulent et Ludivine dit frôler le burn out. “Tout ce que je mettais en place pour le conservatoire fonctionnait, mais il n’était jamais satisfait. Il avait des excès colériques. C’est comme si j’avais été éjectée de sa cour. On est adultes. Ça devrait être possible de garder de bonnes relations de travail après une histoire.” Ludivine lance alors plusieurs alertes.

Accompagnée d’un représentant syndical, elle obtient un rendez-vous avec Bernard Magnan, le directeur général des services de la mairie d’Aix-en-Provence et Jean-Philippe Dambreville lui-même. Dans notre enquête du 7 avril, Alain Capus, délégué du syndicat FSU, affirmait déjà avoir échangé oralement avec Bernard Magnan sur le cas de plusieurs salariées se déclarant victimes de leur directeur. Dans le cas de Ludivine, ces allégations sont attestées par des échanges de courriers consultés par Marsactu. En 2016, le directeur général des services a effectivement été destinataire d’un signalement faisant part de “mains aux fesses” au conservatoire. L’auteur de ces comportements n’est pas explicitement désigné dans le mail, mais Ludivine atteste qu’il s’agit bien de son directeur.

La mairie n’a pas été à la hauteur. Personne ne nous a entendues.

Ludivine

Ludivine assure s’être également confiée directement à la maire Sophie Joissains, qui était à l’époque adjointe à la culture. “Je suis allée la voir pour tout lui raconter. Elle m’a écoutée. Mais il n’y a pas eu de suite. Je ne me suis pas sentie soutenue”, regrette l’ancienne salariée. Au contraire, elle interprète sa mutation à la bibliothèque Méjanes comme “une mise au placard”. Selon nos informations, une autre personne affectée au conservatoire a été transférée à la même bibliothèque, sur la même période, après avoir tenté d’alerter sur le comportement de Jean-Philippe Dambreville. Confrontée à ce témoignage, Sophie Joissains n’a pas répondu à nos sollicitations.

Cet épisode laisse un goût amer à Ludivine. “Quand j’ai été mutée avec une autre personne à Méjanes, il y eu une omerta. Comme si c’était nous qui avions tort, parce qu’on avait parlé. Et c’est là que je considère que la mairie n’a pas été à la hauteur. Personne ne nous a entendues.” Après cela, elle est partie d’Aix.

Au commissariat, plusieurs victimes reçues

Alertés à plusieurs reprises, pourquoi les responsables en place à la Ville d’Aix-en-Provence n’ont-ils pas conduit d’enquête interne à l’époque ? Selon le code du travail, l’employeur est tenu de prendre “les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.” Selon l’analyse d’une source interne, “en 2016, l’établissement était en passe d’obtenir le label de conservatoire à rayonnement régional. C’est un détail important car à l’époque, tout le monde était focalisé sur cet objectif.” L’enquête interne ne sera ouverte que cinq ans plus tard, à l’automne 2021. Les faits rapportés en mairie ne seront transmis au procureur qu’au printemps dernier, en même temps que la parution de notre enquête.

Selon nos informations, la police aixoise a d’ores et déjà commencé à auditionner les victimes dans le cadre de l’enquête ouverte par le parquet. Contacté, le procureur d’Aix-en-Provence Achille Kiriakides n’a pas souhaité communiquer plus d’informations. “Cette enquête nécessite l’audition de nombreuses personnes, la procédure devrait s’étaler sur plusieurs semaines, voire, plusieurs mois”, précise-t-il simplement. Surtout que la liste des victimes déclarées ne cesse de s’allonger. Selon nos sources, les enquêteurs ont été destinataires en mai d’un signalement jusqu’alors inconnu. Celui de Lola*, 17 ans au moment des faits.

Lola, 17 ans à l’époque, décrit des gestes déplacés du directeur

Cette ancienne élève du conservatoire rapporte deux scènes durant l’hiver 2018-2019 où son directeur aurait eu des gestes inappropriés et non consentis. Marsactu a pu consulter le témoignage écrit de Lola, remis aux enquêteurs. La jeune femme raconte une répétition, dans le bureau du directeur : “Il me dit que je ne respire pas correctement quand je joue. Il pose une main sur mon bas-ventre et une autre vers le bas de mon dos, et me dit que je dois me détendre. Je sens que ses mains glissent, j’ai peur qu’elles descendent trop bas donc j’ai un mouvement de recul. Je me souviens avoir été déstabilisée, mais m’être dit  : je ne peux rien dire, c’est Dambreville.”

Lola rapporte une autre scène, lors d’un grand dîner organisé après un concert pour le Rotary club d’Aix-en-Provence. Ils sont attablés et discutent. “C’est pendant cette discussion qu’il a posé sa main sur ma cuisse en me demandant « mais toi, quelles sont tes ambitions dans la musique ? » J’ai décalé ma jambe, il a retiré sa main. Il n’a pas insisté. Mais je continue de prendre sur moi, je ne savais pas ce qui était normal ou pas, c’était la première fois que ça m’arrivait”, écrit-elle dans son témoignage. Après cela, elle refusera de participer à de nouveaux projets avec le chef d’orchestre, comme l’attestent des SMS consultés par Marsactu.

En allant dans un autre établissement, j’ai vu que non, tous les directeurs ne faisaient pas ça. Et que non, ça n’était pas normal.

Lola

Puis elle aussi, elle quittera Aix à la fin de l’année. Traumatisée. “J’ai fait des cauchemars, souvent. J’ai beaucoup pleuré. L’été dernier encore, je l’ai recroisé dans la rue. Devant lui, j’ai fait bonne figure et dès qu’il a eu le dos tourné, je me suis écroulée”, confie-t-elle. Pour Lola, le comportement de son ancien directeur a eu une incidence directe sur ses rêves professionnels. “Mon instrument, c’était toute ma vie. J’ai continué mais après cela, j’ai eu besoin de ralentir. Aujourd’hui encore, je me pose la question : et si j’avais fait carrière dans la musique ? Maintenant, c’est un peu trop tard.”

Lola est la plus jeune victime déclarée à ce jour. Quand on est adolescentes et qu’on joue dans son orchestre, les premières robes de femme, les premiers petits talons… c’est pour les concerts. Donc il était là. Et lui, il nous inspectait, il nous disait qu’on était jolies, il nous faisait une bise sur la main… Quand on a 15 ans, on découvre tout cela. Donc on croit que c’est un comportement normal d’homme. C’est en allant dans un autre établissement que j’ai vu que non, tous les directeurs ne faisaient pas ça. Et que non, ça n’était pas normal.”

À la mairie d’Aix, l’enquête interne patine

L’enquête interne ouverte par la mairie à l’automne dernier n’a toujours pas été conclue. Signe que la fin approche, la commission de discipline devait se réunir le 8 juin. Dirigée par un juge administratif, composée à parts égales de représentants de la mairie et de représentants syndicaux, elle vise à proposer une sanction à l’encontre de Jean-Philippe Dambreville. Mais selon nos informations, un défaut dans l’organisation interne a empêché sa tenue.

Contactée, la Ville n’a pas souhaité répondre à nos questions, ni sur le témoignage de Ludivine, ni sur le calendrier de leur enquête. “Une procédure interne est actuellement en cours et le procureur de la République a été saisi par madame le maire. Afin de respecter les procédures, la Ville ne s’exprime jamais lorsqu’elles sont en cours”, se justifie-t-on. Lors du premier volet de cette enquête, l’avocat du mis en cause, Didier Jean-Pierre, n’avait pas voulu commenter les accusations. Contacté par Marsactu la semaine dernière et informé de l’existence de deux nouveaux témoignages, il n’a pas donné suite.

Depuis le 7 avril, le directeur est suspendu de ses fonctions à titre conservatoire. Sera-t-il fixé sur sa sanction définitive avant la fin de l’année scolaire ? Plusieurs victimes se disent inquiètes de voir l’affaire “noyée”, “liquidée” dans la torpeur de l’été.

*Pour préserver l’anonymat des victimes, leurs prénoms ont été modifiés.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Ces gens nuisibles qui joue de leur aura et de leur pouvoir pour maintenir une omerta peuvent le faire parce que des personnes choisissent de fermer les yeux, préfèrent minimiser, se taisent.
    Il faut du courage pour dénoncer, et il faut de l’aide, du soutien. C’est à dire a minima une oreille attentive.

    Que la justice passe, que cet homme, ainsi que ceux qui l’ont couvert et protégé, excusé, ne soient plus jamais tranquilles.

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  2. Tarama Tarama

    Merci à Marsactu pour ce travail au long cours et aux témoins courageuses.

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  3. Manipulite Manipulite

    Celles et ceux qui étaient informés et qui n’ont rien fait sont responsables au sens pénal. Circonstances aggravantes pour ceux qui étaient aux responsabilités à la mairie, autorité hiérarchique du directeur. En effet la justice doit se mettre au diapason de la société et prendre au sérieux ces affaires plutôt que de les laisser s’enliser.La municipalité a les moyens de se payer sur l’argent public des avocats rodés aux longues procédures. On l’a vu dans les affaires Joissains II (Maryse).

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  4. Opiniatre Opiniatre

    J’aime beaucoup Marsactu, mais ce genre d’article me laisse un goût amer. Pointer des harcèlements sexuels (potentiels) bien sûr, est-il besoin de s’attarder sur les détails ? Sous couvert de dénonciation, un petit article “sex” ?

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  5. Florence Sartori Florence Sartori

    Donner la parole aux victimes n’est pas un détail… mais une nécessité.
    Merci à Marsactu de dénoncer de tels agissements , surtout face à un silence et
    une Omerta installés apparemment depuis des années et en toute impunité.

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